Désinformation : « ses dégâts se comptent désormais comme sur les doigts de la main »

Auteur de l’essaie intitulé « désinformation en Afrique francophone » publié aux éditions à Jet d’encres, Paul Joël Kamtchang fait une analyse de l’impact de la désinformation sur la démocratie en Afrique francophone.

Vous venez de publier un livre intitulé « désinformation en Afrique francophone » publié aux éditions à Jet d’encres. Quel est votre regard sur la question en Afrique francophone en général et au Cameroun en particulier ?

Comme je l’indique dans mon premier essai, la désinformation est le premier mal qui gangrène notre jeune démocratie en Afrique francophone. Plus qu’une arme, elle est devenue un outil de gouvernance dans la plupart des Etats francophones aussi bien au Sahel qu’en Afrique de l’Ouest et centrale globalement.

Il faut prendre la désinformation ici dans toute sa splendeur la plus pernicieuse. Elle touche désormais à tous les domaines de la vie publique de nos Etats, avec une prédominance sur la politique et les questions de géopolitique, d’où le néologisme « interférence/ingérence étrangère » désormais bien installé au cœur des relations entre Etats.

La désinformation reste selon vous, une gangrène qui touche tous les secteurs (politique, santé, éducation…), qu’est-ce qui peut expliquer son ampleur dans la société ?

Il convient d’emblée d’indiquer que la désinformation a toujours existé mais prend des proportions très inquiétantes de nos jours, notamment à cause de ses affres sur la vie quotidienne. Ses dégâts se comptent désormais comme sur les doigts de la main.  Ainsi dit, son ampleur, au mieux, ses ampleurs peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs dont les plus importants se recrutent parmi la viralité qu’offre internet en général et les réseaux sociaux en particulier. C’est sans compter qu’on y retrouve une frange très jeune d’utilisateurs très vulnérables.

La consommation de l’information étant assujetti à un boulevard sans garde-fou, les cabinets noirs en ont fait un terrain de prédilection où les proies sont faciles. En Afrique francophone, presque tous les jeunes disposant d’un smartphone, sont connectés principalement à un réseau social dont Facebook pour l’essentiel. Leur faible culture numérique, les expose à tout type d’information, dont les plus manipulées. Le hors-contexte étant le plus concerné, suivi du montage, des paroles. Avec l’entrée en matière de l’IA, la détection se complexifie et les jeunes qui ne sont pas parés à ce niveau de complexité technologique, sont davantage pris dans l’étau de la désinformation, y compris les deepfake.

Comme autre facteur, la désinformation est devenue un commerce très lucratif. Comme arme hydride, elle permet le contrôle des batailles idéologiques et des clivages. Aussi, le contrôle de la bataille de l’opinion. Tout compte faire, comme on peut d’ailleurs l’observer, le phénomène est désormais au cœur des pouvoirs et aide à développer des narratifs selon les bords.

Quels sont les enjeux de la désinformation en cette veille électorale au Cameroun ?

Contrairement à 2018 où la désinformation et les discours de haine se sont invités presque par infraction en pleine période électorale, pour cette élection de 2025, on constate que c’est depuis fin 2024 que les signaux sont assez perceptibles. Ils donnent par ailleurs, les tendances de ce que sera le rendez-vous électoral de 2025. Il s’agit d’un savant dosage de discours de haine accompagné de désinformation. Mais là, on est encore aux ballons d’essai pour déblayer la voie à ce qui arrive. En témoigne le silence parfois complice des institutions en charge de réguler tout ceci.

On assiste donc, a une bataille du contrôle de l’espace et de l’opinion publics à la veille de cette échéance électorale très importante qui elle-même, revêt plusieurs enjeux à la fois sociaux, et politiques. A l’analyse, la désinformation et les discours de haine est une stratégie publique utilisée par tous les acteurs politiques et sociaux y compris ceux qu’on appelle « leader d’opinion ».

Il est question de construire un narratif qui vole parfois très bas, autour d’un candidat, d’une idéologie pour espérer faire adhérer la masse en vue d’obtenir un capital sympathie très importante en période électorale. Si certaine candidature ne souffre de rien, l’observation implique que d’autres sont en souffrance et certains camps font feu de tout bois pour que ces candidatures ne prospèrent pas. C’est à dessein, mais il faut le décrier pour le déplorer parfois en violation des lois y relatives.

La fibre tribale est ainsi activée pour une orientation optimale de ce narratif essentiellement adossé sur les discours de haine. Ainsi, tous les canaux sont mis à contribution : médias classiques à travers certains programmes de débat et plus majoritaire, les réseaux sociaux dont Facebook qui est la plateforme sociale la plus fréquentée par les utilisateurs d’internet au Cameroun.

Pensez-vous que l’Afrique francophone est assez préparée pour lutter contre ce fléau ?

Malheureusement non, lorsque vous voyez les moyens mobilisés par les officines et ceux en face mis en place par ceux qui prétendent lutter contre la désinformation. Le phénomène en Afrique francophone est une véritable industrie où des acteurs se recrutent selon qu’on soit populaire, qu’on peut apporter une touche pour consolider une position socio-politique ou géostratégique. Derrière, ce sont des hommes politiques, des tenants des pouvoirs, qui puisent dans des caisses noires pour alimenter le phénomène. N’oubliez surtout pas que qui contrôle l’opinion, contrôle le pouvoir, qui détient l’information, détient le pouvoir. Cette maxime est plus que d’actualité en ce moment en Afrique francophone notamment au Sahel où vous allez remarquer que les nouveaux tenants du pouvoir, font tous les efforts pour contrôler l’opinion et les débats publics.

Il n’existe plus de media libre dans ces pays, les bons journalistes sont poussés à l’exile, tandis que la société civile est muselée. Même les pays comme la Cote d’Ivoire sont déjà sur cette voie, le Cameroun le fait déjà et c’est bien dommage pour notre pauvre démocratie.

En face comme je le mentionne dans mon essai, la réponse au phénomène est très mole. Très peu de formations sur la question pour capacité les médias, très peu de médias investis dans la lutte contre le phénomène pourtant ces 2 dernières années, on observe une avalanche d’initiatives de lutte contre la désinformation. Peut-être un effet de mode, mais le modèle économique adossée à ces initiatives reste très irréaliste, la plupart comptant sur des bailleurs pour exister et se buttent aux questions de durabilité. L’une des techniques efficaces de lutte contre la désinformation qu’est l’Education aux médias et à l’information (EMI) reste très embryonnaire ou mis en œuvre de façon très peu sérieuse ou fantaisiste.

Est-ce exagéré de dire que les francophones sont plus attentistes face au phénomène de la désinformation que ne le sont les anglo-saxons ?

Bien au-delà de cet attentisme auquel vous faites allusion, notons qu’il y a même la paresse. Très peu d’initiatives en Afrique francophone dans ce sens prospèrent et résistent à l’usure du temps. Ceci peut s’expliquer par plusieurs facteurs dont la question de financement souvent au cœur des interrogations. Mais aussi l’absence des bailleurs soutenant la production des contenus. Certains refusent cette prise d’intérêt dans la crainte d’être taxés comme des financiers des publications parfois défavorables aux régimes en place. Ceci peut faire prendre un coup, aux coopérations bilatérales ou multilatérales des pays d’origine du bailleur de fonds. Plusieurs déstabilisations en Afrique sont souvent assimilées à ce type de tableau. A tort ou à raison, très difficile de le démontrer avec des éléments probants. On le voit avec les accusations contre Usaid pour conforter la paire Trump-Musk dans le démantèlement de ce mastodonte.

Tout compte faire, il faut profondément penser un modèle économique des médias de fact-checking en Afrique francophone, structurer durablement ces organisations de lutte contre la désinformation et penser aux reformes d’ouverture d’information au public dans ces Etats dont très peu dispose d’une loi-cadre sur l’accès à l’information. Même si l’avoir n’est pas une panacée, c’est déjà un grand pas.

Pour rester dans l’actualité, la suspension des financements américains par Trump affecte également les médias et les organisations impliquées dans la désinformation en Afrique. Cela pourrait-il ralentir l’engouement des pays d’Afrique francophone dans la lutte contre la désinformation ?

Cela ne devrait pas, parlant d’engouement, mais plutôt d’effort. Tant il est vrai que plusieurs médias dépendaient de ces financements. Plusieurs médias occidentaux dont on croyait être des exemples en matière de développement d’une stratégie de durabilité en font les frais. Cela montre au moins les limites du modèle classique tel qu’enseigné dans les grandes écoles de journalisme.

Il faut complétement repenser ce modèle surtout dans un contexte où ce type d’approche à très peu de chance de prospérer. On n’ira pas proposer des abonnements ou des subventions à une entreprise qui vous regardera d’un mauvais œil, sachant que vous pouvez la fact checker ou qui peut vous donner la pub pour payer votre silence. Idem pour ces firmes qui disent faire de la RSE pour vous rendre complice des distorsions en matière de droit de l’homme ou de protection de l’environnement.  La question devient extrêmement sensible quand on est un media de fact-checking et les principes de l’IFCN sont intransigeants à cet effet.

Entretien réalisé par Marie Louise MAMGUE

 

 

 

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