Présidentielle 2025: « La désinformation n’a pas seulement accompagné la crise, elle en est devenue un facteur structurant »
Sylvie Jacqueline Ndongmo, présidente internationale de Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (Wilpf) et coordinatrice de la Salle de veille et d’alerte des femmes et des jeunes de Wilpf Cameroon revient sur l’expérience de son organisation durant l’élection présidentielle d’octobre 2025.
Quelle observation faites-vous face à la désinformation observée durant la période électorale d’octobre 2025 au Cameroun ?
Pendant la période électorale, nous avons axé notre action sur le monitoring des violences à travers notre salle de veille et d’alerte des femmes et des jeunes. Avec les moniteurs déployés sur le terrain et une équipe dans la salle (téléopérateurs, experts des chambres ou cellules d’analyse, de réponse ou décision, de communication et fact-checking), nous avons observé une prolifération de contenus manipulés en ligne et de messages parfois intentionnellement destinés à diviser les communautés ou à créer de la confusion. La désinformation n’a pas été marginale ou isolée. Elle a constitué un phénomène systémique au cœur de la séquence électorale et surtout post-électorale.
Quels sont les types de fausses informations et de discours haineux qui ont été particulièrement répandus ?
L’analyse de la salle de veille et d’alerte permet d’identifier plusieurs catégories dominantes. Les fausses informations électorales, telles que la falsification de procès-verbaux, le gonflement des listes électorales ou l’annonce prématurée des résultats, ainsi que les fausses alertes sécuritaires sur des arrestations massives, disparitions ou violences non confirmées, dominent l’analyse. Tout comme les discours haineux et communautaires, qui prennent la forme de stigmatisations tribales, menaces et appels à la violence, souvent relayés depuis la diaspora. Ces fausses citations, vidéos attribuées à des acteurs politiques et faux communiqués alimentent la tension en ciblant des communautés ou des personnalités, représentant un risque majeur de violences réelles par leur viralité et leur charge émotionnelle.
Quels ont été leur impact sur le climat social et la stabilité du pays ?
La désinformation n’a pas seulement accompagné la crise, elle en est devenue un facteur structurant, avec un impact profond et multidimensionnel. Elle a profondément impacté le climat social et la stabilité du pays en accentuant la fragmentation, en nourrissant la méfiance entre communautés et en renforçant le sentiment d’injustice. Sur le plan sécuritaire, la circulation de contenus alarmistes et violents a créé un climat de peur, favorisant des réactions émotionnelles et des mobilisations spontanées, tout en contribuant à la polarisation et à l’effondrement narratif des institutions, dont la parole a été contestée ou rejetée par une partie de l’opinion publique.
Quelles recommandations feriez-vous aux acteurs politiques, médiatiques et à la société civile pour mieux lutter contre la désinformation et les discours de haine ?
Nos recommandations s’articulent autour de quatre axes complémentaires, avec l’objectif de protéger la cohésion sociale et de permettre aux citoyens, en particulier aux femmes et aux jeunes, d’exercer leurs droits dans un environnement sain et sécurisé. Pour lutter contre la désinformation et la haine, il faut que les acteurs politiques communiquent de manière responsable et transparente, en vérifiant leurs informations ; que les médias privilégient la vérification et la contextualisation, et que tous renforcent l’éducation aux médias et leurs capacités de modération en tenant compte du contexte local.
Interview réalisée par Hyacinthe TEINTANGUE







