Immigration : En quête d’emploi, des jeunes camerounais piégés au Nigeria

Séduits par des promesses d’emploi alléchantes en Côte d’Ivoire, de nombreux jeunes camerounais se retrouvent piégés au Nigeria, pris dans un réseau de traite humaine bien organisé. Derrière des rêves de richesse, ce sont des familles entières qui s’endettent, s’effondrent et se battent pour sauver leurs enfants de l’enfer.

« Où vais-je trouver 500 000 F Cfa pour faire revenir mon fils ? ». La voix d’Angèle K., 47 ans, se brise alors qu’elle évoque le sort de son dernier fils, Jean Kougoum, 26 ans, bloqué à Lagos, au Nigeria depuis fin avril 2025. Cette mère rencontrée le 27 mai 2025, parcourt son quartier à Batcham, une commune du département de Bamboutos à l’Ouest en quête de soutien financier. Désespérée, elle implore l’aide de ses voisins pour réunir la somme de 500 mille F Cfa, un montant qu’elle confie n’avoir jamais disposé. Son enfant, comme d’autres jeunes camerounais, a tout vendu pour une promesse d’emploi qui n’a jamais existé au Nigeria.

Avant son départ, Jean était un aviculteur. Il a réussi à économiser près de deux millions de F Cfa pour son périple. Le jeune entrepreneur croyait à une formation rémunérée en élevage en Côte d’Ivoire, à hauteur de 750 000 F Cfa par mois. Une raison suffisante pour quitter sa femme et ses deux enfants, dans l’espoir de leur offrir un avenir meilleur.  Malheureusement, ce père de famille ne se doutait pas que le voyage allait s’arrêter à Lagos, dans un camp sordide où l’on entasse les recrues dans des conditions inhumaines, selon une ancienne victime.

Un réseau de traite humaine

Avant même d’arriver en Côte d’Ivoire, témoigne Jean Kougoum, un rescapé, les jeunes sont arrêtés au Nigeria et orientés vers un système pyramidal. Pour « exister » dans le réseau, il faut payer jusqu’à 650 000 F Cfa et recruter deux autres victimes. Un système d’exploitation qui prospère sur les illusions d’une jeunesse prête à tout sacrifier.  Ce dernier a pu s’échapper grâce à un gardien camerounais, lui aussi pris au piège depuis trois ans.  Il a fallu des jours, et une somme versée en secret, pour qu’il parvienne à fuir ce camp. Explique-t-il sans donner plus de détails. Son histoire n’est malheureusement pas un cas isolé.

 

Carte sur le trafic humain en Afrique. La plupart des victimes africaines sont contraintes au travail forcé, souvent dans des domaines comme l’agriculture, le travail domestique ainsi que le secteur industriel. ©Centre d’études stratégiques de l’Afrique/août 2029

Joseph âgé de 22 ans, une autre victime, moto-taximan à Douala, a tout vendu pour suivre un mystérieux recruteur en fin avril 2025. Depuis quelques semaines, sa famille est sans nouvelle. Il prétendait partir pour la Côte d’Ivoire, mais il s’est retrouvé, comme Jean, à Lagos. Les messages envoyés à sa famille sont d’abord rassurants, avant de virer à l’angoisse : demande d’argent pour une autre formation en Afrique du Sud, incohérences dans le parcours, puis silence, déplore son frère ainé.

Marius, un autre jeune piégé, a fini par comprendre le fonctionnement du système. Il décide alors d’y rester… et d’en profiter. Il devient à son tour recruteur. Il attire un ami, lui-aussi, originaire de Bayangam, une commune du département de Koung-Khi, qui vend sa moto et paie 150 000 F Cfa, comme frais de route.  Une fois au Nord-Cameroun, le voyage tourne rapidement au cauchemar. Il passe plusieurs jours en brousse, des nuits dans des hôtels miteux. Après plusieurs changements d’escorte, il arrive à Lagos dans des conditions inhumaines. Chaque étape est un piège. Une fois au camp, les promesses tombent. Il ne s’agit plus d’un emploi, mais de vendre deux produits à 650 000 F Cfa pièce pour espérer une commission.

Des familles piégées et ruinées

Pierre Talongang, originaire de Batcham, pensait offrir un avenir meilleur à son fils. Ce dernier prétendait avoir obtenu une bourse pour la Côte d’Ivoire. Le père réunit plus de deux millions de F Cfa. Quelques semaines plus tard, il apprend que son fils est à Lagos. Pour le faire revenir, il débourse encore 500 000 F Cfa. Puis le même montant de plus pour ses soins, après l’enfer subi au camp (un site ou sont enfermées les victimes).

À Bayangam, de nombreuses familles vivent cette tragédie. Le journaliste local Franck Loïc, de Bayangam Infos, (plateforme dédiée à la diffusion d’informations sur l’arrondissement de Bayangam, le département du Koung-Khi, la région de l’Ouest,  et au-delà), alerte sur l’ampleur du phénomène. Le maire adjoint de la commune de Banyangam, Joseph Tamo Fotso, y voit une dérive liée à « l’amour de la facilité ». L’élu local précise que « tous veulent fuir le Cameroun. Ils rêvent d’un ailleurs meilleur sans voir les opportunités qu’on développe ici dans l’agriculture ou l’artisanat ».

Le Dr. Arouna Mfenjou Pountougnigni, sociologue, décrit un système organisé de traite humaine intra-africaine. « Les jeunes sont séduits par des promesses irréalistes. Le chômage élevé, la précarité des emplois et la faiblesse des salaires créent un terreau favorable à l’illusion », reconnait-il.

Au commissariat central de Bafoussam, aucune plainte officielle n’a encore été enregistrée concernant ces trafics, selon la cheffe de service des affaires sociales. Pourtant, les retours de jeunes brisés, et les appels de détresse des familles, se multiplient dans la région. Le maire adjoint relève qu’il y a quelques jours, il a reçu l’appel de quatre jeunes Bayangam coincés dans cette aventure, exigeant des montants d’argent pouvant faciliter leur retour, mais, sans suite.

Le besoin d’information et de sensibilisation est urgent, selon le sociologue. Il recommande des campagnes locales, des cellules d’écoute, mais aussi un encadrement strict des mobilités régionales. En attendant, des mères comme Angèle K. continueront à frapper aux portes, à pleurer un enfant parti chercher la fortune… et qui n’a trouvé que l’ombre de ses rêves.

Aurélien Kanouo Kouénéyé

Mots – clés :

emploi

chômage

 

 

Leave comment

Your email address will not be published. Required fields are marked with *.

Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.