Présidentielle 2025 : « Tous les moyens sont bons lorsqu’ils sont efficaces »
Professeur Aristide Michel Menguele Menyengue, Maître de Conférence en Science politique à l’Université de Douala fait une analyse sur le recours à la manipulation d’images et vidéos durant la présidentielle d’octobre 2025 au Cameroun.
Selon vous, qu’est ce qui expliquerait ce recours à des images hors contextes et à celles générées par l’IA ?
Les compétions politiques se font avec une variété de moyens et des répertoires d’action complexes et pluriels. L’enjeu de la conquête et/ou de la conservation du pouvoir contraint souvent les entrepreneurs politiques à diversifier les moyens d’action, de pression et d’expression pour mettre toutes les chances de leur côté en fonction des gains et rentes escomptés. Le recours à des images hors contexte et à celles générées par IA dans le contexte électoral actuel est l’indicateur explicite du fait qu’en matière de conquête et de conservation du pouvoir, les acteurs ne lésinent pas sur les moyens. L’enjeu semble suffisamment important pour se risquer à limiter les moyens de séduction politique. Il s’agit de faire le marketing politique par d’autres moyens susceptibles de garantir la visibilité et, le cas échéant, la popularité, facteurs décisifs dans la perspective d’une victoire électorale. Avec ce recours à des images hors contexte et à celles générées par IA, la politique s’arrime à son temps et se modernise substantiellement.
Comment comprendre que même des responsables de campagne se prêtent à ce jeu de la désinformation ?
Une approche classique du pouvoir considère qu’en matière de conquête et surtout de conservation du pouvoir, tous les moyens sont bons lorsqu’ils sont efficaces. Si cette conception de la politique qui postule l’illimitation des moyens du jeu politique est de plus en plus remise en cause par le paradigme de la nécessaire moralisation de la vie politique, il reste que les enjeux de conquête et/ou de conservation du pouvoir sont en général rebelles à cette logique de moralisation politique. Sous ce rapport, pour comprendre pourquoi des responsables de campagne se prêtent à ce jeu de la désinformation, il faut nécessairement intégrer dans l’analyse le fait que les jeux et enjeux de pouvoir résistent souvent avec succès à la moralisation de la vie politique. Ici, l’enjeu tue littéralement le jeu dans la mesure où les acteurs politiques résistent laborieusement à la tentation de prêcher le faux pour obtenir le vrai. La banalisation de la désinformation dans le contexte électoral actuel est révélatrice de la capacité des acteurs politiques à diversifier les stratégies de conquête et de conservation du pouvoir y compris par le recours à des instruments de make-up politique tels que l’IA.
Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Cette situation est un analyseur pertinent des rationalités qui président au déploiement et au redéploiement des acteurs en contexte électoral. Elle traduit une volonté de diversification des moyens de séduction politique et renseigne sur l’état d’esprit de chaque acteur impliqué dans ces modes alternatifs de pratique du marketing politique. Ce qui est en jeu dans ce recours à des images hors contextes et à celles générées par l’IA, c’est la visibilité, la construction d’une popularité même virtuelle et la séduction politique par des formes de « make-up » numériques. Aussi, cette banalisation des images hors contextes et à celles générées par l’IA traduit-elle une volonté de marquer le terrain et de faire de la TIC des instruments de communication et de marketing politique à grand renfort d’images re profilés et de trends. Il s’agit de donner une image moderne des acteurs politiques qui s’inscrivent dans la modernité politique en enrôlant l’IA dans les stratégies de marketing.
Quels seraient selon vous, les enjeux cachés derrière cette manipulation ?
Si cette banalisation de la désinformation a des fonctions manifestes, la manipulation politique à laquelle recourent des entrepreneurs politiques dans le contexte électoral actuel a aussi des fonctions latentes. Ces fonctions latentes se déclinent sous forme d’enjeux cachés dans la mesure où, il ne s’agit pas seulement de garantir la visibilité des acteurs politiques, mais il s’agit aussi de déplacer le débat et d’orienter l’attention sur des images pour dissimuler subtilement les failles et faiblesses des programmes politiques respectifs des candidats en lice. Cette « folklorisation » de la compétition politique permet donc à éviter des débats de fond sur les offres politiques des candidats. Vu comme tel, ce recours à des images hors contextes et à celles générées par l’IA est hautement stratégique.
Interview réalisée par Michèle EBONGUE







