Hommage : « Il fut à chaque fois un grand réformateur, le seul à avoir proposé un mandat présidentiel renouvelable une seule fois »
Pr Kourra Felicité Owona Mfegue, fille du Pr Joseph Owana, de regretté mémoire, revient sur le parcours de l’homme d’Etat, l’homme de science qu’a été son père et ses rapports familiaux.
Vous venez d’organiser avec brio et succès, une conférence hommage anniversaire au Pr Joseph Owona de regrettée mémoire. Qu’est-ce qui a motivé l’organisation d’un tel évènement au-delà d’une commémoration classique ?
L’organisation de cet événement allait bien au-delà d’une simple commémoration, un an après son décès. Il s’agissait de rendre hommage à une figure emblématique dont l’impact a transcendé les frontières académiques et politiques. Grâce à ses contributions exceptionnelles à la science, au droit, et à la gouvernance, Le Pr Joseph Owona était une source d’inspiration pour plusieurs générations.
Cet hommage visait à perpétuer son héritage intellectuel et à faire découvrir, voire redécouvrir, sa pensée et ses réalisations à un public élargi. A défaut de toute autre instigation commémorielle, La Fondation Owona Mfegue a été heureuse d’avoir pu magnifier l’œuvre d’un auteur en présence d’illustres personnalités : ministres d’état et présidents de juridictions constitutionnelles de pays frères, ainsi que de membres de la diaspora, comme aurait pu et/ou dû le faire un groupe de ses anciens étudiants russes, béninois ou du Congo Brazzaville.
A en croire les témoignages, la plateforme zoom s’est avérée étroite pour recevoir tous les participants. Qu’est-ce qui selon vous, peut justifier un tel engouement ?
Le succès de cette conférence qui a vu 500 sollicitations en dépit d’une salle embouteillée peut s’expliquer par la stature du Pr Joseph Owona et l’affection que lui portaient des milliers de Camerounais et d’autres, à travers le monde. Son influence tant traditionnelle, académique administrative que politique, a marqué de nombreuses personnes, et sa mémoire reste vivace. De plus, les thématiques abordées lors de cet hommage : L’homme, l’état et le droit, liées à ses contributions et au Cameroun, résonnaient profondément auprès des participants. L’utilisation de la plateforme Zoom, malgré ses limites quantitatives, a permis de réunir une diaspora camerounaise diversifiée. Je suis également assez suivie sur les réseaux sociaux du fait de ma communauté estudiantine élargie, ce qui a pu faciliter l’hyper visibilité de cet évènement.
Le Pr Joseph Owona n’était pas qu’un grand homme d’État, mais un universitaire chevronné, un maitre de la science. Qu’est-ce qui fait cette particularité ?
En réalité, l’homme d’Etat n’a jamais déshabillé entièrement l’universitaire. Joseph OWONA était un juriste brillant et un constitutionnaliste talentueux, un enseignant captivant dans ce domaine qui constituait sa vocation fondamentale. Durant sa « traversée du désert » après plus de 25 ans sur des fauteuils ministériels, il s’est naturellement retourné vers les amphithéâtres alors que rien ne l’y obligeait : fonction uniquement interrompue par son décès « au » Conseil constitutionnel.
Il m’a « refilée » certains de ses cours car il estimait contrairement à d’autres, que son devoir de réserve l’obligeait à interrompre ses enseignements à Soa (Yaoundé II) ou à Obili (IRIC). Durant cette période, il a multiplié la publication d’ouvrages. L’émérite se distinguait par sa rigueur intellectuelle et sa maîtrise des sciences juridiques et politiques. Il a formé plusieurs générations de juristes et de décideurs au Cameroun et ailleurs. Il était reconnu pour son aptitude à mêler théorie et pratique, contribuant ainsi activement à l’élaboration de politiques publiques.
Le Pr Joseph Owona a joué un rôle très déterminant dans plusieurs dossiers sensibles au Cameroun. Pouvez-vous rappelez quel rôle a-t-il a joué dans la rétrocession de la péninsule de Bakassi qui fait toujours débat en politique au Cameroun ?
Le Pr Joseph Owona a joué un rôle stratégique dans la fourniture d’éléments matériels prouvant la « camerounité » de la péninsule de Bakassi devant la Cour de La Haye. L’expertise camerounaise hybridée avec l’expertise internationale devant les instances internationales impulsée par le rôle essentiel joué par des juristes de renom tels que lui-même, le Ministre d’État Laurent ESSO, le professeur Maurice KAMTO : internationaliste de renom, son ancien étudiant dont il n’a jamais été peu fier, ainsi que les regrettés professeurs Joseph Marie Bipoun WOUM pour la connaissance qu’il avait du droit international africain et Peter NTAMACK pour sa connaissance du droit des anglophones, les généraux Tataw et Semengue pour la maîtrise des considérations géostratégiques, feu Bodo ex directeur du cadastre qui connaissait tout le tracé frontalier camerounais, etc. ,ont été déterminantes pour aboutir à la rétrocession pacifique de la péninsule par le Nigeria en 2008, un événement marquant de l’histoire politique et diplomatique du Cameroun.
On lui prête également l’intention d’être derrière le verrouillage de la constitution du Cameroun au profit du président Paul Biya. Avez-vous la même lecture que ces camerounais qui lui en veulent à ce sujet ?
Comme conseiller du Président de la République et bien d’autres Chefs d’Etats, en toute discrétion, mon père depuis 1982 a fait le choix de la fidélité au Président Biya qui le lui a bien rendu avec des obsèques officielles de plus de 7000 personnes. Lorsqu’il a été mis en réserve du gouvernement, il est resté silencieux s’expliquant rarement sur la res publica. Sa contribution à la « fabrication de la loi » sous la présidence de S.E.M Paul BIYA, démontre, qu’au fond, il fut à chaque fois un grand réformateur, le seul à avoir proposé un mandat présidentiel renouvelable une seule fois. Son rôle dans la rédaction de textes constitutionnels a certes suscité des interprétations divergentes. C’était un constitutionnaliste anticonformiste dont les actions étaient guidées par son engagement envers la stabilité institutionnelle du Cameroun. Elles s’inscrivaient dans une logique de protection des intérêts supérieurs du Cameroun, a tort ou à raison, selon sa propre vision.
Des langues proches de votre famille disent que vous êtes à l’image de votre père et qu’il s’est beaucoup investi pour que vous soyez l’intellectuelle, la grande professeure, la femme de science que vous êtes aujourd’hui. Le confirmez-vous ?
« Rex ipsa loquitur », les choses parlent d’elles-mêmes, disaient les Latins. Tout n’a pas été rose, j’ai été fille mère à 20 ans, ce qui l’a fait douter un moment qu’une fille autant à son image, puisse continuer une brillante scolarité, j’en profite pour remercier ma mère Guindo Woya Oumou, qui a été d’un grand apport dans la vie de mon père en 52 ans de son seul mariage ininterrompu.
Mon père nous a inculqué des valeurs essentielles comme le travail, la persévérance et la rigueur intellectuelle. Il m’a encouragée à aller au-delà des attentes traditionnelles, surtout en tant que femme même s’il m’appelait sa fille-garçon. Son investissement, tant affectif qu’éducatif, m’a permis de me construire et de devenir la personne que je suis aujourd’hui. Je lui dois énormément.
Pour sortir de notre entretien, quels grands souvenirs gardez-vous de votre père ?
Parmi les souvenirs les plus précieux, je retiens l’époque ou de retour des Nations Unies à New York en 2008 comme assistante à l’université de Yaoundé II, lors de son cours de droit constitutionnel j’ai voulu démissionner car les étudiants me lançaient des boulettes sur le postérieur en criant « Phalone » en référence à la célèbre série de la série TV Dynastie. Il en rigolait en tançant ses étudiants les plus courageux d’oser venir demander ma main. Rires…
Plus sérieusement, sa capacité à articuler des concepts complexes de manière claire et accessible faisait de lui un maître incontesté, loin du modèle actuellement vulgaire de l’érudit en gromologie censé impressionner la plèbe d’apprenants ignorants. Il m’a enseigné qu’il me faudrait expliquer des aspects complexes du droit à des adultes comme s’ils étaient des enfants de 2 ans, sans condescendance mais avec générosité, car il s’agissait de former des gens afin qu’ils nous dépassent, comme tous ces membres de gouvernements d’ici et d’ailleurs, et Ségolène royal qu’il forma en première année à Paris. Un autre souvenir marquant est son amour pour les livres et le savoir, qu’il a transmis à toute notre famille.
Propos recueillis par Paul Joel Kamtchang







