Consommation : Le paradoxe des céréales camerounaises
Le Cameroun, pays au potentiel agricole indéniable, avec une production céréalière insuffisante pour satisfaire la demande locale, se retrouve à exporter des céréales vers ses pays voisins. Un phénomène qui soulève des interrogations.
En 2024, selon une note annuelle de l’Institut national de la statistique (Ins), le Cameroun a dépensé 543,7 milliards F Cfa pour l’importation des céréales. Soit une hausse de 40% en glissement annuel. Les quantités importées ont progressé de 36%. La facture du riz s’est élevée à 318,5 milliards de F Cfa tandis que celle du blé a atteint 214 milliards de F Cfa.
Pourtant, paradoxalement, le Cameroun dont les importations massives traduisent la dépendance du pays vis-à-vis des marchés internationaux pour nourrir sa population, exporte de manière informelle, ces mêmes céréales vers ses pays voisins. Il s’agit notamment de la farine de blé (9,2%) et du riz décortiqué (8,8 %).
En 2024, les recettes des exportations informelles du Cameroun vers ses pays limitrophes ont atteint 214,98 milliards de F Cfa, soit une hausse de 3,8 % par rapport à 2023.
En se concentrant sur les six pays frontaliers du Cameroun, il en ressort qu’en 2024, les exportations formelles vers ses pays ont totalisé 245,12 milliards de F Cfa, contre 214,9 milliards de F Cfa pour le volet informel, soit 87,7% du volume formel.
Les régions de l’Extrême-Nord (via le pont de N’Guéli) et du Sud-Ouest (par le poste d’Ekok) demeurent les principaux points de passage de ces flux commerciaux majoritairement constitués de produits agricoles, agroalimentaires et manufacturés. Une vingtaine de biens constituent l’essentiel de ces exportations, pour un poids cumulé de 80,6 % de la valeur totale. En plus de la farine de blé et du riz décortiqué, on y retrouve, le cacao en fèves (19,3 %), les savons et détergents (6,5 %).
Ce commerce informel des céréales, alimenté par des réseaux de commerçants transfrontaliers et des dynamiques socio-économiques locales, intrique, selon l’économiste, Dr Paul Ongolo. « Ce paradoxe s’explique d’abord par la géographie économique, car dans certaines zones, la production ou les stocks disponibles dépassent la consommation immédiate, créant des excédents qui partent vers les marchés frontaliers », explique -t-il. Il souligne que ces flux sont aussi alimentés par la différence des prix : « les céréales achetées ou importées au Cameroun peuvent être revendues à meilleur prix au Tchad ou au Nigeria. Les commerçants frontaliers bien intégrés dans les communautés locales, profitent de ces marges et assurent une circulation fluide des produits, mais en dehors des circuits officiels », souligne -t-il.
Cependant, cette dynamique tel que relevé par Dr Paul Ongolo, bien que rentable pour les acteurs frontaliers, crée un déséquilibre sur le marché intérieur. Initialement destinés à la consommation nationale, les produits se retrouvent exportés, contribuant à aggraver la rareté et à tirer les prix vers le haut. Pour lui, il devient urgent de mieux mesurer et réguler ces flux, afin de concilier les besoins internes et les opportunités externes.
Mélanie Ambombo







