« Il faut reconsidérer la portée du monopole des établissements de crédit et des opérations de banque »

 

Willy Stéphane ZOGO, CEO-Founder de Droit Médias Finance et Chercheur en Droit des affaires.

La zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) connait une avancée avec la réforme du régime des services de paiement. Quels sont les principaux changements qui en découlent ?

Avant d’aborder le fond de votre préoccupation, permettez-moi de présenter les services de paiement ainsi que définis par le législateur dans la zone Cemac. Un service de paiement est une activité qui permet l’émission, la mise à disposition ou la gestion d’instruments ou moyens de paiement ou l’exécution d’ordres de paiement. Le service de paiement permet ainsi de prélever de l’argent dans un compte, de « produire » et faire circuler de la monnaie électronique à l’instar du mobile money (Orange, MTN, YUP) ou encore, de procéder à des paiements par des cartes. Une fois que cette précision a été apportée, relevons que la reforme dont vous parlez s’associe au fait qu’un nouveau règlement a été pris à l’échelle sous régionale ; il s’agit du Règlement n° 04/18/ CEMAC/ UMAC/ COBAC du 21 décembre 2018 relatif aux services de paiement dans la CEMAC. Ce texte qui a été suivi de textes subséquents produit une mutation marquée par des avancées qu’il est possible de souligner ici. D’une part, en aplanissant les divergences entre divers règlements communautaires, notamment ceux pris en 2003, 2005 et 2011, il simplifie le droit appliqué jusqu’en 2018 en matière de prestation de services de paiement. En outre, le Règlement marque une avancée en créant le statut « d’établissement de paiement » pour distinguer les autres acteurs du secteur des établissements de crédit ou de microfinance. Enfin, un autre point à souligner consiste dans le renforcement de la protection des consommateurs à travers des exigences contractuelles claires, ou encore la délimitation claire du crédit dans le cadre de la prestation des services de paiement.

Quelle observation faites-vous de cette modification dans la perspective du développement du marché de paiement en Afrique ?
Le développement du marché de paiement, c’est-à-dire, le mobile money, les cartes de paiement, les services de paiements en ligne ou encore certaines technologies financières dites Fintechs, n’a pas attendu le législateur de la Cemac pour se matérialiser. L’essor de ce marché est fulgurant autant en Cemac qu’en Afrique. En réalité, cette modification ou mieux cette réforme s’imposait par elle-même. Cet état de choses donne tout son sens à l’idée selon laquelle c’est au droit de s’adapter aux affaires. Toutefois, une observation pertinente peut consister à considérer l’impact que la réforme pourrait produire sur le marché des services de paiement de la Cemac d’un point de vue de l’analyse économique du droit. A titre illustratif, les sociétés souhaitant prester comme établissements de paiement devront justifier de 500 millions F CFA de capital social au minimum tandis que, les établissements de microfinance peuvent opérer dans les services de paiement en justifiant d’un seuil inférieur. On peut redouter que cela limite l’accès de certaines startups audit marché… même si dans le même temps, on évoquera le contre-argument de la sécurité des consommateurs financiers. Il faudra trouver un point d’équilibre et peut-être réajuster les choses dans le sens des évolutions empiriques.

Quelle est la portée de cette réforme dans cette zone économique, lorsqu’on sait que la libre circulation des biens et des personnes, adoptée par les pays membres peine à se concrétiser ?
L’examen de la situation ne devrait pas se limiter à la liberté de circulation des biens et personnes en éludant la libre circulation des capitaux et des services financiers entre les Etats de la CEMAC. Ce dernier point s’accommode bien de la réforme des services de paiement. Le service de paiement qui implique un mouvement de capitaux à travers les frontières de la communauté se caractérise par les échanges dématérialisés. Dès lors, ni les prestataires de services de paiement ni les usagers consommateurs ne semblent pouvoir être affectés par les pesanteurs qui greffent l’intégration, du moins pour ce qui concerne la fluidité de la circulation. De plus, une banque agréée au Cameroun acquiert automatiquement le droit de prester sur le territoire des 5 autres pays de la CEMAC. Le législateur a repris mutatis mutandis cette règle pour les prestataires de services de paiement.

Dans la « Revue internationale des services financiers » de décembre 2019, vous avez souligné qu’avec l’émergence des établissements de paiement, il faut redéfinir la notion d’opération de banque en CEMAC. Quelles seront selon vous, les nouvelles orientations ?
La notion d’opérations de banque a effectivement toujours été corrélée à celle de monopole bancaire. En zone CEMAC, l’article 4 de l’annexe de la Convention de 1992, les énumère de manière exhaustive ; la réception de fonds du public, l’octroi de crédits, la délivrance de garanties en faveur d’autres établissements de crédit, la mise à la disposition de la clientèle et la gestion de moyens de paiement. Ces opérations sont réservées aux établissements de crédit et de microfinance et la réalisation illégale, notamment sans agrément, desdites opérations est constitutive d’infraction au sens pénal. Pourtant, les établissements de paiement ne sont pas des établissements soumis à un agrément bancaire mais, ils peuvent désormais légalement mettre à disposition des moyens de paiement. La nécessité réside là, et c’est une orientation, il faut reconsidérer la portée du monopole des établissements de crédit et des opérations de banque. Il ne serait pas inapproprié que ce monopole ne concerne plus que la réception des fonds du public, l’octroi de crédits, la délivrance des garanties en faveur d’autres établissements de crédit ; la mise à la disposition de la clientèle et la gestion des services bancaires de paiement, et non des moyens de paiement dans leur ensemble.

Avec la réforme du régime juridique, la supervision des services de paiement est repartie entre la BEAC, la COBAC et certaines autorités nationales. Que pensez-vous de la sécurité juridique autour de ces services ?
Je pense, et les praticiens au sein des établissements assujettis et même des instances de régulation des marchés ne sauraient le réfuter, qu’il est toujours moins aisé de surveiller dans un cadre institutionnel marqué par un enchevêtrement d’organes de contrôle. On ne peut que se féliciter de ce que la réforme a apporté des clarifications d’appoint sur le rôle de la BEAC, contrôleur technique, de la COBAC, censeur et contrôleur du respect du droit, et des Ministères des Finances, contrôleurs de proximité. De ce point de vue, c’est la prévisibilité des règles de contrôle qui s’en trouve renforcée et par voie de conséquence, c’est la sécurité juridique qui s’apprécie. Communément, la règle voudrait qu’on se réfère également à l’effectivité et à l’efficacité de la coordination d’une telle régulation partagée pour mieux apprécier. En fait, ceci s’applique tout simplement à toute règle de droit. Pour m’illustrer, je relève qu’actuellement, certaines entreprises fournissant des services de paiement ne se sont pas encore conformées au statut d’établissements de paiement selon le nouveau droit, le délai de mise en conformité ayant été fixé au 21 décembre 2019. En un mot, il serait intéressant d’attendre que la mise en œuvre de cette architecture révisée de la surveillance du marché des services de paiement en zone CEMAC soit éprouvée.

Ces dispositions sont-elles suffisantes pour assurer une protection rassurante des consommateurs des services de paiement ?
Redisons-le, la sécurité juridique en termes de prévisibilité des normes applicables aux contrats de services de paiement sort renforcée de la reforme de 2018. Plusieurs mécanismes adoptés apportent un supplément de protection aux consommateurs financiers. Comment ne pas souligner le renforcement de l’obligation d’informer le client dans une langue officielle de l’Etat d’implantation mise à la charge des prestataires de services de paiement. Comment ne pas relever la limitation à 100 000 F CFA des crédits pouvant être contractés par exemple par mobile money, cela limite en soi d’éventuels abus. En outre, ces dispositions nouvelles consacrent la ségrégation entre les comptes des clients et les comptes de l’établissement de paiement. En effet, il est interdit à ce dernier de puiser dans les fonds déposés par un client pour octroyer un crédit à un autre client ou de s’en servir. Pour tout dire, les éléments de protection du consommateur ont gagné en clarté, même s’il y a toujours moyen de parfaire cette œuvre règlementaire.

Entretien réalisé par M.L. M

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