Education : Les écoles japonaises face aux défis de l’entretien au Cameroun
École publique de Nkomo.

Education : Les écoles japonaises face aux défis de l’entretien au Cameroun

En 15 ans, le Japon a doté le Cameroun de 122 écoles et 1 533 salles de classe réparties dans les 10 régions du pays pour une enveloppe globale de 58 milliards de F Cfa l’entretien des écoles japonaises au Cameroun. Seulement, ces infrastructures dont la maintenance est une obligation de la partie camerounaise, baignent dans la vétusté et l’insalubrité. Les dirigeants desdites écoles à Yaoundé qui crient leur mal-être, confessent que les toilettes y sont pleines depuis plusieurs années, contraignant les élèves à déféquer à l’air libre.

École publique de Nkomo dans l’arrondissement de Yaoundé 4e, région du Centre, ce 08 décembre 2022, le décor est pitoyable. Divisée en groupe A1, A2, B1 et B2, cette école primaire présente un visage hideux. Les bâtiments jadis beaux et désormais recouverts de poussière ont fini par céder au poids de l’âge. Les murs sont si défraîchis. On a du mal à identifier leurs couleurs initiales.

Ici, la majorité des salles de classe n’a ni porte ni fenêtre. Celles encore existantes ont été renforcées par des planches qui, elles aussi, n’ont pas pu résister à l’usure du temps. Une institutrice rencontrée dans la cour de récréation, confesse qu’il y faut de toute urgence, des travaux de maintenance et que même les toilettes y sont pleines depuis plusieurs années, contraignant les élèves à déféquer à l’air libre.

Dans le même arrondissement à l’École publique de Kondengui, vieille de 17 ans, on vit le même cauchemar. Même son de cloche à l’École publique d’Olezoa dans l’arrondissement de  Yaoundé 3e, où le décor n’est non plus enviable. Créée en 1998 et ouverte le 28 février 2003, l’école divisée en deux groupes A et B, fonctionne en mode mi-temps.  La directrice Victorine Mendo Ze confie : « ce qui est plus grave ici, ce sont les toilettes ».

Ces écoles, construites sous fonds japonais dans le cadre du projet « don japonais » et offertes au Cameroun, préoccupent depuis plusieurs années, à cause de leur état de délabrement. La sonnette d’alarme a été tirée par la société civile japonaise qui après maintes descentes effectuées sur les différents sites en 2009, a trouvé la situation inquiétante.

Comment les écoles japonaises sont entretenu au Cameroun

Un état désastreux qui peut être l’expression d’un désir de changement de camp dans cette forme de coopération entre les deux nations, à en croire le Pr Paul Batibonak, diplomate et universitaire. Par exemple, dit-il, la manifestation du mécontentement du Cameroun au refus du Japon de donner une autre orientation dans la construction des écoles primaires publiques.

Malgré toutes ces défaillances, le Japon semble silencieux. Un silence qualifié d’apparent par le Pr Paul Batibonak, qui suppose, qu’il s’agit certainement d’une volonté du Japon de respecter la souveraineté du Cameroun. « L’analyse devrait se situer au-delà de l’interprétation du silence médiatique qui logiquement cache les rappels plus ou moins formels empreints de courtoisie diplomatique », analyse-t-il.

A en croire cet universitaire, bien qu’il s’agisse d’un « don non-remboursable », le Japon avait lui aussi quelque chose à gagner. Il rappelle en effet, qu’en relation internationale, les intérêts priment. « C’est pour l’opinion publique qu’on dit non remboursable mais ces financements se remboursent toujours d’une manière ou d’une autre. Il y a toujours une contrepartie même si elle n’est pas de même nature. Elle peut se faire sous forme de soutien, de facilité dans l’investissement ou dans l’installation des investisseurs japonais », explique-t-il.

Apee

Face à cet état des lieux, l’ancienne ministre de l’Education de base (Minedub), Haman Adama, a organisé des rencontres annuelles qui, visiblement, n’ont pas changé grand-chose et pourtant en 2004, les entrepreneurs chargés de diriger les travaux ont formé les futurs utilisateurs sur les questions liées à la maintenance de ces « cadeaux ».

En plus, un budget de 900 millions de Fcfa « serait » réservé annuellement pour la cause.  « Depuis 2016 que je suis dans cette école, le Minedub n’a jamais déboursé 1 Fcfa pour l’entretien de l’école et pourtant chaque année, il y a un agent envoyé du ministère qui vient faire les devis pour les réparations mais ne revient plus jamais », confie la directrice de l’École publique d’Olezoa.  Selon cette directrice, l’école recourt  aux frais de l’Association des parents d‘élèves et enseignants (Apee) tant pour se ravitailler en produits d’entretien qu’en tables bancs. Les parents sont donc obligés de payer 5000 F Cfa et parfois plus.

« Dans nos rapports de fin d’année, il y a une rubrique consacrée à l’état des besoins de l’école. Chaque année donc, nous rappelons à la hiérarchie l’état de délabrement de nos écoles mais rien n’est fait, nous sommes obligés de tout espérer de l’Apee », souffle une autre directrice d’école. Ce prélèvement des frais de l’Apee fait que la survie de l’école primaire repose sur les ménages et pourtant l’école primaire publique est gratuite au Cameroun selon le décret présidentiel du 19 février 2001 qui, dans son article 47 dispose que : « les élèves des écoles primaires publiques sont exemptés des contributions annuelles exigibles ». Ce décret faisait suite à plusieurs législations nationales et internationales.

l’entretien des écoles japonaises au Cameroun Budget

Qui des deux parties devait assurer la maintenance de ces écoles ? Nos tentatives de recueillir les avis du Minedub et ceux de l’ambassade du Japon au Cameroun sont restées vaines. Néanmoins, le Rapport de l’étude préparatoire pour le projet de construction d’écoles primaires en République du Cameroun mentionne que la partie camerounaise a pour obligations d’entretenir les infrastructures construites et les équipements fournis par le projet.  Dans un article publié le 29 janvier 2009 dans le journal à capitaux publics Cameroon tribune, la coordinatrice du projet « don japonais » Monique Constance Ndongo affirmait que des lignes budgétaires existent et sont spécialement allouées à la maintenance de ces écoles.

Selon elle, il était au moins prévu de peindre les murs tous les ans. « C’est forcément les directeurs d’écoles avec en amont les inspecteurs et délégués du Minedub qui doivent entretenir ces écoles mais on se rend compte que lesdits directeurs ne font rien et ne cherchent qu’à gérer l’argent de l’Apee », accuse l’ancien président du Syndicat national des instituteurs et maîtres des parents (Snycomp), Charles René Koung. Il poursuit en expliquant que ce manque d’entretien vient des nominations fantaisistes auxquelles on assiste au Cameroun car après avoir payé pour être nommés, les gens viennent récupérer l’argent investi.

« C’est étonnant de penser que c’est toujours l’autre, surtout l’Etat en l’occurrence, qui doit être la solution ou l’initiateur de solutions pour tous les maux de notre société », pense Dr Joseph Bomda, spécialiste des sciences de l’éducation. L’état de délabrement de ces écoles, soutient-il, est à l’image de celui de nos villes, de nos rues où les poubelles côtoient au quotidien de paisibles citoyens qui, curieusement, prennent soin de leurs maisons. « Il s’agit donc, d’un problème de mentalité, une mentalité du sous-développement exprimée par l’incapacité à s’approprier un outil d’aide au développement local », dit-il.

Avis que ne partage pas le secrétaire général de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (Fecase), Emanuel Thobie Mbassi Ondoa, pour qui ces écoles sont à l’image de toutes les autres écoles publiques au Cameroun (14. 000 écoles primaires publiques en 2022, selon René Emmanuel Sadi, le ministre de la Communication). Le syndicaliste insiste que depuis l’avènement de la décentralisation, c’est aux municipalités d’entretenir les écoles primaires publiques, il doit le faire à travers un budget affecté  aux communes tels que prévu dans le décret du Premier ministre du 26 février 2010 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux communes en matière d’Éducation de base l’entretien des écoles japonaises au Cameroun.

A la commune d’Obala, dans la Lékié, région du Centre, relève le maire, Simon Pierre Ediba, ces fonds sont annuellement perçus. Cependant, il regrette la maigreur de cette enveloppe qui n’a jamais excédé 20 millions F Cfa à repartir dans près de 100 écoles. Par contre, l’ancien maire d’Edéa 1er qui soutient n’avoir jamais rien perçu, mais reconnaît avoir reçu l’argent alloué au paquet minimum s’élevant parfois à 3,5 millions F Cfa pour environs 60 écoles

« Avec tous ces jonglages, vous comprenez que l’école n’est pas une priorité au Cameroun et que l’Etat a abandonné son financement entre les mains des parents. La priorité, ce n’est pas dans les discours, mais dans les moyens que l’on affecte », tranche le secrétaire général de la Fecase. Ce syndicaliste en veut pour preuve le budget alloué à l’éducation qui est toujours loin des engagements pris par l’Etat lors de la ratification de l’Agenda 2030 des Nations unies sur les Objectifs du développement durable (Odd).

D’ailleurs le quatrième Odd portant sur l’accès pour tous à une éducation de qualité et inclusive, oblige le Cameroun à consacrer au moins 20% de son budget au secteur de l’éducation. Lors du Forum mondial sur le financement de l’Éducation, tenu en juillet 2021 à Londres, le Cameroun a encore pris l’engagement de mettre son budget de l’éducation à 18,57%,  mais rien n’a toujours été fait car depuis 2016, ce dernier n’a jamais atteint 16%

A en croire Dr Joseph Bomda, l’Etat doit certes contribuer à l’entretien de ces écoles. Cependant, les bénéficiaires doivent s’organiser pour prendre le relais. « On mettra le budget alloué à l’éducation même à 50%, tant que les Hommes n’auront pas une mentalité progressiste, rien ne changera. Cet état de délabrement amène aussi à s’interroger sur le sens de l’école et de ses infrastructures dans notre contexte », pense-t-il. Il ajoute : « il se trouve malheureusement qu’on ne prend soin que de ce qui nous est cher. Dès lors, il est évident que l’état de délabrement de ces écoles est le témoin du dédain des bénéficiaires. Quand je parle de bénéficiaires, je ne vois pas que l’Etat, je vois aussi les populations bénéficiaires environnantes. Il urge d’envisager des programmes de développement de compétences communautaires. C’est un aspect de la santé mentale communautaire qui mérite attention ».

l’entretien des écoles japonaises au Cameroun Financements

Ces dons japonais selon l’ambassade du Japon au Cameroun, sont pensés en 1993. Ils cadrent avec la politique d’assistance du Japon au Cameroun, où figurent les dons ou aides non remboursables consistant entre autres à la construction des écoles. D’après Sukulu.News, 122 écoles et 1533 salles de classe ont pu être construites en 15 ans dans les 10 régions du pays. En plus des écoles, on aura des salles de classe équipées de 45 990 bancs, 262 blocs administratifs et 151 blocs latrines. Pour un budget de près de 58 milliards de F Cfa. « Avant l’arrivée des écoles issues du don japonais, on avait parfois des effectifs de 150 élèves dans une seule salle de classe. Avec ce projet, il était question de régler le problème des effectifs pléthoriques dans les grandes villes, problème qui ne se pose pas avec acuité dans les petites villes à faible densité », explique Charles René Koung. Yaoundé et Douala bénéficient de 30 écoles pour 336 salles de classe et obtiennent de 1999 à 2001, le plus grand budget soit 17 milliards de F CFA. Le groupe composé de Bamenda, Santa, Bali, Tubah, Bafut, Ndop et Fundop, qui bénéficie de 18 écoles pour 202 classes a reçu 5 milliards F Cfa, la plus petite enveloppe budgétaire.

A en croire l’ancien président du Snycomp, les infrastructures scolaires japonaises ont permis de réduire les effectifs à moins de 100 élèves par classe, grâce à la création de plusieurs groupes scolaires qui se relaient dans un même site par le système de mi-temps. « On peut aussi dire que de par leurs statures imposantes, le modèle de construction des établissements japonais a apporté une touche de modernité dans l’environnement scolaire primaire qui baignait dans l’absence de toilettes, d’eau, de tables-bancs, de tableaux noirs dignes de ce nom etc. Malheureusement c’est l’entretien de toutes commodités qui laisse à désirer », déplore -t-il.

Mélanie Ambombo

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet Open data for Governance in Cameroon (ODAGOGA), initié par ADISI-CAMEROUN, avec l’appui financier de l’International Freedom of Expression Exchange (IFEX).
A lire aussi :  Education : L’interdiction du fouet dans les écoles divise

2 thoughts on “Education : Les écoles japonaises face aux défis de l’entretien au Cameroun

  1. Bel article.

    C est vraiment triste de pouvoir vivre de telles réalités au Cameroun. Donc ce pays est juste incapable de pouvoir entretenir un don et pérenniser de telles actions ? ?? Les milliards qui sont détournés régulièrement par une poignée de personnes pemettraient pourtant de garantir l éducation des enfants dans un milieu descend. A l école la délinquance juvénile n est que le reflet de ceux qui gouvernent ce pays. Vous voulez le beurre et l argent du beurre. Ce n est qu au Cameroun qu on peut voir pareille conneries.

  2. Vraiment déplorable !
    L’éducation a été abandonnée aux mains des mercantilistes .
    C’est chacun qui y vient pour se servir et non servir !
    Comment peut-on détourner chaque année les budgets qui permettent d’entretenir ces dons japonais en abandonnant les toilettes bouchées et en laissant les élèves déféquer à l’air libre ?

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