Violences conjugales : « La société camerounaise est particulièrement violente »
Arouna Mfenjou Pountougnigni, sociologue

Violences conjugales : « La société camerounaise est particulièrement violente »

Dans cet entretien, Arouna Mfenjou Pountougnigni, sociologue évoque les mobiles de la recrudescence des violences conjugales dans la société camerounaise.

Qu’entend-on par violence conjugale ?

La violence conjugale est un ensemble de comportements agressifs, abusifs ou violents exercés par un partenaire envers l’autre, au sein d’une relation intime. Elle peut se manifester sous plusieurs formes et ce n’est pas uniquement de la violence physique. En général, on distingue : la violence physique (coups, morsures, strangulation, brûlures ou tout autre acte qui cause des blessures physiques) ; la violence psychologique ou émotionnelle (comportement visant à dénigrer, rabaisser, contrôler ou isoler la victime. Cela inclut l’humiliation, les insultes, la manipulation, la menace et l’isolement social) ; la violence verbale (insultes, menaces, cris ou toute forme de parole visant à faire du mal ou à intimider) ; la violence sexuelle (forcer la partenaire à des actes sexuels non consentis ou la manipuler pour obtenir des faveurs sexuelles) ; la violence économique (contrôler l’accès de la victime aux ressources financières, l’empêcher de travailler ou utiliser l’argent comme moyen de contrôle).

Qu’est-ce qui peut justifier la recrudescence des cas de violences conjugales dans notre société d’aujourd’hui ?

La société camerounaise dans son ensemble est travaillée par la violence. Et la violence qui est substantielle à la société aujourd’hui se traduit à des échelles plus ou moins variées. Par exemple, au marché, il y a la violence. Dans la rue, il y a la violence. Dans des écoles, il y a la violence. Et du coup, dans des ménages, il y a également la violence.

Mêmes dans des chaînes de télévision et de radio, nous sommes permanemment face à des situations de violences. Et la violence à ceci de particulier : plus un individu est fortement exposé à la violence, il intègre et intériorise la violence comme étant un mode de vie. Ainsi, dans des ménages, pour un rien, un(e) conjoint(e) peut se trouver en train d’exceller dans les actes de violence. Il faut comprendre que la société camerounaise est une société particulièrement violente. Cela se traduit par des façons de penser et d’agir des uns et des autres. Vous n’avez qu’à voir dans les rues aujourd’hui, vous piétinez une personne sans le savoir, à peine, vous avez présenté vos excuses que la personne vous a déjà insulté.

Le mal était-il aussi profond il y a 10, 15 voire 20 ans ?

En réalité, les violences conjugales ont toujours existé. Mais sauf que dans la socialisation de la jeune fille au mariage, le discours qu’on entend également est celui du stoïcisme. C’est souvent de lui dire supporte et abstiens-toi. Parfois, les parents font comprendre à la femme que le mariage n’est rien d’autre que la patience.

Lorsqu’elle intègre cette perception du mariage, même si elle est victime de violences, elle peut difficilement les extérioriser. Lors des cérémonies de mariage, les parents vont jusqu’à dire à la fille que la chose fondamentale qu’elle doit comprendre est que le mariage n’est rien d’autre que la patience, le fait de supporter son conjoint. Lorsqu’elle intègre donc que le mariage n’est rien d’autre qu’un stoïcisme complet, en réalité, même si elle est victime de violences, elle va difficilement les extérioriser. Elle en parlera difficilement à son entourage et à sa famille.

Avec les réseaux sociaux aujourd’hui, deux personnes peuvent être en train de se battre, quelqu’un d’autre avec son Smartphone, fait des photos et balance. Du coup, ce qui était caché avant, arrive à être dévoilé avec la montée fulgurante des plateformes numériques.

Qu’est-ce qui explique autant de violences dans les ménages ?

Nous vivons dans un environnement en perte de repère, dans une sorte de société ambiguë. En réalité, les uns et les autres ne savent pas ce qu’ils sont. Beaucoup de camerounais souffrent d’une crise d’identité. Un camerounais en même temps veut s’identifier à un français et à un américain. Il arrive parfois à oublier qu’il vit dans un environnement qui a ses règles et ses codes. Et une fois que les uns et les autres n’arrivent pas à comprendre qu’en réalité ils sont dans un environnement autre que celui présenté dans les chaînes de télévision, ils peuvent se retrouver en train de poser des actes qui n’ont rien à voir avec la culture africaine et davantage celle camerounaise. C’est à partir de ce moment que les uns et les autres vont se retrouver offenser en disant que le comportement de tel ne cadre plus avec les agissements de la personne que j’ai connue avant.

Entretien réalisé par Aurélien Kanouo Kouénéyé

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