Enseignements Secondaires : « L’Etat perdrait environ 30 milliards de F Cfa par an du fait des redoublements »
René Bonono Bakota, spécialiste en management de l’éducation, dénonce une défaillance managériale et pédagogique dans la gestion des frais de scolarité au Cameroun. Il révèle également que la réforme du paiement de cet argent par voix électroniques dans les enseignements secondaires publics favorise la malhonnêteté des opérateurs et viole des dispositions légales.
Comment expliquer que des milliards F Cfa collectés chaque année dans les établissements secondaires publics ne se traduisent pas par une amélioration visible de la qualité de l’enseignement ?
Il n’y a pas de lien étroit et significatif entre le montant des frais de scolarité et la qualité de l’éducation. La structure du prix des frais de scolarité ne contient pas suffisamment de montants pour impacter directement les apprentissages, mis à part peut-être les questions de laboratoire ou de matériel didactique.
Le véritable problème est la qualité de l’enseignement, qui dépend directement de la formation des enseignants. L’Approche par les compétences (Apc), adoptée depuis 2014, n’est pas maîtrisée par beaucoup d’enseignants. Cela se traduit par des sujets donnés en classe qui n’ont souvent rien à voir avec la réalité de ce qui est demandé aux examens officiels.
Il y a aussi un problème de management dans les établissements publics. Le même personnel enseignant dans le privé offre parfois des enseignements de qualité. C’est un problème de management qui impacte significativement la qualité des apprentissages. L’État perdrait environ 30 milliards de F CFA par an du fait des redoublements, chaque redoublement coûtant à l’État le coût unitaire de la scolarisation d’un élève, estimé à environ 500 000 F Cfa au secondaire.
Quelle part des frais de scolarité profite réellement aux établissements eux-mêmes ?
C’est incertain. Après la péréquation par la Direction des ressources financières et matérielles, les chefs d’établissement constatent des écarts (gaps) très importants entre le montant attendu et ce qui est réellement reçu. Ces gaps ne sont pas expliqués. Le montant collecté au cours de l’année scolaire 2024- 2025 (12, 5 milliards F Cfa) est même faible par rapport aux 16 milliards de F Cfa que l’on enregistrait avant la réforme instituant le paiement électronique des frais de scolarité.
Le premier versement n’arrive parfois qu’à la fin du premier trimestre c’est-à-dire en décembre, obligeant les proviseurs à puiser dans l’argent de l’Association des parents d’élèves et enseignants (Apee) pour le fonctionnement de l’établissement en début d’année.
Les mécanismes actuels de gestion des fonds (via Campost, opérateurs mobiles, etc.) garantissent-ils la transparence et la redevabilité ?
Non. La réforme qui est l’introduction du paiement électronique des frais de scolarité par les parents a institué plusieurs problèmes. D’une part, elle a augmenté les frais de scolarité, car les parents ajoutent des frais de transaction (200 à 500 F Cfa) aux opérateurs. Un argent supplémentaire qui n’est prévu dans aucun dispositif réglementaire de ce fait, les opérateurs concernés « se sucrent » sans aucune procédure. Du point de vue de la loi, il y a de la malhonnêteté.
D’autre part, les chefs d’établissement n’ont pas le droit de toucher à cet argent, ce qui leur enlève les moyens de contrôler les inscriptions. Aussi, la ministre des Enseignements secondaires a recentralisé les paiements et fait créer des comptes bancaires pour les lycées, en violation de la loi qui exige que l’argent des établissements publics passe par le Trésor public dans un contexte de décentralisation de l’éducation.
Quelles réformes de gestion permettraient une meilleure utilisation des ressources scolaires ?
Il est crucial de former les chefs d’établissement au management, car on peut être un bon enseignant sans être un bon manager. Ils doivent cesser de fonctionner comme des institutions pour fonctionner comme des organisations. Les nominations doivent être basées sur la performance et les résultats, et non sur l’amitié ou la corruption.
A cela, l’un des maillons essentiels est la formation des enseignants sur l’Apc. Le ministère pourrait utiliser les inspecteurs pour des missions de renforcement des capacités. Un investissement annuel de 1 à 2 milliards de F Cfa pour ces missions permettrait de diminuer les redoublements et d’éviter la perte de 30 milliards de F Cfa. Enfin, il faut mettre fin à la pratique qui permet aux élèves d’avancer en classe supérieure sans avoir corrigé leurs échecs.
Où se situe aujourd’hui la principale faiblesse du système : dans la planification, le financement ou la maintenance des infrastructures ?
La principale faiblesse, c’est le financement, car le financement permet d’adresser une maintenance et de construire une bonne planification. C’est un système qui est sous financé. L’État met peu de ressources à la disposition des établissements, qui fonctionnent à 80-90 % des frais d’Apee et de scolarité payés par les parents. C’est un gros problème.
Il faut trouver des sources de financement innovantes ou alternatives, et mieux réguler la micro-planification au niveau des établissements, notamment à travers l’implémentation du projet d’établissement. Il faut aussi noter le problème de la corruption qui affecte les dotations, où, pour un carton d’un million F Cfa, on ne vous donne peut-être que 600 000 F Cfa.
Comment interprétez-vous la multiplication des cours de répétitions chez les élèves des établissements secondaires publics. Est-ce le signe de l’échec du système ?
Oui, c’est le signe de l’échec du système et d’un dysfonctionnement profond. Le système n’arrive plus à offrir la qualité des apprentissages dans un environnement normal, et ces cours pallient un manque au niveau pédagogique. L’enseignant est payé pour tout donner en salle de classe. Le fait que les cours de répétition soient devenus une norme pour que l’enfant réussisse montre une défaillance.
Que faut-il faire pour réduire cette dépendance aux répétitions ?
Il faut améliorer la qualité de l’enseignement au sein de l’école. La direction des établissements doit lutter contre ces cours de répétition et garantir que les enseignants dispensent la totalité du programme correctement durant les heures officielles. C’est avant tout une question de management.
Dans quelle mesure le coût du transport influence-t-il l’accès à l’éducation ?
Le coût du transport a une influence extrêmement importante sur l’accès et le séjour/qualité de vie de l’enfant. Pour le parent, ce coût peut parfois être plus lourd que les frais de scolarité. Pour l’enfant, la distance et le temps de transport impactent sa fatigue, son risque et réduisent son temps d’étude.
Comment expliquer que certaines régions soient mieux dotées que d’autres en infrastructures scolaires ?
C’est un problème d’application de la carte scolaire et de politisation du processus. Le processus de création des établissements a été savamment politisé. Les hommes politiques s’en servent comme un butin de guerre ou un outil de charme électoral. La carte scolaire elle-même est bien conçue (elle observe le nombre d’élèves, la distance de l’établissement le plus proche, etc.), mais le problème est son application et le non-respect des principes qui la régissent.
Faut-il repenser la carte scolaire pour rapprocher les élèves de leur établissement ?
Non. La carte scolaire est déjà bien pensée. Elle est définie selon des paramètres clairs comme le nombre d’élèves et la distance de l’établissement le plus proche. Le problème, c’est son application, c’est-à-dire le non-respect des principes à cause de la politisation. Il faut juste la respecter.
Propos recueillis par Mélanie Ambombo







