Violences conjugales : Près de 80 cas de féminicides recensés en 2023 au Cameroun
Une victime de violence conjugale ©Amnesty International

Violences conjugales : Près de 80 cas de féminicides recensés en 2023 au Cameroun

En l’espace de 4 mois sur la même période, une vingtaine de cas ont été enregistrés uniquement dans la région du Centre, selon le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille Violences conjugales et féminicides au Cameroun. Les bourreaux sont dans la majorité des cas, des époux, compagnons ou ex-compagnons.

Vêtue d’un mini kaba (robe traditionnelle du peuple sawa au Cameroun) fleuri dont la longueur atteint à peine les genoux, le foulard noué sur la tête qui cache les cheveux et des sandales aux pieds, Brigitte Flore Massong (nom d’emprunt) est tout sourire à notre rencontre. C’est une femme plutôt frêle qui s’efforce à ne laisser transparaître aucun sévices dû aux multiples coups qu’elle a subi de son ex-mari.

Brigitte n’a que 16 ans lorsqu’elle rencontre Rodrigue (nom d’emprunt), son aîné de 11 ans. Elle est assistante maternelle, tandis que son amoureux, âgé de 27 ans, vient de perdre son emploi Violences conjugales et féminicides au Cameroun. Une situation qui semblait n’avoir aucune incidence sur le couple, jusqu’à ce que Rodrigue soit à nouveau salarié. « Quand il a commencé à avoir un salaire, je n’étais plus une personne importante. Il a renoué avec son ancienne copine », narre Brigitte.

C’est ainsi que Rodrigue manque à ses devoirs conjugaux. « La première fois, je venais d’accoucher. Il m’a giflé à cause d’une histoire de cordon ombilical. En réponse, j’ai frappé le plat de nourriture que j’avais sur son visage. C’est alors qu’il s’est mis à me rouer de coup. C’est la bailleresse qui m’a secourue », se souvient cette mère de 4 enfants qui a subi plusieurs autres bastonnades. Elle garde aujourd’hui des séquelles de ces violences, à l’instar des troubles visuels.

Contrairement à Brigitte, Pierrette fond en larmes à la seule évocation de son expérience en tant que femme battue. « Un soir alors qu’il m’avait déjà sorti de la chambre conjugale pour m’installer dans celle des enfants depuis 2 ans, il a pris le soin d’emballer mes choses et de m’accompagner chez mes parents où je vis depuis 3 ans », confie d’une voix tremblante, cette gestionnaire d’un kiosque de transfert d’argent à Mbouda, dans le département des Bamboutos, région de l’Ouest.

Ces deux femmes ont eu de justesse, la vie sauve. La nommée Roukayatou y a laissé la vie à Bertoua, région de l’Est. La gardienne de la paix de 25 ans, a succombé aux blessures et lésions consécutives à la bastonnade que son conjoint lui a infligées. Un énième cas déclaré en 2024.

Selon le ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille (Minproff), de février à mai 2023, plus d’une vingtaine de femmes ont été tuées soit par leur époux, compagnon ou ex-compagnon, soit par des brigands ou des inconnus dans la région du Centre. Dans la région du Littoral, entre janvier et novembre 2023, près d’une quinzaine de femmes ont trouvé la mort des suites d’actes de violence physique et sexuelle commis par leur conjoint ou des inconnus. Les autres régions ne sont pas épargnées par cette montée de féminicides et de violences envers les femmes. Seulement en 2023, plus de 80 cas de féminicides ont été recensés dans les grandes villes et les zones rurales du pays.

Entre 2019 et 2020, au moins 130 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints au Cameroun et 60 % d’entre elles sont victimes de violences conjugales, selon la Commission nationale des droits de l’homme. Des données alarmantes qui inquiètent sur le territoire national.

Dans son rapport sur la 36e édition de la Journée internationale de la femme publié en 2021, l’Institut national de la statistique (INS) du Cameroun  indique que près de la moitié des femmes, soit  45,5% ont subi à un moment de leur vie, une forme de violence.

Ce phénomène, peut-on lire, est encore plus présent chez les femmes enceintes. « Avec un pourcentage de 5% en 2018. Les violences physiques subies par les femmes pendant qu’elles sont enceintes sont plus répandues en milieu rural (8%) qu’en milieu urbain », lit-on dans le rapport. Bien que exposées à tous les types de violences conjugales, les plus répandues sont les physiques.

Cependant, les femmes ne sont pas les seules victimes. A en croire Charlotte Tchakounté, avocate au barreau du Cameroun, « il y a des hommes qui se plaignent aussi, même s’ils ne sont pas nombreux ». « Quelques-uns ont raison de le faire (…), j’en ai défendu un cette année », confie l’avocate.

Bouba Marcel fait partie de ces cas. Battu par sa partenaire, il peine à évoquer le sujet malgré leur rupture. « Les gens ne croiraient pas si je disais que j’ai été agressé par ma compagne. Elle m’a frappé plusieurs fois. Je me sentais humilié et incapable de me défendre », confie-t-il.

Contrairement à lui, Youssouf déclare qu’en plus d’être violente, Samira, son ex compagne, avait une grande influence sur lui. « Après une longue période de manipulation émotionnelle, je me suis rendu compte que je ne savais plus qui j’étais. Elle me traitait de faible lorsque j’essayais de lui résister.  Un soir, elle m’a poussé contre le mur et m’a serré le cou. J’étouffais ! J’ai eu la peur de ma vie », se souvient Youssouf.

Selon Abdoulaye Amoa, délégué régional du Minproff pour le Nord, durant les douze derniers mois, des plaintes de victimes des violences conjugales ont été enregistrées, venant en majorité des femmes. Cependant, il est difficile d’avoir des données structurées.

Au tribunal de Garoua et au tribunal coutumier du Lamidat de la même ville, il ressort que les violences sur les hommes dans la région du Nord sont exercées en majorité par des femmes ayant une aisance sociale. « La majorité des femmes accusées dans notre juridiction sont celles qui ont une stabilité sociale et financière. Donc, elles sont irrespectueuses envers leur conjoint et sa famille », explique Modibbo Bassirou Yaya, juge au tribunal coutumier au Lamidat de Garoua.

A en croire Fidelis Njie Ewumbue, délégué régional des Affaires sociales(Minas) pour l’Ouest, les violences conjugales naissent entre autres, de l’éducation sociale, de la disparité d’âges entre les partenaires et du non-respect du devoir conjugal.  En 2023, la délégation régionale du Minas pour l’Ouest a répertorié 203 victimes de violences conjugales, contre 186 en 2022. Soit une hausse de 17 cas. « Il faut aussi noter que les victimes ne vont toujours pas vers les services compétents. Beaucoup de cas sont gérés en famille », relève Fidelis Njie Ewumbue.

Selon Zachée Tanda, avocat au barreau du Cameroun, les fauteurs des violences conjugales courent des peines d’emprisonnement allant de 5 à 20 ans, assorties d’amendes allant de 100 000 à 2 000 000 F Cfa. « Dans le cadre des violences conjugales, seule la victime peut porter plainte avec preuves à l’appui. Ces preuves peuvent être constituées de prises de vue ou photos et de certificats médicaux. La victime a le choix de porter plainte dans une unité de police ou de gendarmerie ou encore saisir tout simplement les tribunaux », explique-t-il.

Absence de données

Dans la région du Littoral, il est difficile d’avoir les données sur les violences domestiques.  « On ne traite pas cela, ça n’entre pas dans notre champ d’action. Les commissariats, les tribunaux, ne nous transmettent pas les données. Nous avons certes des outils de collectes à ces services, mais ils ne capitalisent pas ces données. Ils s’occupent uniquement de nos cibles que sont les personnes âgées, les violences sur les mineurs, etc. qui relèvent du Minas dans tous ses aspects », informe la délégation régionale du Minas.

Au Minproff pour le Littoral, les cas de violences domestiques varient selon les années. Et jusqu’au 1er trimestre de l’année 2024, la délégation a enregistré 59 cas, dont 26 en janvier. « Il faut savoir que ces chiffres ne représentent pas la région du Littoral. Il s’agit ici, des personnes qui se sont signalées à la délégation. Mais il y a des associations, des ONG, les commissariats, la police qui ont des données, mais elles ne convergent pas à nos services », explique Gisèle Caroline Ekoh, déléguée régionale du Minproff pour le Littoral qui nous réfère vers ces institutions.

Dans le but d’avoir des données factuelles, DataCameroon s’est rendu au commissariat du 9e arrondissement à Deido, puis à la Brigarde Ter d’Akwa Sud. Mais nous avons été orientés vers la légion de gendarmerie du Littoral. Sauf que sur place, nous avons été référés au Secrétariat d’Etat à la défense (SED). La même procédure a été adoptée à la Délégation régionale de la Police Judiciaire du Littoral où nous avons été renvoyés au ministère de la Défense.

Le Colonel Cyril Atonfack, le chargé de la communication du ministère de la Défense que nous avons joint au téléphone, nous a, à son tour, renvoyé vers les services compétents dans la région du Littoral.  « Le secrétariat d’Etat à la défense et la délégation générale à la Sûreté nationale sont vos interlocuteurs(…) Rendez-vous à la Légion de gendarmerie de Douala et à la délégation régionale de la police », a-t-il indiqué.

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Violences conjugales et féminicides au Cameroun Le tribunal

Selon une source au Tribunal de Première Instance (TPI) de Douala-Bonanjo, il n’existe pas d’infraction appelée violence conjugale. Par contre, « les violences conjugales sont introduites dans les cas de divorces, dont les dossiers sont à la section « droit local », encore appelée « droit traditionnel », souligne-t-elle.

Pour avoir les données sur les cas de violences domestiques enregistrées dans ce tribunal, DataCameroon a eu accès aux registres de ce secteur droit local Violences conjugales et féminicides au Cameroun. Il ressort que le TPI de Bonanjo a enregistré plus de demandes de divorces en 2023, qu’en 2022. Soit 184 personnes en 2023, contre 176 en 2022.

Idem pour les divorces liés aux violences conjugales, où les plus grands demandeurs sont des femmes, avec pour principaux chefs d’accusation les sévices physiques, les injures, l’infidélité, les coups et les menaces de morts, etc. « Les divorces se prononcent de plus en plus facilement. De plus en plus, on préfère que vous divorçiez au lieu d’arriver à des extrêmes telles que des féminicides et des homicides. Au fur et à mesure qu’on avance, la tendance est croissante dans l’obtention de divorce », confesse le chef section droit local du TPI de Douala-Bonanjo.

Les réseaux sociaux, la pauvreté, la crise économique et sociale, la vie chère sont selon Gisèle Caroline Ekoh, entre autres facteurs qui font perdurer la violence. Pour remédier à cela, le Minproff sensibilise les familles, organise des conseils éducatifs sur les violences conjugales, forme des couples, des célibataires et des femmes aux activités génératrices de revenus. « L’idéal chez nous, c’est la réconciliation et la paix. Il est question de montrer les responsabilités des uns et des autres. Nous ne souhaitons pas le divorce. Quand il y a des enfants, nous conjuguons des efforts pour que la paix revienne », soutient Fidelis Njie Ewumbue.

Michèle EBONGUE, Aurelien KANOUO et Peter KUM

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