Des projets des ONG bénéficiaires de l’aide américaine dans le cadre de la lutte contre ces pathologies, à Douala, sont à la traîne, certains interrompus, après le gel brusque des financements de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international par l’administration Trump.

« C’est un choc, traumatisant même à la limite dans la mesure où le message est arrivé sans aucune alerte. »  Déplore Njoume Diesel, le coordonnateur du projet consolidation des systèmes et services de prise en charge des orphelins et enfants vulnérables au Cameroun (Cosmo). Un programme implanté par l’Association mères et enfants solidaires (MERENSO). Cette organisation de la société civile qui intervient dans les 4 domaines du projet : la santé, la scolarité, la stabilité et la sécurité, est l’un des bénéficiaires des financements de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid).

 Dès son investiture le 20 janvier 2025, Donald Trump, le président américain, a gelé les fonds de cette agence qui représente 42 % du budget de l’aide humanitaire mondiale pour une durée de 90 jours. « Le 28 janvier 2025, on a reçu ce mail qui nous a annoncé l’arrêt immédiat des activités et l’arrêt des différents contrats », se souvient Njoume Diesel.

Ce mardi 4 mars 2025, cet acteur de la société civile a consacré un moment d’échange à DataCameroon entre les réunions avec les collaborateurs et ses descentes sur le terrain. L’équipe est sous pression depuis la reprise de certaines activités, notamment des projets dédiés à la lutte contre le Vih-Sida, après quelques jours de chômage technique. Une reprise qui fait suite à la dérogation d’urgence accordée par le Secrétaire d’Etat américain, pour permettre la poursuite du traitement vital contre le Vih financé par les Etats-Unis dans 55 pays à travers le monde, dont le Cameroun. « Durant cette période de reprise, nous allons travailler du 17 février jusqu’au 17 mars 2025, essentiellement sur le volet santé. On fournit des prestations en matière de prise en charge psychologique et financières et d’appui à plus de 3 000 personnes directement et indirectement exposées au Vih à Douala », relève Njoume Diesel.

Malgré cette reprise, le doute plane sur la pérennité des activités. « Il y a une crainte. Déjà au niveau du staff en dehors de ceux à qui on a demandé de reprendre le travail, d’aucuns ont démissionné eux-mêmes à cause du stress.  MERENSO par exemple, a enregistré 2 démissions. Nous-mêmes, réfléchissons déjà à notre avenir. Parce que jusqu’ici nous n’avons pas un mot définitif de la continuité malgré que la phase de ce projet en cours devrait prendre fin en 2028 », craint le coordonnateur du projet Cosmo.

Résurgence

A Douala, plusieurs programmes de lutte contre le paludisme et le Vih-Sida sont en gestation ou en arrêt. Une menace silencieuse qui pèse sur les organisations de la société civile qui ont fait de la lutte contre ces maladies qui continue de sévir au Cameroun, leur bataille. « En ce moment, notre association traverse une période difficile en raison de la suspension du budget de l’USAID. Sur une vingtaine d’acteurs engagés dans le projet, un quart de notre personnel se retrouve malheureusement en chômage. Cette situation affecte non seulement notre capacité opérationnelle, mais aussi notre moral », déplore Paul Urbain Mawong, Directeur exécutif Association Camerounaise pour l’Education Sexuelle des Adolescents (ACESA).

Cette suspension des financements, souligne-t-il, compromet la capacité à lutter efficacement contre le VIH et le paludisme, deux problèmes de santé publique majeurs au Cameroun. « Les lacunes dans notre accompagnement augmentent le risque de transmission de ces maladies et aggravent la situation des personnes déjà affectées. En outre, la réduction des ressources allouées à ces activités affecte également la sensibilisation et la prévention, qui sont essentielles pour maîtriser ces épidémies », relève Paul Urbain Mawong.

Dans le domaine de la santé, a indiqué Christopher J. Lamora, l’ambassadeur des USA au Cameroun, lors du Forum de partenariat économique USAID-Cameroun, en octobre 2024, les États-Unis ont investi plus de 650 millions de dollars (un peu plus de 393 milliards de F Cfa) dans la lutte contre le paludisme, le VIH/SIDA et la tuberculose au Cameroun. L’Usaid est l’un des principaux partenaires financiers du Cameroun dans le secteur de la santé.

Ce sont ainsi des progrès acquis pendant des années de lutte contre ces pathologies qui sont menacées, mettant en danger des milliers de Camerounais. « Il est légitime de craindre une résurgence du VIH et du paludisme. Les interruptions dans le soutien et les services essentiels peuvent entraîner une augmentation des nouveaux cas et une détérioration de la santé des personnes déjà affectées. Cela pourrait annuler les progrès significatifs réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre ces maladies », regrette Paul Urbain Mawong.

Avec une épidémie généralisée et une prévalence supérieure à 1 % dans toutes les populations cibles, le  nombre de nouvelles infections au Vih est passé de 47 958 en 2018 à 17 673 en 2024, après avoir atteint 9 900 en 2022 selon l’OMS. Les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentent la tranche d’âge la plus touchée. Pour ce qui est du paludisme, le Cameroun fait partie des 11 pays les plus touchés au monde, avec un taux de plus de 2 millions de cas et 1 756 décès en 2023.

Pour sortir de cet engrenage, ces organisations envisagent de diversifier leur source de financement, de mener des plaidoyers et sensibilisations, et d’impliquer davantage les communautés locales pour renforcer la résilience collective et la prise en charge communautaire.

Marie Louise MAMGUE et Hyacinthe TEINTANGUE (stagiaire)