La coopération entre le Cameroun et la Chine est diversifiée et déséquilibrée
Dr André Kadandji

Dr André  Kadandji enseignant en banque et finance, et directeur du Saint-Jérôme management Science and Business School, parle de l’impact de la coopération sino-camerounaise sur l’économie locale, et émet des réserves sur l’équilibre de cette coopération.

Quand vous entendez parler de la coopération commerciale entre le Cameroun et la Chine, quelle est votre impression à ce sujet ?

La coopération sino-camerounaise date de plus de quarante ans. Au fil du temps, la Chine est devenue un partenaire stratégique pour le développement. Cette coopération exemplaire dans un contexte de mondialisation contraignant, s’enrichit régulièrement des éléments palpables dans tous les domaines. Les résultats remarquables enregistrés dans le domaine commercial dépendent en partie de la volonté politique des dirigeants de ces deux pays. En réalité, lorsqu’on entend parler de la coopération commerciale entre le Cameroun et la Chine, on a l’impression qu’il s’agit d’une coopération unilatérale. Car, on aperçoit plus les produits et les opérateurs chinois sur le marché camerounais que le contraire. Les deux économies n’ayant pas les mêmes caractéristiques, il fallait donc s’attendre à ce déséquilibre visuel. Pour tout dire, la  coopération entre le Cameroun et la Chine est diversifiée et déséquilibrée.

D’après le dernier classement de l’INS, la Chine est le premier partenaire commercial du Cameroun, qu’est-ce qui justifie cette percée ? Est-ce un atout sur le plan socioéconomique ?

Aujourd’hui, sur le plan international, la Chine est une puissance commerciale. Or, le Cameroun comme tout autre pays qui voudrait bien vendre ses produits et acheter à un prix compétitif, ne pouvait rester en marge de l’évolution du monde des affaires.  Nous sommes dans un village planétaire et avec des êtres rationnels, il faut s’attendre à ce que le meilleur offreur ou demandeur se taille la part du lion.

Dr André Kadandji

La coopération commerciale Cameroun-Chine gagnera davantage si  elle prend en compte d’autres questions liées à la protection de l’environnement commercial et social. Le gouvernement camerounais devrait mettre en place une politique d’incitation à l’exportation  des produits issus du secteur privé vers la Chine. En effet, nos importations de la Chine sont supérieures à nos exportations vers ce pays. Il serait intéressant que la situation s’inverse. C’est vrai qu’il y a plusieurs projets qui sont financés dans le cadre de l’aide au développement. Mais, il ne faut pas que cette coopération vienne plus tôt étouffer notre tissu industriel.

 

Que pensez-vous  de cette coopération à long terme, quand on sait que la Chine est visible presque dans tous les secteurs d’activités ?

La coopération Cameroun -Chine dure plus de quarante ans, mais elle a pris de l’ampleur ce dernier temps. Il faut rappeler que ces deux pays entretiennent des relations très particulières depuis les années 70. Au départ, personne ne pouvait raisonnablement parier sur le succès de cette coopération  supposée “gagnant-gagnant”. En effet, les deux pays ont connu des rapports difficiles du fait de leur appartenance à des blocs idéologiques opposés. Il faut ajouter à l’appartenance idéologique, l’influence des partenaires coloniaux sur le Cameroun. Aujourd’hui, la Chine investit dans tous les domaines au Cameroun. La question des impacts environnementaux et sociaux des projets réalisés par les chinois au Cameroun demeure un grand enjeu pour le développement de cette coopération. Les deux pays ont d’énormes potentiels. A mon avis, le gouvernement camerounais doit s’engager davantage dans l’intégration systématique de la protection de l’environnement et social dans tous les projets financés par la Chine. Ces relations apparemment solides entre les deux pays sont promues à un bel avenir pourvu que les autorités camerounaises soient à mesure de faire face aux coups bas de leurs partenaires traditionnels.

Comparée aux partenaires traditionnels du Cameroun principalement la France, est-ce que la coopération Cameroun – Chine, est une assurance pour le Cameroun ?

Les pays européens et particulièrement la France ont imposé à leurs colonies le pacte colonial, c’est-à-dire un régime d’échange exclusif. Ces accords concernent de nombreux domaines, tels que le militaire, le politique, mais surtout les accords économiques. Selon ce pacte, la colonie en l’occurrence le Cameroun ne peut importer que des produits provenant de la métropole c’est-à-dire la France et les exportations camerounaises ne doivent être orientées que vers cette dernière. En plus, les pays africains doivent déposer leurs réserves financières auprès du Trésor public français. Ainsi, la France « garde » les réserves financières de tous les pays de la zone Franc. La Chine, qui est le premier partenaire commercial du Cameroun, doit transiter par le Trésor public français  avant d’emmener des capitaux et des fonds au Cameroun. Ceci fait du Cameroun un contribuable français et fait perdre du temps au partenaire. En plus, cette stratégie déprécie la monnaie du partenaire chinois. La France en particulier et tous les partenaires occidentaux du Cameroun ont souvent eu recours à des pressions voire des menaces à peine voilées pour dissuader le Cameroun de coopérer avec la Chine. Dans ce monde contraignant, afin de consolider toujours d’avantage sa souveraineté et son indépendance nationales le Cameroun a intérêt à diversifier ses partenaires et doit être libre dans ses choix.

La  Chine ne profite-t-elle pas de son statut de géant incontournable pour imposer sa décision ?

Dire que la relation Cameroun – Chine est équilibrée serait une gageure. C’est normal que la Chine au vu de ses capacités se trouve en position de suprématie dans cette relation. Pour que cette coopération profite aux camerounais, il faudra que les protagonistes tiennent compte de la nécessité de créer une communauté plus étroite en mettant l’accent sur les avantages inhérents à la participation du Cameroun à une coopération gagnant-gagnant. Elle doit également faire de la protection de l’environnement économique et social un élément important dans la définition des voies de développement en harmonie avec les objectifs de développement durable.  En plus, cette coopération doit se faire dans le respect strict de leur souveraineté.

Réalisé par Marie- Louis Mamgue