Malnutrition : plus de 35% des enfants touchés à l’Est

A l’origine, des changements climatiques qui impactent sur la production agricole, les mauvaises pratiques culturales et nutritionnelles, et l’arrivée massive des réfugiés centrafricains dans les zones frontalières.

Jacques Mbamp, jardinier à Nguélémendouka dans le département du Haut-Nyong est confronté à d’énormes difficultés liées à son activité. « Il y a carence d’eau en saison sèche pour cultiver », explique-t-il. Comme corolaire à la sécheresse qui se fait ressentir aussi en pleine saison des pluies à cause des changements climatiques, les vendeuses des vivres au marché de la ville font face à la rareté de plusieurs denrées alimentaires. C’est le cas dela veuve Antoinette Mvoto, vendeuse de maïs, de pistage, de concombre et palmier à huile. « Depuis plusieurs semaines, je n’ai pas de produits à vendre à mes clients », déplore cette vendeuse. Dans cet espace marchand, l’unique boucherie qui alimente la ville est fermée. Il est désormais impossible pour les habitants de s’offrir de la viande du bœuf.

Cette pénurie de vivres, a un impact négatif sur les besoins nutritionnels des populations. Un déficit qui engendre la malnutrition dans de nombreuses familles. Selon Jean Marie Nguélé, maire de la Commune de Nguélémendouka, la malnutrition dans sa municipalité se pose à trois niveaux. « Les jeunes filles qui n’allaitent pas leurs enfants comme il le faut, la consommation fréquente des aliments pauvres en protéines comme le manioc par toutes les couches de la population et le manque d’aliment spécifique pour des personnes du troisième âge et les enfants».

 

De leur côté, les cultivateurs évoquent les difficultés telles que l’absence des pistes agricoles et le manque des semences sélectionnées pour la production de certaines denrées riches en valeur nutritive. Le document « Plaidoyer pour les femmes et les enfants du Cameroun 2013-2017) » publié par l’Unicef, renseigne que « les causes de la malnutrition sont multiples à savoir : l’apport alimentaire inadéquate, l’incidence de certaines maladies telles que les maladies diarrhéiques, infections respiratoires aigües et le paludisme, la pauvreté, le faible accès à l’eau potable et aux services d’assainissement et pratiques d’hygiène et l’alimentation inappropriés ».

A Nguélémendouka, comme dans plusieurs localités de la région, et malgré le fort potentiel agropastoral, la malnutrition est une réalité. Sur un autre plan, l’arrivée massive des réfugiés centrafricains dans les zones frontalières comme Garoua-Boulaï, Kétté, Kentzou et Gbiti a accentué le phénomène au sein de la population notamment les enfants. « Le plus grand regret est que durant toutes ces dernières années, l’aide alimentaire des partenaires au développement n’était pas accessible aux populations locales et aussi notre Commune n’a pas toujours été impliquée dans les activités de nutrition. Actuellement, les réfugiés ne bénéficient plus d’appui alimentaire. Chacun se débrouille comme il peut. Le processus d’autonomisation est enclenché », a regretté en janvier 2019, Esther YafoneNdoe, maire de la Commune de Garoua-Boulaï qui abrite l’un des plus grands sites de réfugiés à Gado-Badzéré.

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En effet, depuis 2003, l’instabilité politique et sécuritaire en République Centrafricaine, s’est traduite par l’émergence de zones de non droit parmi lesquelles, le Nord-Ouest qui partage les frontières avec le Tchad et le Cameroun.

Ainsi, depuis 2005, plusieurs dizaines de milliers de Centrafricains, majoritairement Bororo ont fui leur pays, pour se réfugier au Cameroun dans la zone frontalière de l’Est et de l’Adamaoua. Ce flux massif a atteint le sommet avec le coup d’Etatde 2013 qui a chassé François Bozizé au pouvoir. « La situation est déplorable », déclarait Ndèye Ndour, alors représentante du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Cameroun en 2014 qui indiquait que « les points les plus touchés sont effectivement Garoua-Boulaï, Kentzou et Gbiti ». 

A date, près de 180.000 réfugiés centrafricains sont établis dans cette partie du pays selon les derniers chiffres du HCR. Au niveau de Gbiti dans le département de la Kadey, les effets de cette arrivée massive sont perceptibles. « Depuis leur arrivée, il y a le problème de logement et de l’eau potable. Aussi, le Centre de santé a seulement un seul infirmier alors que cette localité regorge déjà beaucoup d’enfants et de femmes. Il faut donc parcourir environs 50 km pour se rendre à l’hôpital de district à Ketté. Dès l’arrivée de ces réfugiés, les enfants bororos mouraient beaucoup même si ce phénomène a baissé ce dernier temps », avait déclaré RémyGbangi, chef de village Gbiti en 2010. Des propos soutenus par les chefs des quartiers de Gbiti, notamment Gaspard Abba, Philémon Dagoni, Daniel Ngondjou et Albert Ndinga. Dans cette localité, la rareté des vivres suivie d’inflation se fait ressentir au marché. « La demande de farine a augmenté mais nos moyens de production restent traditionnels. Une cuvette coûte 3000 frs alors qu’avant, on vendait même à 500 frs » explique Alice Bekousou, revendeuse au marché de Gbiti depuis 10 ans.

Selon l’enquête nutritionnelle anthropométrique et de mortalité rétrospective menées par l’Unicef et le Ministère de la Santé publique en 2017 dans les régions de l’Extrême-nord, le Nord, l’Adamaoua et l’Est, dans le cadre d’une surveillance nutritionnelle mise en place depuis 2007, « 35,5% d’enfants souffrent de la malnutrition chronique à l’Est ayant pour principale conséquence, le niveau de croissance desdits enfants ». En plus, note l’enquête, la malnutrition chronique en situation d’alerte est de 40%. L’enquête indique enfin que « la mortalité rétrospective évaluée entre le 20 mai 2017 et la collecte des données présentent un taux brut des décès (TBD) et un taux des décès des moins de 5 ans (TDM5) en situation précaire de 1,37 décès (< 1 décès/10 000 personnes/ jour) ».

Pour Osé Nchanje, alors Point focal nutrition à la Délégation régionale de la Santé publique, « compte tenu de ces résultats alarmants, les défis d’accompagnement des communautés pour renverser cette tendance sont énormes et les pouvoir publics ont besoin de l’adhésion de toutes les sectorielles afin que les pratiques nutritionnelles des enfants soient garanties au mois pendant les 100 premiers jours de vie ».

Riposte

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En réponse à cette problématique de la Santé publique, la Fondation Helen Keller International (HKI) avec l’appui technique de Scaling Up Nutrition (Sun) et en partenariat avec le Ministère de la Santé publique, a renforcé les capacités des Communes de l’Est sur la mobilisation sociale, le plaidoyer et la communication pour la nutrition. Un Réseau des Communes de l’Est pour la Promotion de la Nutrition (Recenut) a été créé à cet effet. Ses objectifs sont : « réunir toutes les Communes autour d’un idéal commun, mettre en commun les actions des municipalités dans la promotion de la nutrition et faire un plaidoyer auprès de l’Etat, des partenaires pour solliciter les moyens pour la mise en œuvre des actions à mener sur le terrain ».

 Déjà, 17 Communes sur les 33 que compte la région sont membres de ce Réseau. « Nous sommes les premiers au Cameroun et désormais la référence et la source à laquelle les autres Communes vont s’abreuver. Il faut qu’à l’avenir, 1% de nos budgets annuels soit alloué à la lutte contre la malnutrition », indique Jean Marie Nguélé, le président du Recenut. A Nguélémendouka, « la somme allouée dans le budget communal sera investie dans la production du soja, du poisson et la formation des filles mères aux méthodes nutritionnelles ». Pour le maire, cette action vient s’ajouter à d’autres à savoir, la création d’une cellule communale et les points focaux de nutrition dans les 56 villages.

Sébastian Chi Elvido à Bertoua