Présidentielle 2025 : A l’Ouest, des déplacés internes dans l’impasse

À l’approche de la présidentielle de 2025, des milliers de déplacés internes installés dans la région de l’Ouest, ne disposant pas de pièces d’identité, ni mutation électorale, seront exclus du vote. Une situation qui alimente un sentiment d’illégitimité chez ces Camerounais qui ont quitté leurs régions à cause de l’insécurité.

Precious T., est une victime de la crise sécuritaire qui sévit dans les régions anglophones depuis 2016. En 2019, ce Camerounais de 24 ans, a trouvé refuge à Mbouda chez un bienfaiteur. Precious, rêvait d’aller aux urnes, mais il ne pourra pas voter à la Présidentielle du 12 octobre 2025, faute de documents d’identité. « J’ai désormais l’âge de voter. Mais, sans acte de naissance, je n’ai pas pu obtenir une carte nationale d’identité depuis que je suis ici », déplore cet originaire de Ndop dans la région du Nord-Ouest.

Selon ce déplacé interne, son petit commerce ne lui permet pas de financer une procédure de jugement supplétif, pourtant indispensable pour établir un nouvel acte de naissance. Sans pièce d’identité, impossible pour lui de s’inscrire sur les listes électorales.

Comme Precious, Maxim F., également un autre déplacé installé à Mbouda, ne pourra pas voter. Inscrit à l’antenne communale d’Elections Cameroon (Elecam) de Belo depuis 2015,  il a perdu sa carte d’électeur pendant son déplacement. « Je me suis rendu à l’antenne communale d’Elecam pour une mutation, mais on m’a dit que, sans la carte d’électeur physique, ce n’est pas possible », raconte-t-il. Installé désormais à plusieurs kilomètres de son bureau de vote d’origine, il renonce à faire le déplacement pour des raisons de sécurité. « Avec les multiples menaces des assaillants dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, je ne peux pas prendre le risque d’y retourner pour voter », confie-t-il.

Dans le département de Noun, qui accueille une forte communauté  de déplacés internes, installée à Makeka, à Foumbot, plusieurs ne disposant pas d’acte de naissance, sont exclus du processus électoral. « Nous sommes ici sans actes de naissance, ni cartes nationales d’identité. Nous avons tout perdu lors de nos différents déplacements », confie Tabue, secrétaire général du comité de développement de ce village. Il souligne qu’avec le soutien d’une organisation de la société civile, la collecte des données y afférentes en cours, a permis d’identifier une trentaine de personnes en âge de voter sans actes de naissance, en vue des jugements supplétifs.

Selon Hermand Guena, coordonnateur national de l’association humanitaire Gamos Take Care International, un projet a été initié pour l’établissement des actes de naissance aux personnes concernées, car il s’agit de leur permettre de se sentir « citoyens du monde, intégrés dans la citoyenneté mondiale de l’Unesco ».

Crise anglophone

Interrogée sur la situation des déplacés internes, une source au sein de l’antenne régionale Ouest d’Elecam tient à rappeler les dispositions légales. « À Elecam, nous inscrivons tous les Camerounais ayant atteint la majorité électorale. Nous ne faisons aucune discrimination. Peu importe qui se présente devant le kit d’enregistrement, nous traitons la demande », affirme-t-elle. Elle relève également que les mutations électorales sont bel et bien autorisées pour les électeurs ayant déménagé, à condition qu’elles soient effectuées avant la convocation du corps électoral, conformément à la loi.


Le contexte général de la crise anglophone aggrave ces problématiques d’état civil et de participation électorale, a précisé Séraphine Kenko Ngankam. En 2025, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus d’un million de personnes vivent en situation de déplacement interne au Cameroun.

Une étude relayée par ReliefWeb en janvier 2024 faisait état de plus de 2 millions de personnes déplacées de force, dont 1 075 252 déplacés internes, 478 469 réfugiés enregistrés et 10 433 demandeurs d’asile. Si 658 548 personnes ont pu regagner leurs localités d’origine, les retours restent timides et souvent périlleux, du fait de l’insécurité et de la précarité des infrastructures.

Droit de vote

À quelques mois de l’élection présidentielle, la majorité de ces milliers de Camerounais restent exclus du processus démocratique, non pas par choix, mais faute de documents d’identité ou en raison de l’insécurité persistante. Pour Precious et bien d’autres déplacés, le droit de vote demeure un luxe inaccessible, sans papiers officiels, ni mutation électorale validée.

Selon Hermand Guena, cette situation nourrit un sentiment d’illégitimité chez les exclus. Pour le sociologue Martin Tchinda, il est urgent que les pouvoirs publics facilitent l’obtention des actes de naissance et des cartes nationales d’identité, afin de permettre aux déplacés internes de participer pleinement à la vie citoyenne. « Ce n’est pas une mauvaise perception pour les déplacés de ne pas voter, mais une injustice à corriger », soutient-il.

Au 31 décembre 2024, 880 392 électeurs ont été inscrits dans cette région, répartis dans 3 194 bureaux de vote. Toutefois, les chiffres de distribution des cartes inquiètent : sur 139 008 cartes produites, seules 23 759 ont été retirées, soit un taux de retrait de 13,1 %, selon Elecam. La dernière phase d’inscription, lancée le 2 janvier 2025, a permis d’enregistrer 24 049 nouveaux électeurs à l’Ouest, selon le gouverneur de la région, Augustine Awa Fonka. La majorité de ces inscrits (69,02 %) ont moins de 35 ans.

Aurélien Kanouo Kouénéyé

Cet article a été produit dans le cadre du projet Partenariat pour l’intégrité de l’information

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