En fin de semaine surpassée, outre 4 morts annoncés, les publications devenues virales sur les réseaux sociaux parlent également d’affrontement intercommunautaire à Tonga. Après vérification, il s’agit de fausses informations de type manipulatoire.

Mercredi 8 septembre 2021, la ville de Tonga dans le département du Ndé, région de l’Ouest a connu des scènes de violences. Depuis lors, plusieurs publications se sont multipliées sur le sujet.

Des publications devenues virales sur Facebook. A l’instar de celle de Patrick Duprix Anicet Mani, militant du RDPC et fervent défenseur du régime. Dans son post qu’il titre : « Ouvrez les yeux à Sangmélima, fermez les yeux à Tonga », ce dernier fait une sorte de point sur les évènements de Tonga et dresse d’ailleurs le bilan. D’après lui, « la communauté anglophone a été dépouillée, violentée et assassinée et chassée de l’Ouest par les « autochtones » de Tonga. Bilan 04 anglophones lâchement assassinés et plus d’une vingtaine de blessés graves ».

Plusieurs photos illustrant des scènes de violences complètent la publication mise en ligne le 10 septembre 2021 à 21h 47. Et qui, jeudi 16 septembre en matinée, totalisait déjà 459 commentaires, 270 partages et 206 réactions. Deux jours avant c’est-à dire le 8 septembre jour des faits, David Eboutou postait sur sa page à 22h : « Déjà quatre morts à Tonga dans la région de l’Ouest. On parle d’un affrontement communautaire ». Le post enregistrait jeudi 16 septembre matin 395 réactions, 371 commentaires et 20 partages.

Patrick Duprix Anicet Mani et David Eboutou ne sont pas les seuls à parler d’un affrontement intercommunautaire et d’un bilan de quatre morts. Des sites d’informations également. En effet le 9 septembre 2021, notre confrère www.aa.com.tr sous la plume de Peter Kum écrit : « Cameroun : Quatre morts dans des affrontements intercommunautaires dans l’Ouest ». La suite de l’article revient sur le déroulement des évènements du 8 septembre dernier.

Vérification

Après vérification, il y a eu des scènes de violences à Tonga mais il ne s’agissait pas d’un affrontement intercommunautaire. « C’est archifaux ! Il ne s’agit pas d’un affrontement intercommunautaire. Les anglophones que j’ai interrogés, au moins une dizaine, disent n’avoir aucun problème, tout comme les bamoun et autres. C’est une ville cosmopolite », renseigne Franklin Kamtche, journaliste au quotidien Le Jour installé et exerçant dans la région de l’Ouest, contacté par Data Cameroon par messagerie. Il a d’ailleurs effectué une descente sur le lieu des évènements. D’après la note d’information singée de Belmond Didier Mbiagoup, délégué départemental de la Communication pour le Ndé dont il a donné copie à Data Cameroon, « l‘étincelle qui a mis le feu aux poudres est bien l’agression mortelle du jeune Yoteu Éric dimanche soir et l’arrestation le lendemain d’un suspect et sa conduite à la Brigade de Tonga. C’est pendant son exploitation qu’un groupe de jeunes visiblement très excités, est venu réclamer la tête du suspect. Puis, ils ont donné l’alerte et une foule en furie armée de machettes, gourdins et haches, ont défoncé les grilles de la brigade, extirpé le suspect et l’ont mis à mort par la vindicte populaire. Non sans avoir violemment affronté, invectivé le préfet descendu sur les lieux, sa suite et les gendarmes », lit-on. Il poursuit, « le lendemain, trois malfrats sont allés de jour en moto dépiécer un véhicule au quartier Bitchoua Nord. Pris en flagrant délit par les propriétaires, ils vont appeler des renforts prétextant qu’ils sont agressés par une communauté. Des affrontements s’en sont suivis à l’issue desquels, ces malfrats ont réussi à fondre dans la nature en promettant de revenir pour la vengeance ».

Image d’affrontements intercommunautaires utilisé en Cote d’Ivoire, puis au Ghana

Deux morts

« Pour avoir des renforts, les trois malfrats qui démontraient la voiture, ont dit à leurs complices au téléphone qu’ils étaient attaqués par les anglophones. A noter que la zone de Bitchoua est habitée à 80% par les anglophones, majoritairement du Nord-Ouest. Donc l’élément déclencheur ce sont ces deux coups de vols », renchérit notre confrère de Le Jour. Avant d’ajouter qu’au cours de ces scènes de violences à Bitchoua, il y a eu des pillages. « C’était un jour de marché périodique. Ils ont cassé les bars et bu le contenu. Mangé ce qui pouvait l’être dans les boutiques… Après la menace des assaillants venus sauver leurs frères prétendument agressés par les anglophones, ces derniers se sont réfugiés en brousse. C’est quand les policiers sont arrivés de Bafoussam qu’ils sont sortis des champs et ils ont pu avoir une rencontre avec Ernest Ewango Budu, Préfet du département du Ndé. Le bilan aussi n’est pas celui annoncé sur les réseaux sociaux et par certains journaux et médias. Les évènements de Tonga ont fait deux morts et non quatre. Il s’agit de Eric Yoteu et son agresseur dont je n’ai pas le nom. On a également enregistré 5 blessés dont je n’ai pas les noms », ajoute Franklin Kamtche.

Outils

En outre, parmi les photos utilisées par certains internautes notamment Patrick Duprix Anicet Mani, elles sont en grande partie hors contexte et n’illustrent pas les scènes de violences observées à Tonga. Grâce à une recherche d’image inversée, nous avons pu remonter la source de certaines d’entre elles. Par exemple cette photo qui fait partie de celles qui accompagnent le post de Patrick Duprix Anicet Mani. En effet, un seul résultat obtenu via une recherche sur TinEye, ce cliché est en fait une capture d’écran d’une vidéo qui illustre un texte des Observateurs de France 24 sur le site de France 24. Un article qui traite du phénomène « Microbes » en Côte d’Ivoire et publié le 2 octobre 2017 à 17h 28 et modifié le 3 octobre 2017 à 12h 25. Il s’agit donc d’une image prise lors d’échauffourées en Côte d’Ivoire.

Capture de vidéo d’une scène des microbes en Côte d’Ivoire/sources : France24

Un autre cliché publié également sous le post de Patrick Duprix Anicet Mani provient du pays de Alassane Dramane Ouattara. En convoquant à nouveau TinEye, nous avons eu 27 résultats. Cette image illustre un affrontement entre les autochtones Abbeys et les allogènes Malinkés en Côte d’Ivoire, comme le relate cet article du site Koaci publié il y a quatre ans. La même image a été utilisée pour illustrer un texte ghanéen.

A noter que cette fausse nouvelle circule dans un contexte où la région de l’Ouest principalement, connaît chaque jour un flux de déplacés internes en provenance du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Une situation consécutive à la crise sécuritaire qui sévit depuis quelques années déjà dans cette partie du pays.

Marthe NDIANG