Droit Electoral : Ce qu’il faut savoir sur la saisine du Conseil constitutionnel

*Le Dr Hilaire kamga, expert principal des questions électorales, fait une note de compréhension de la décision d’incompétence du Conseil constitutionnel, précision sur la gestion des contestations et contentieux des élections au Cameroun et perspectives pour des élections crédibles en 2025 et 2026

J’ai appris, sans grande surprise, le sort réservé à la requête du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) adressée au Conseil constitutionnel aux fins d’exiger la publication, par le Directeur Général des Elections, de la liste électorale nationale. A la suite de la sollicitation de nombreux Camerounais, je me suis senti dans l’obligation de proposer cette analyse du droit électoral camerounais à titre pédagogique et dans une perspective méliorative de la gestion des réclamations et des contestations électorales.

Je dois d’emblée dire que je ne suis aucunement surpris par une telle décision rendue par la Haute Juridiction. Hans Kelsen avait démontré avec autorité que « l’intervention d’une justice constitutionnelle est indispensable à l’efficacité et à la garantie d’une constitution », à l’État de droit. Pour autant, il faut que ce juge constitutionnel soit doté de la légitimité suffisante qui fonde son indépendance et sa neutralité. Malgré l’emprise de l’ordre gouvernant de Yaoundé sur les membres du Conseil Constitutionnel, dont beaucoup sont d’anciens membres et militants du parti au pouvoir (RDPC) au Cameroun, laquelle pose le problème de la légitimité du juge


1MRC Parti politique légalisé au Cameroun et dirigé par le Professeur Maurice KAMTO
2Voir Kelsen Hans, La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle), RDP, 1928, p. 197 ;constitutionnel , le Conseil Constitutionnel s’est néanmoins appuyé sur le droit électoral camerounais en se déclarant incompétent pour statuer sur la matière querellée.
En effet, cette opération de saisine de la Haute Juridiction, que j’estime salutaire, permet de mettre en exergue la place réelle et surtout les possibles attentes que l’on pourrait avoir à l’endroit du Conseil Constitutionnel pour des élections que l’on voudrait crédibles d’une part, et d’autre part, de mettre en exergue les éléments de conflictualité introduits volontairement dans le droit électoral camerounais de seconde génération consacré par l’avènement de la Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifiée et complétée par la Loi n°2012/017 du 21 décembre 2012 portant code électoral Camerounais.

Aussi plusieurs questions reviennent en surface. Doit-on saisir le Conseil Constitutionnel pour toutes les questions relatives au processus électoral ? Autrement dit, le droit électoral camerounais n’a-t-il pas prévu d’autres instances aptes à connaitre des contestations électorales, pré et post électorales ? Le principe de la compétence d’attribution justifie-t-il l’aveu d’incompétence prononcé par le Conseil Constitutionnel ou alors cette décision induit-elle plutôt une preuve de non-impartialité de cette importante institution qui est le garant de la régularité des élections et notamment de l’élection présidentielle ?

La lecture de la décision rendue et les avis recensés çà et là au sein de l’opinion, doublés à la polémique qui s’en est suivie m’obligent à donner une avis technique sur l’opportunité de la saisine de cette institution concernant des matières de cette nature ( A), pour mieux comprendre les provisions de l’arsenal juridique des élections au Cameroun, notamment en matière de contestations préélectorales ( B) , ceci dans une perspective propositionnelle pour des élections effectivement crédibles en 2025 et 2026 au Cameroun ( C).

A. De l’opportunité de saisine du Conseil constitutionnel au cours du cycle électoral.

Dans ce paragraphe, il convient de rappeler la question de la capacité et l’intérêt à agir devant le conseil Constitutionnel (1), pour ensuite s’appesantir sur l’action devant cette Haute Institution en période préélectorale sous le prisme de cette affaire de non publication de la Liste Electorale Nationale (2)
1) La capacité à agir devant le conseil constitutionnel,
II convient d’abord d’indiquer que selon l’article 47 alinéa 2 de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008, « le Conseil Constitutionnel est saisi par le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, un tiers des députés ou un tiers des Sénateurs. Les Présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil Constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause » . Selon l’alinéa 4 de l’article 47, « Le Conseil Constitutionnel donne des avis sur les matières relevant de sa compétence ». La loi ici est très claire et désigne les personnes habilitées à saisir le Conseil Constitutionnel, à


Voir Favoreu Louis, « La légitimité du juge constitutionnel », Revue internationale de droit comparé. Vol. 46 N°2, avril-juin1994. pp. 557-581 sur les questions de la légitimité des juges constitutionnels.
Voir également la décision N° 01/CC/CT du 14 octobre 2020 du Conseil Constitutionnel camerounais dans la mesure où le sieur pasteur ne fait pas partie des autorités susvisées par la loi organique, et n’a pas qualité pour saisir le Conseil ; Décision N° 01/CC/SG/G/SDAC du 09 juillet 2020 du Conseil Constitutionnel camerounais où, l’Union Générale des Travailleurs du Cameroun ne fait pas partie des personnes habilitées pour saisir le Conseil Constitutionnel.

l’exception des cas où ce Conseil Constitutionnel se donne une compétence personnelle sur la base de l’appréciation de l’affaire en question .
De même, cette liste des personnes habilitées à saisir le Conseil Constitutionnel est élargie lorsque les matières concernées sont les élections. En effet, l’article 48 alinéa 2 de la loi constitutionnelle suscitée dispose clairement que « En cas de contestation sur la régularité de l’une des élections prévues à l’alinéa (1) ci-dessus, le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout candidat, tout parti politique ayant pris part à l’élection dans la circonscription concernée, ou toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour cette élection ».

Mais cet élargissement à priori est limitatif dès lors que l’objet de la saisine doit être relatif à une élection en cours. Cela disqualifie les partis politiques n’étant pas légalement engagés dans une élection de saisir la juridiction pour des matières préélectorales.
Pour autant, le juge constitutionnel peut créer une compétence en ajoutant des principes qui ne sont à aucun moment évoqués par le Constituant .
Or, dans la décision de ce 21 janvier 2025, le juge constitutionnel a décidé de se référer à la loi organique. Une autre hypothèse serait de hiérarchiser les partis politiques au vu des précédentes consultations électorales de type national et de sa dynamique dans le milieu politique camerounais . Cette tendance hypothétique serait complètement irrecevable car il touche à l’égalité des partis politiques prescrite par l’article 1 de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008. En plus, cette hypothèse serait de nature à semer le chaos politique, ce qui est contraire aux attributions du Conseil Constitutionnel .
Toujours selon cet article 48 alinéa 1 de la Loi constitutionnelle qui dispose que « le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des consultations référendaires », le Conseil Constitutionnel intervient en tant régulateur des opérations électorales au Cameroun. L’alinéa 2 prévoit qu’en « en cas de contestation sur la régularité de l’une des élections prévues à l’alinéa 1 ci-dessus, le Conseil Constitutionnel peut être saisi par tout candidat, tout parti politique ayant pris part à l’élection


Brunet Pierre, « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques sur la Justice constitutionnelle » paru dans La notion de Justice constitutionnelle sous la dir. de Jouanjan Olivier, Grewe Constance, Maulin Éric et Wachsmann Patrick, Paris, Dalloz 2005 pp. 115-135 ; Voir Eivind SMITH, « Sur la nécessité logique » de l’accès à un juge constitutionnel, in « L’architecture du Droit », Mélanges en l’Honneur de Michel Troper, Economica, 2006, p. 931.
Décision DCC 06-074 du 08 juillet 2006 du Conseil Constitutionnel du Bénin : le juge innove en subordonnant la constitutionnalité d’une loi constitutionnelle au respect d’un principe à valeur constitutionnelle qu’il découvre à l’occasion du contrôle auto-habilité de la loi constitutionnelle d’origine parlementaire adoptée le 23 juin 2006, le juge constitutionnel de déclarer la loi inconstitutionnelle, pour non-respect d’un principe qui n’existait pas ; voir également la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 du Conseil Constitutionnel béninois où le juge constitutionnel a sommé les parlementaires de « voter impérativement la Loi des finances de l’exercice 2014 le 31 décembre 2013 ».
Cette hiérarchisation est déjà partiellement consacrée dans le Code électoral de 2012 avec l’avènement des partis politiques qualifiés pour présenter une candidature à l’élection présidentielle.
Vedel Georges, « Le Conseil Constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme », Pouvoirs n° 45, 1988, p. 149 ; Rousseau Dominique, « Faut-il une cour constitutionnelle pour contrôler la constitutionnalité des lois ? », Constitutions et pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Paris, Montchrestien 2008, pp. 465-474. Presque tous les constitutionnalistes s’accordent à reconnaitre et à justifier la nécessité de la justice constitutionnelle. « Pour l’essentiel, écrit Georges VEDEL, la légitimation de la justice constitutionnelle, sinon du juge lui-même, est accomplie : elle n’est qu’instrument, pouvoir constitué, servante de la souveraineté nationale. Elle garde le trône du souverain : elle n’y a point sa place ».

dans la circonscription concernée ou toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour cette élection. » .
Or, dans ce cas de figure, aucune élection n’est en cours du point de vue du droit électoral. En effet, on admet généralement que le début de la période électorale est matérialisé à travers un décret présidentiel portant convocation du corps électoral. Dans ce cas de figure et sur cette hypothèse, on peut subodorer que pour avoir la capacité d’ester devant le Conseil Constitutionnel en vertu de l’article 48 suscité, le parti politique ou le candidat doit être en course pour l’élection, ce qui se matérialise par un dépôt de candidature, dès lors que pendant cette période, la capacité d’ester devant le conseil est reconnue aux partis politiques, aux candidats et aux citoyens ayant le rang de membre du gouvernement . En somme, les partis politiques ne font partie des corps sélectionnés pour saisir le Conseil Constitutionnel que pour des matières et période bien précisées aussi bien par le Constituant que par la loi organique en la matière. Cette dérogation ne peut exceptionnellement être contournée que dans le cas d’une « demande de rectification d’erreur matérielle d’une décision » lorsque le parti concerné est intéressé dans ladite décision et ce en vertu de l’article 16 de la loi N° 2004/004 du 24 avril 2004 portant organisation du Conseil constitutionnel .
Pour autant, il faut noter que le juge constitutionnel dispose d’un pouvoir d’appréciation , ce qui peut lui permettre d’apprécier l’étendue de la période électorale, en incluant même la période précédant le décret de convocation du corps électoral, le juge constitutionnel disposant en effet de la « compétence de sa compétence » . Cette potentielle élasticité de la période électorale, si elle est consacrée par la jurisprudence, pourrait aboutir à un désordre jurisprudentiel et normatif, dès lors que les partis politiques seraient alors fondés, à passer outre les compétences d’attribution consacrées dans la loi organique pour s’autoriser la saisine du Conseil Constitutionnel dès la moindre constatation d’une irrégularité sans distinction de période pré-électorale et électorale
2) Sur l’intérêt à agir : la saisine du juge électoral en période préélectorale


Voir la décision N° 03/SRCER du 24 février 2020 du Conseil Constitutionnel camerounais sur l’affaire Sieur Z Am du PCRN C/ ELECAM MINAT RDPC. Requête en annulation totale des opérations électorales dans le Mfoundi ; voir également la décision N° 04/CC/SRCER du 24 février 2020 Affaire : Pekeuho Tchoffo Ernest, Président National du Bloc pour la Reconstruction et l’Indépendance économique du Cameroun BRIC C/ RDPC ELECAM MINAT UDP SDF. Requête en annulation totale des élections législatives dans la circonscription spéciale de la Mezam-Nord.

Article 45 de Loi N°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel.
 Article 16 : (1) Toute partie intéressée peut saisir le Conseil constitutionnel d’une demande en rectification d’erreur matérielle d’une décision.  (2) Cette demande doit être introduite dans les mêmes formes que la requête introductive d’instance, et dans un délai d’un (01) mois à compter de la notification de la décision dont la rectification est demandée  (Loi N°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel)
Decision N° C-005/02 DU 25 AVRIL 2002 de la cour constitutionnelle togolaise, où les juges constitutionnels ont apprécié la période et les institutions électorale afin de nommer une commission de 7 magistrat chargées de dirigées les élections aux lieux et place de la CENI.
G. Berlia, « La jurisprudence des tribunaux internationaux en ce qui concerne leur compétence », RCADI, vol. 88, 1955-II, p. 105ss ; I. F. Shihata, The Power of the International Court to Determine its Own Jurisdiction, Compétence de la compétence, La Haye, 1965 : La compétence de la compétence signifie qu’un organe arbitral ou juridictionnel est investi du pouvoir de déterminer lui-même l’existence ou de sa compétence pour trancher au fond un litige ou pour faire tout autre acte de juridiction, tel que l’indication de mesures conservatoires ;

L’article 132 alinéa 1 de la Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifiée et complétée par la loi n°2012/017 du 21 décembre 2012 précise que « Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle ». L’alinéa 2 du même article prévoit qu’il statue sur toute requête en annulation totale ou partielle des opérations électorales introduites par tout candidat, tout parti politique ayant pris part à l’élection, ou par toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour cette élection .
Au vu de cette disposition, le juge constitutionnel ne peut se prononcer qu’en période électorale dont le début est marqué par le décret présidentiel convoquant le corps électoral. Dans le cas d’espèce, il n’y a pas eu d’élection et le juge ne peut que se déclarer incompétent sauf si celui-ci invoque sa propre compétence sur une situation créée ou dans un cas de vide constitutionnel . Par conséquent, les contestations fondées sur les questions en lien avec « la liste électorale nationale » ne peuvent prospérer sur la forme au niveau du Conseil Constitutionnel, car il existe dans ces cas une compétence d’attribution dédiée aux autres structures, notamment le Conseil électoral d’ELECAM et la Cour d’Appel territorialement compétente conformément aux dispositions pertinentes des articles 10 et 81 de la loi portant code électoral.
Par ailleurs, j’ai indiqué que la saisine du Conseil constitutionnel en matière électorale est encadrée dans l’arsenal juridique camerounais aussi bien par le Code électoral que par la Constitution.
Tout candidat, tout parti politique, toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement peut, dans les conditions fixées par la loi, saisir le Conseil Constitutionnel en matière électorale, notamment pour toutes les situations de nature à entacher la régularité de l’élection présidentielle, des élections législatives et sénatoriales et des opérations référendaires.
A cet effet, la Constitution offre aux partis politiques un pouvoir spécial en matière électorale, notamment à travers l’article 3 qui dispose que « – Les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils doivent respecter les principes de la démocratie, de la souveraineté et de l’unité nationale. Ils se forment et exercent leurs activités conformément à la loi ».

Cette base juridique consacre les pouvoirs reconnus aux partis politiques, notamment l’exclusivité qui est donnée par le Constituant à travers l’article 3 qui fait des partis politiques des structures ayant une quasi exclusivité de concourir à l’expression du suffrage universel à l’exception d’un biais introduit pour l’élection présidentielle dans laquelle on peut contourner le parti politique, avec les candidatures indépendantes si l’on obtient les 300 signatures des personnes qualifiées .
Au regard de cette exclusivité reconnue au parti politique, il faut donc féliciter le MRC, qui en saisissant le Conseil constitutionnel a, une fois de plus, mis au-devant cette institution en éprouvant, ne serait-ce que sur le plan communicationnel, sa neutralité et son impartialité pourtant indispensables en démocratie.


Article 48 de loi n°96/06 du 18 janvier 1996 Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008
Francesco Saja, « la jurisprudence constitutionnelle, instrument de démocratie par le droit », foro italiano, volume 113, 1990, pp.201-204 ;
 Les personnes qualifiées renvoient ici à la qualité des signataires tel que précisé à l’article 121 alinéa 2 du code électoral, à condition d’être présentés comme candidat à l’élection du Président de la République par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les Régions, à raison de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de membre du Parlement ou d’une Chambre Consulaire, soit de Conseiller Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de premier degré.

En considérant que la question de saisine est évacuée, il est important de se prononcer sur la question de la compétence de cette institution au regard de la matière soumise à son appréciation et à sa haute délibération, notamment la question de la liste électorale nationale.

• Le problème de la matière soumise au débat devant le Conseil Constitutionnel : liste électorale nationale ou fichier électoral

En effet, le Conseil Constitutionnel a été saisi pour se prononcer sur le refus de Election Cameroon (ELECAM) de publier la liste électorale nationale au 30 décembre comme prévu par le législateur, et subséquemment, formuler une injonction au Directeur Général de cette institution, de publier cette fameuse liste électorale nationale.
En effet, ELECAM est chargé de la publication de la fameuse liste électorale nationale au sens de l’article 80 du code électoral qui dispose que « A l’issue des opérations de révision, et au vu des documents et données communiquées par les démembrements régionaux d’Élections Cameroon, le Directeur Général des Élections établit et rend publique la liste électorale nationale au plus tard le 30 décembre » .
Or dans un communiqué rendu public le 30 décembre 2024, le Directeur Général d’ELECAM écrit « (…) les listes électorales nationales sont disponibles, pour consultation, auprès des antennes communales d’Elections Cameroon et des points focaux d’ELECAM dans les représentations diplomatiques et postes consulaires du Cameroun à l’étranger ».
La question que bon nombre d’acteurs se posent reste celle de savoir si Elections Cameroun a publié la « liste électorale Nationale » en faisant publier « les listes électorales communales » ? Aussi une réponse cohérente à cette question serait hasardeuse si, au préalable on ne s’appesantit pas sur le concept même de « liste électorale nationale » en droit électoral.

Il convient de rappeler que dans cette stratégie d’insérer dans le code électoral des dispositions permettant à l’organe de gestion des élections (OGE) de mieux organiser éventuellement une fraude électorale, une démarche sémantique dans une perspective intelligente de confusion d’expressions a été adoptée lors de la codification à droit constant qui a permis l’émergence en 2012 de ce qui est convenu d’appeler aujourd’hui le « code électoral camerounais ».

En effet, on se serait attendu à ce que l’expression reconnue en droit électoral qui est le fichier électoral soit utilisée de manière appropriée. L’utilisation d’une telle expression n’aurait jamais permis à ELECAM d’avoir de subterfuge pour ne pas publier à date la liste nationale consolidée et donc le fichier électoral. Mais le législateur a préféré, après avoir utilisé les expressions « listes électorales communales », « fichier électoral provisoire du département (article78) », s’en tenir à l’expression « liste électorale nationale », lorsqu’il s’est agi de rappeler ce qui doit être fait le 30 décembre de chaque année, notamment l’agrégation de l’ensemble des listes électorales locales. Le refus d’utiliser cette expression consacrée de « fichier électoral » augure d’une anticipation des possibilités de subterfuge au moment où les Camerounais attendraient la publication du fichier électoral regroupant par circonscription l’ensemble des électeurs inscrits. La liste électorale nationale n’est pas toujours le fichier électoral. Elle ne l’est que dans l’unique cadre de l’élection présidentielle ou d’une consultation référendaire qui ont en commun l’unicité de la circonscription électorale.


Article 80 la loi N°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi N°2012/017 du 21 décembre 2012 ;

Au regard de ce qui précède, je dois affirmer sans ambages que le communiqué du DG d’ELECAM suscité en introduisant une nouvelle notion non reconnue par le droit électoral camerounais, notamment « les listes électorales nationales », embrouille les citoyens et rend coupable de tentative de manipulation de l’opinion. L’expression « les listes électorales nationales » au pluriel ne figure nulle part dans l’arsenal juridique encadrant les élections au Cameroun.
Pour autant, le non publication du fichier électoral constitue plutôt une contestation électorale, comprise ici comme un élément de mésententes entre les acteurs électoraux, qui ne seraient pas d’accord avec l’acteur principal qui est l’organisateur des élections (ELECAM). La « liste électorale » étant considérée comme un registre dressé comportant tous les noms des citoyens d’une circonscription électorale admis à voter, la « liste électorale nationale » quant à elle renverrait donc exclusivement à l’élection présidentielle et au référendum : consultations électorales pour laquelle il n’existe qu’une SEULE circonscription électorale. Or si le code électoral, en son article 80, avait utilisé l’expression consacrée en droit électoral qui est le « fichier électoral », ELECAM n’aurait jamais eu de possibilité juridique d’esquiver l’exigence de la publication, y compris par internet. L’expression piège de « liste électorale nationale » permet de subodorer qu’il n’est pas matériellement adéquat de disposer d’un registre pouvant contenir les 8 millions de noms ou d’un mur sur lequel on pourrait afficher les 8 millions d’électeurs inscrits !
En admettant qu’ELECAM n’est pas particulièrement préoccupé par la potentielle conflictualité du processus électoral, le législateur lui a donné une bonne porte de sortie qu’il reviendra , in fine, au Conseil Constitutionnel, après épuisement de toutes les voies de recours prévues par le Code électoral, de statuer sur la question et éventuellement d’exiger par sa jurisprudence que l’expression « liste électorale nationale » renvoie au Fichier électoral qui peut avoir toutes les formes , y compris la forme numérique.

Dès lors que le débat actuel est considéré comme une CONTESTATION ELECTORALE au sens du droit électoral, et plus précisément une contestation pré-électorale, alors la saisine en première instance du Conseil constitutionnel ne se justifie aucunement pas à cette étape.
Aussi, convient-il de s’appesantir sur les institutions prévues en droit électoral camerounais en matière de contestation et de contentieux pré-électoral.

B- Les provisions de l’arsenal juridique des élections au Cameroun notamment en matière de contestations préélectorales

Il est opportun d’indiquer que le droit électoral camerounais prévoit une panoplie d’acteurs qui interviennent dans la gestion des contestations électorales. Ces acteurs sont regroupés en deux catégories : d’une part, les organes juridictionnels et d’autre part, les acteurs non-juridictionnels.
Concernant les acteurs non-juridictionnels, on peut citer la commission départementale de supervision des votes et le Conseil électoral d’ELECAM.
Concernant les acteurs juridictionnels, on y note certains relevant de la Chambre administrative et les autres relevant de la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême. Le Conseil constitutionnel quant à lui étant l’institution suprême en matière de contentieux électoral notamment pour les élections à caractère national ou les referendums.
Il est évident que le fonctionnement de ces acteurs ne peut pas se comprendre hors du schéma fonctionnel des juridictions au Cameroun. C’est dans cette perspective qu’il convient d’appréhender le sens de l’incompétence soulevée par le Conseil cons


La publication par internet est le moyen le plus approprié aujourd’hui, à l’ère du tout numérique pour publier un « Fichier » électoral.

d’appréhender le sens de l’incompétence soulevée par le Conseil constitutionnel dans l’affaire en cours d’analyse.

Le législateur camerounais a donné au Conseil électoral d’ELECAM la mission de veiller au respect de la loi électorale par tous les intervenants de manière à assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité des scrutins (Article 10) ; ce qui revient à confier cette compétence en premier ressort au Conseil électoral pour gérer les contestations, préélectorales et électorales qui sont signalées par les acteurs.

Cela induit clairement que les contestations liées aux inscriptions, liées aux listes électorales, liées au matériel électoral, liées aux candidatures et autres, en premier ressort, peuvent être portées à l’attention du Conseil Electoral. Il est important de faire remarquer que, toujours dans la perspective de filouterie politique et donc de fraude électorale dont les Camerounais sont régulièrement victimes, il a été créé au Cameroun un organe de gestion des élections  (OGE)  bicéphale ; avec d’une part un Directeur Général  des élections( DGE)  (ne pas confondre à  une Direction Générale des Elections), le véritable organisateur des élections,  et d’autre part un Conseil Electoral qui a des missions bien précises, y compris celle de superviser, l’action du DGE. La compétence particulière du Conseil électoral est celle justement de recevoir les contestations pré-électorales, et dans une certaine mesure les contestations électorales.

Aussi, le citoyen électeur, qui a un problème d’inscription, de carte d’électeur, ou de listes électorales, devrait au préalable saisir le Conseil Electoral d’ELECAM, ou selon le cas, la Commission départementale de Supervision, conformément aux dispositions pertinentes de l’article 73 du Code électoral. Et c’est la non-réaction ou alors une réaction négative de ces organes qui constituerait l’élément fondamental pouvant justifier donc la mise en péril du processus électoral, et ce faisant, la présomption de menace à « la régularité  et à la transparence du processus électoral », donnant ainsi la passerelle pour muter de la gestion non judiciaire à celle judiciaire, avec au préalable la compétence de saisine de la Cour d’Appel sans passer par les tribunaux d’instance ; ce qui confère une dimension quasi-juridictionnel au Conseil Electoral ainsi reconnu organe ayant compétence pour statuer en premier ressort.

Au demeurant, c’est cette anticipation qui va ouvrir droit à une compétence imparable du Conseil Constitutionnel en vertu des dispositions pertinentes de l’article 132 alinéa 1 du code électoral et de l’article 48 de la Constitution

Sur la question en débat, la décision du Conseil constitutionnel aurait pu, soit se baser sur la qualité du saisissant ou alors, sur la matière pour laquelle il est saisi.

La question de dispersion du juge électoral

Concernant les matières telles que : l’inscription des électeurs, la liste électorale, et autres situations connexes, elles se manifestent dans la période pré-électorale et constituent des réclamations ou, selon le cas, des contestations. Leur gestion est réservée prioritairement aux organes non juridictionnels, notamment le Conseil électoral et la Commission départementale de Supervision, et exceptionnellement, aux organes juridictionnels, à l’instar de la Cour d’Appel. 

Il s’agit de faire ressortir les éléments pertinents du droit électoral au Cameroun qui établissent une Compétence d’Attribution à des structures précises, notamment les articles 10, 73 et 81 du Code électoral. Cette compétence d’attribution reconnue aux organes suscités donne la possibilité au Conseil Constitutionnel de déclarer en toute légalité son INCOMPETENCE.


Article 10 de Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012
Kamga Hilaire, Raid sur la démocratie, les 100 problèmes du Code électoral, ed Consaf 2012.

Pour autant, cette incompétence n’est plus invocable si la compétence d’attribution est levée soit au regard de la requalification de la contestation suivant les conséquences pouvant découler de la pérennisation de la situation contestée. En effet, si la question de la régularité de l’élection est questionnée, et que la contestation soumise à l’arbitrage du Conseil électoral en vertu de la compétence Ratione materiae attribuée à l’article 10, n’est pas réglée, alors la Haute Juridiction se verra dans l’obligation de statuer conformément aux dispositions de l’article 132 alinéa 1 du code électoral et de l’article 48 de la Constitution .

La saisine du Conseil Constitutionnel en matière électorale, pour les réclamations et /ou des contestations post-électorales ne se fera qu’ex-post, après avoir épuisé les voies de recours disponibles notamment devant le Conseil électoral et subséquemment la Cour d’appel conformément aux dispositions de l’article 81 du Code électoral. De ce fait, cette hypothèse de saisine, qui n’interfère dans la compétence d’attribution Ratione Materiae, se fera afin de montrer que l’organe de gestion des élections ( ELECAM) dans son entièreté, aussi bien le Directeur Général des élections que le Conseil Electoral sont en complicité pour refuser de publier la liste électorale nationale , et in fine, que cette non publication serait de nature à altérer la régularité du processus électoral.

En définitive sur cette question, on doit dire que la saisine du Conseil constitutionnel, pour ce type de contestation préélectorale n’est pas opportune et ne peut qu’aboutir à la réaffirmation de l’Incompétence du Conseil Constitutionnel en cette matière.

Bien que la matière fût une réalité et pouvait poser un problème, il est indiqué de saisir l’organe qui a la compétence préalable, notamment le Conseil Electoral de Elections Cameroon pour mieux s’armer avant de saisir le Conseil constitutionnel pour éventuellement poser le problème de menace à la régularité du Scrutin qui entre bien dans sa compétence tant qu’on a respecté les exigences de la compétence d’attribution.

En guise de conclusion de cette section
En définitive sur cette section, nous pouvons dire que le Conseil constitutionnel se déclarera toujours incompétent lorsqu’il sera saisi pour toutes les questions concernant la période pré-électorale ; qu’il s’agisse des contestations ou des réclamations. Cela relève des attributions d’autres organes. Par conséquent la Haute juridiction conformément au droit électoral camerounais, sera toujours dans cette posture d’incompétence si elle est saisie pour des contestations préélectorales qui n’auront pas au préalable été traitées par les instances inférieures appropriées, et ce serait de la mauvaise foi que d’invoquer en l’espèce la question de sa neutralité ou de son indépendance.
Par ailleurs, il est plus indiqué pour les acteurs électoraux de comprendre le terme cette période pré-électorale. La gestion des questions de réclamations, de contestation et in fine du contentieux électoral, est réservée à des organes précis tels que les Commissions départementales de supervision, le Conseil Electoral d’Elections Cameroon et la Cour


Article 48.- (1) Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des consultations référendaires. Il en proclame les résultats.
(2) En cas de contestation sur la régularité de l’une des élections prévues à l’alinéa (1) ci-dessus, le Conseil constitutionnel peut être saisi par tout candidat, tout parti politique ayant pris part à l’élection dans la circonscription concernée, ou toute personne ayant qualité d’agent du Gouvernement pour cette élection.

d’Appel. C’est en cela que le droit électoral peut être utilisé à bon escient pour contribuer au changement tant escompté par les Camerounais. Toute dérivation à cette conclusion entraînera exactement le même résultat : INCOMPETENCE
Aucune démocratie ne saurait adosser la crédibilité de son processus de dévolution du pouvoir sur la banalisation de sa haute juridiction qui deviendrait alors un « Conseil Constitutionnel fourre-tout ».

C) Que faire ? Perspective de proposition pour des élections effectivement crédibles en 2025 et 2026 au Cameroun

L’urgence aujourd’hui reste la mobilisation pour les inscriptions sur les listes électorales dans la perspective de la constitution de la Masse Critique Electorale (MCE) qui pourra, en temps opportun, se transformer en Masse Critique Populaire nécessaire pour la défense de la Souveraineté du Peuple. Il est de ce fait peu approprier de créer des situations de nature à renforcer le doute des citoyens par rapport à la tenue prochaines d’élections crédibles. Aussi, me semble-t-il plus judicieux de travailler pour renforcer la confiance envers le processus électoral et sa capacité à produire des résultats conformes aux choix des citoyens, et in fine amener les électeurs camerounais à s’inscrire massivement sur les listes électorales et constituer ainsi le maximum de soldats électoraux.
Dans le sillage de la mobilisation observée en fin de l’année 2024, les organisations de la Société Civile et les partis politiques, soucieux de l’impératif d’un Changement de Système, doivent renforcer le travail de mobilisation citoyenne pour l’enrôlement des électeurs tout en évitant d’envoyer des signaux dissuasifs aux potentiels électeurs.
Cette convergence stratégique doit permettre à tout citoyen qui n’est pas encore inscrit de comprendre l’enjeu de s’inscrire, de voter et de défendre son vote. Aussi la question des listes électorales nationales ou tout autre sujet connexe n’est pas une question de notre point de vue prioritaire. C’est une question de stratégie politique que nous respectons par ailleurs. Mais il serait plus efficace d’utiliser à bon escient l’ensemble des outils juridiques mis à notre disposition pour contraindre les acteurs en charge de l’organisation des élections à respecter les désidératas des électeurs camerounais.
En guise de conclusion
Le législateur camerounais a souvent tendance à légiférer pour préserver le pouvoir en place plutôt qu’en faveur des intérêts supérieur du peuple. La loi électorale, truffée de pièges et dispositions subtiles à controverse est une illustration. Il importe donc aux acteurs politiques à défaut de faire pression sur l’ordre gouvernant de changer, de détecter ces pièges et de bâtir leurs stratégies en les prenant en compte pour agir efficacement.

Dr Hilaire KAMGA
Expert Senior des Questions électorales
Administrateur-Pays du Centre CEFODEP
Hilairekamga90@yahoo.fr

*Les propos sont de l’auteur
*Le surtitre et le titre sont de la rédaction

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