Violences conjugales : « Celles qui sont mariées crient autant que celles qui ne le sont pas »

Violences conjugales : « Celles qui sont mariées crient autant que celles qui ne le sont pas »
Pour Me Charlotte Tchakounté, avocate au barreau du Cameroun connue pour sa lutte contre l’injustice sociale à l’endroit des femmes et des enfants, tant que la loi ne sera pas appliquée, la femme souffrira indéfiniment .
Vous êtes une personne ressource pour des victimes de violences conjugales, principalement, les femmes. Qu’est-ce que cela implique ?
Mon travail, je le fais de manière archaïque. Je me limite à ce que je peux faire. Les gens avec qui je faisais ce travail sont partis, peut-être parce qu’il n’y a pas d’argent. Parce qu’en effet, s’engager à faire ce travail qui consiste à porter secours aux femmes qui pleurent, aux victimes de violences, c’est aussi s’engager à investir une bonne part de son argent et beaucoup ne sont pas prêts à le faire.
Quel est généralement le profil de ces femmes ?
Ces femmes sont distinctes. Il y en a qui sont mariées, qui souffrent dans le cadre d’un foyer normal et il y en a qui ne sont pas mariées, c’est du concubinage. Mais sur le plan du fond, c’est-à-dire leur vécu, ce n’est pas différent. Celles qui sont mariées crient autant que celles qui ne le sont pas. Au besoin, je peux dire que celles qui sont mariées souffrent plus, parce qu’elles sont comme enchaînées par l’acte de mariage. Celles qui ne sont pas mariées, pour la plupart, s’échappent le plus rapidement possible. Celles qui restent en général, c’est au nom des enfants. Alors que du côté des femmes mariées, elles se disent que si elles partent, le mari va faire le constat et on va me condamner pour abandon de foyer. Parfois aussi, celles qui ne sont pas mariées et qui ont investi dans le foyer se découvrent face à une réalité implacable . Il y en a parmi elles qui peuvent se donner la mort quand elles réalisent qu’au soir de leur jour, elles n’ont investi que pour leur partenaire.
Quels conseils leur donnez-vous généralement ?
Beaucoup restent à cause des enfants, mais de plus en plus, nous leur disons de faire attention. Les enfants ont leur vie, elles aussi ont la leur. C’est une habitude chez nous, c’est devenu un style de vie où la femme camerounaise si elle ne souffre pas dans son foyer, se demande si elle est vraiment mariée. Certaines vont vous dire que ma mère a souffert elle n’est pas morte, moi aussi je ne vais pas mourir.
Comment est-ce que la loi protège la femme ?
Sur le plan juridique, les femmes résidant au Cameroun sont protégées. Il y a un ensemble de lois que le Cameroun a fait voter. Il y a des conventions internationales, des traités comme le protocole de Maputo et la Charte africaine. Tous sont des textes pour la protection de la femme que le Cameroun a ratifiés, c’est-à-dire a signé. Le Cameroun a pris l’engagement de faire appliquer ces lois. Ces textes concernent beaucoup plus la femme mariée, mais celle qui n’est pas mariée est également protégée, mais pas au même titre que l’autre. Les bastonnades qu’elle subit par exemple sont interdites par la loi. Il y a le code pénal qui a prévu cette protection-là. Mais la mise en pratique de ces lois fait problème.
Aussi, pour récupérer les biens de celle qui n’est pas mariée, c’est assez compliqué, même si on parle de communauté de fait. C’est difficile ! Même comme je parle de protection facile pour celle qui est mariée, il y a toujours quelque chose qui coince, parce que sur le plan pratique, le fait que la loi ne soit pas respectée à cause de la corruption, des relations, bref de l’injustice, ça fragilise la femme. C’est ce qui explique que généralement, la femme s’en tire sans rien. Elle sort d’un foyer avec les deux mains sur la tête. Parfois aussi, les magistrats ne sont pas renseignés. Des fois ils le sont, mais le phénomène de la corruption qui est la gangrène, le problème intraitable de cette nation, fait que les femmes souffrent. Tant qu’on n’aura pas réglé ce problème, la femme souffrira indéfiniment. Tant qu’on n’aura pas mis cela dans la tête des magistrats, que chacun rendra compte de ce qu’il fait, ça ne changera pas.
Un phénomène inquiétant…
Les foyers sont en péril au Cameroun. Généralement dans les 5 premières années de mariage, il y a du feu. Il y a des gens qui ont fait 20 ans ensemble et un beau jour, vous les retrouvez au tribunal. Nous avons quelques cas isolés de femmes qui ont des enfants de plus de 30 ans, mais vont au tribunal parce que l’homme veut imposer certaines pratiques sexuelles à son épouse.
Y a-t-il des hommes qui vous demandent également de l’aide ?
Oui, il y en a. Il y a des hommes qui se plaignent aussi. Quelques cas ont raison de le faire. Parfois ils sont fondés dans ce qu’ils disent, parfois c’est bourré de mensonges. Il y a des femmes aussi vilaines . Je défends aussi les hommes, mais ils ne sont pas nombreux. Je n’en ai pas reçu cette année. Je fais avec les éléments que mon client me donne et j’analyse. Et il faut dire que beaucoup sont convaincus de ce que je ne peux pas les défendre valablement.
Quelles sont les sanctions auxquelles s’exposent les accusés ?
Les rares fois où on peut les sanctionner, on les condamne pour violences, coups et blessures. Tout dépend du degré de violences ou de la gravité de la blessure. Il y a des peines qui vont d’1 à 5 ans d’emprisonnement, ça peut aussi aller au-delà. Tout dépend de la gravité et naturellement du comportement de l’homme. Quelqu’un peut violenter sa femme ou sa partenaire, mais par la suite, il se perd dans les excuses. Même si cela a été intentionnel, il regrette ce qu’il a fait et celui-là peut être excusé dans une certaine mesure. Je le dis sans tenir compte de la corruption qui est devenue la règle d’or. Il y a des peines d’emprisonnement, les amendes vont dans les caisses de l’État.
Lorsqu’on condamne quelqu’un à une peine d’amende, est-ce que ça l’éduque vraiment ?
La prison non plus. La rééducation n’est pas encore à l’ordre du jour. C’est vrai que dans les cellules des mineurs, il y a une légère avancée. On permet à certains de faire des cours, il y en a qui passent des examens. Mais la rééducation des grandes personnes, si un père violent y va pour 6 mois, il y reste. Il n’y a pas de psychologue pour traiter ce genre de malades, alors que beaucoup sont des psychopathes, des malades.
Si le suivi psychologique était fait, ça ne se passerait pas ainsi . Et c’est fort de cela que pendant nos réunions avec le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, je dis qu’au lieu de faire de la sensibilisation pour des femmes, leur rappeler tous les ans qu’elles ont des droits, faites ce tapage au profit des hommes. Réunissons-les comme vous réunissons les femmes, éduquons-les comme nous éduquons les femmes. Ils ont besoin de cela. Un homme éduqué est une famille qui est sauvée.
La justice est-elle plus sévère chez les femmes ou chez les hommes ?
La justice est plus favorable au meilleur payeur. Je n’aime pas aborder ce côté, parce que c’est dégueulasse, c’est moche.
Interview réalisée par Michèle EBONGUE







