Lévirat : Ce rite de veuvage qui peine doublement la veuve
Cette pratique culturelle qui oblige la femme à épouser un frère de son défunt mari, est condamnée par la ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille. Les victimes sont invitées à dénoncer leurs bourreaux.
Mama Gisèle, veuve Biwolé depuis 56 ans n’a toujours pas oublié comment elle a été contrainte par sa belle-famille d’épouser le cadet de son époux. « Je ne sais pas comment j’ai tenu aussi longtemps dans ce mariage forcé. J’ai pleuré, supplié et essayé parfois de me rebeller mais ça n’a pas marché car la famille de mon défunt mari savait très bien me mater », raconte à voix basse, comme si elle confiait un secret, la vieille dame aujourd’hui âgée de 88 ans.
Ce rite de veuvage, connu sous l’appellation de lévirat, beaucoup de veuves comme Mama Gisèle l’ont vécu, et continuent de le vivre. Le 23 juin 2025, au cours de la célébration de la journée internationale à elles dédiée, les femmes ont une fois de plus décrié cette pratique. Réunies à la Paroisse d’Oveng, certaines ont pu s’exprimer sur ces cicatrices invisibles qu’elles portent depuis la mort de leur époux. « Je n’ai pas eu le choix, une semaine seulement après la disparition de mon mari, ma belle-famille m’avait trouvé un autre époux en la personne de son ainé. Je devais l’épouser pour garder notre plantation à défaut, je devais partir avec mes enfants », témoigne une autre veuve sous anonymat.
Désignant l’obligation pour une veuve d’épouser un frère de son défunt époux, le lévirat selon l’anthropologue Dr Paul Jérôme Menanga, est une pratique qui repose sur une conception selon laquelle le mariage est une union qui lie non seulement deux individus mais deux lignages. « De ce fait, la veuve d’un frère est considérée comme un bien familial après paiement de sa dot. Sa réattribution dans la famille est donc une manière de garantir la continuité des alliances entre familles et la protection des orphelins », explique l’anthropologue.
Cependant, la ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille (Minproff), Marie Thérèse Abena Ondoa, condamne le lévirat qui est selon elle, est une violation flagrante des droits humains. En 2023, une enquête du Minproff a révélé que près de 30% de veuves en milieu rural au Cameroun ont déjà été confrontées à cette pratique d’une manière ou d’une autre particulièrement dans les régions de l’Ouest et du Nord-Ouest. « Nous luttons contre les rites de veuvages barbares depuis plusieurs années, mais il y a des coins où la tradition est très rigide et c’est pourquoi certaines pratiques peinent à disparaitre », déplore la Minproff. Elle souligne que, même l’article 356 du Code pénal qui punit le mariage forcé ne parvient pas éliminer cette pratique.
A en croire le juriste, Me Léandre Essi, il faut encourager les femmes à dénoncer leur bourreau. « Il ne faut pas perdre espoir et continuer la sensibilisation auprès des chefs traditionnels. En plus les femmes doivent dénoncer leurs bourreaux car ne rien dire, accepter en silence c’est une façon d’encourager cette dérive », recommande-t-il. Pour davantage sensibiliser les communautés sur les droits des veuves, la Minproff a publié en 2022 un guide juridique des veuves en plusieurs langue, dont l’ewondo, pidgin, fufulde et ghomala.
Mélanie Ambombo







