Ouest-Cameroun : Plus de 4 000 césariennes pratiquées en 2022

Ouest-Cameroun : Plus de 4 000 césariennes pratiquées en 2022

Avec un pourcentage de césarienne en hausse de 2% entre 2011 et 2018, cette région qui compte près de 1,7 millions d’habitants pour 14 gynécologues, est exposée aux pratiques de chirurgie injustifiées baptisées par le corps médical “Césarienne de Yôgô”, un business lucratif qui s’appuie sur un système de prime et de quote-part dans les établissements sanitaires césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun.

Mère de deux enfants, Jeannette Leukoué est une maman comblée. Il y a deux ans, sa famille s’est agrandie avec la naissance d’Anaëlle, sa troisième fille. Une naissance qui lui a pourtant donné des sueurs froides dans un hôpital public de la ville de Bafoussam, chef-lieu de la région de l’Ouest. Après avoir suivi ses consultations prénatales comme conseillé par les médecins, c’est avec surprise qu’elle apprend, alors que les contractions ont déjà commencé, qu’elle ne pourra pas accoucher par voie basse. Un cas de césarienne d’urgence, explique le corps médical.  « Les médecins ont dit que l’enfant était en souffrance fœtale et que chaque minute qui passait pouvait être la dernière », se souvient cette institutrice.

Des cas similaires, le Dr Francis Kamene, médecin généraliste à la polyclinique la Bienveillance, un établissement sanitaire de la même ville en reçoit régulièrement. C’est le cas ce 15 février 2023, où une patiente en travail est amenée d’urgence au bloc opératoire. « C’est un cas de césarienne d’urgence pour disproportion foeto-pelvienne, la tête du fœtus est plus large que le bassin de sa mère », renseigne le médecin au terme de l’opération.

Les  césariennes pratiquées en dans les hôpitaux du Cameroun

Selon le Dr Kamene, outre la césarienne d’urgence qui résulte d’une complication pendant l’accouchement, il y a des cas de césarienne programmée prévue bien avant le début des contractions et la césarienne de convenance qui est une décision assumée par la future maman. « Le pourcentage de césarienne d’urgence est toujours plus élevé que les deux autres. Il y a moins de cinq ans, je pratiquais entre 2 et 4 césariennes par mois. Actuellement, je peux en faire 8 voire 10 par mois avec 80% de césarienne d’urgence venant des centres périphériques », relève-t-il. Les indications les plus courantes d’une césarienne, explique ce médecin, sont entre autres, la disproportion foeto-pelvienne, la présentation vicieuse du bébé, les troubles respiratoires, l’utérus cicatriciel (qui a déjà été opéré), la prééclampsie (tension très élevée de la mère).

D’après la cinquième Enquête Démographique et de Santé du Cameroun (EDSC-V) réalisée par l’Institut national de la statistique, publiée en 2018, le pourcentage de césarienne à l’Ouest est de 6,2%. Un pourcentage en hausse par rapport au 4,4% enregistrés lors de la quatrième Enquête Démographique et de Santé (EDSC-IV), combinée à l’Enquête par Grappe à Indicateurs Multiples (MICS) publiée en 2011 et de 2,2% selon l’Enquête Démographique et de Santé Cameroun de 2004. Globalement au Cameroun, indique l’EDSC-V,  environ 4 % des naissances ont eu lieu par césarienne, dont  1,4 % ont été décidées avant le début des douleurs et 2,1 % après le début des douleurs. Ce pourcentage est plus élevé en milieu urbain (6 %) qu’en milieu rural (2 %).

Pourtant, déplore le Dr Francis Kamene, bon nombre de césariennes peuvent être évitées par un suivi rigoureux des consultations prénatales (CPN). Une démarche indispensable, mais négligée par plus d’une femme enceinte soit par ignorance soit par manque de moyens financiers. Au Cameroun, d’après l’EDSC-V, 6, 1% de femmes ne font aucune CPN en milieu urbain autres que Yaoundé et Douala contre 20, 3% en milieu rural.

césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun Limite de compétence 

Gynécologue obstétricien en service au Centre médicalisé catholique de Djugang, le Dr Désiré Ngoumou pense qu’« une grossesse suivie dès le début par un spécialiste a peu de chance de finir dans un bloc opératoire même en cas de complication. Malheureusement, plusieurs centres de santé qui offrent les services obstétriques dans la région de l’Ouest n’ont pas de gynécologue ni d’obstétricien ».

Selon la délégation régionale de la Santé publique (Drsp) pour l’Ouest, sur la vingtaine de districts de santé que compte la région, seuls 3 ont des gynécologues. De façon détaillée, il y a 10 gynécologues à Bafoussam, 3 à Dschang et 1 à Foumban. Au total, ils sont 14 gynécologues pour un peu plus de 1,7 millions d’habitants selon le recensement de 2005. « En l’absence de spécialiste, les généralistes sont encouragés à pratiquer des césariennes d’urgence pour sauver des vies. A condition d’en avoir la capacité et l’autorisation », renseigne Etienne Wado, Point focal régional Planning Familial à la Drsp, qui est bien conscient du fait qu’en augmentant le nombre de praticiens de la césarienne, ils augmentent de fait sa pratique.

Entre janvier et septembre 2022, il ressort d’une analyse des données de la Drsp que 4327 césariennes ont été pratiquées dans la région, soit plus de 300 par mois. Si cet acte chirurgical permet de sauver plus de vie, il n’est pas à la portée du camerounais moyen.

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Facture salée

En effet, un accouchement par césarienne coûte quatre voire cinq fois plus cher que celui par voie basse. Selon les prix homologués par le ministère de la Santé publique (Minsanté) en 2013, le coût d’un accouchement par voie basse est fixé à 6000 F Cfa tandis que celui d’une césarienne est de 40.000 F Cfa. A cela, il faut ajouter les frais de l’opération proprement dite, et ceux d’hospitalisation, etc. « J’ai accouché à l’hôpital de district de la Mifi à Bafoussam. Au départ, une amie qui y avait accouché par césarienne m’avait demandé de préparer 150.000F Cfa. Mais j’ai dépensé plus », se souvient Claire Sama (nom d’emprunt).

Bien qu’homologué, le prix d’un accouchement par césarienne varie d’un établissement hospitalier à un autre, en fonction du standing, de la qualité du plateau technique, etc. A Bafoussam, il faut débourser entre 200.000 F Cfa et 350.000 F Cfa pour une césarienne. Un coût exorbitant, dans un pays où le Smig est fixé à 41.875 F Cfa depuis le 08 février 2023.

Une étude de la Banque mondiale publiée en 2013 dénonce d’ailleurs le fait que la somme que les ménages camerounais doivent débourser pour financer leurs dépenses de santé est extrêmement élevée. Ces dépenses sont évaluées à 37.210 F Cfa (61 dollars) par personne et seuls 6.710 F Cfa (17 dollars) équivalent à 27,86% sont pris en charge par l’Etat césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun.

Césarienne de Yôgô ou césarienne injustifiée

Un coût onéreux, qui peut justifier, confient certains spécialistes, les chirurgies injustifiées. Une pratique baptisée « césariennes de Yôgô » selon un clinicien qui a requis l’anonymat. Il s’agit, souligne-t-il, d’une opération de confort injustifiée médicalement, qui vise à augmenter les revenus des médecins. Elle s’appuie sur un système de primes et de quote-part. « Cette pratique déviante que nous combattons avec la dernière énergie résulte de la mauvaise interprétation des textes encadrant le Programme de financement basé sur la performance (PBF, sigle en anglais) implémenté au Cameroun depuis 2013 », affirme le Dr Wado.

A en croire ce spécialiste en santé de reproduction, ce programme de la Banque mondiale subventionne les structures de santé en fonction de la qualité et la quantité des services et soins qu’elles dispensent césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun. L’objectif étant d’aboutir à un résultat gagnant-gagnant. D’abord pour les patients qui bénéficient des soins de qualité, ensuite pour l’hôpital qui gagne de l’argent pour le matériel et les médicaments par exemple et enfin pour le personnel soignant via les primes de performance.  « Pour avoir des subventions et des primes plus consistants, des professionnels véreux n’hésitent pas à conduire au bloc des femmes enceintes qui n’ont pourtant aucun problème. Un médecin généraliste par exemple peut terminer le mois avec 100.000 F Cfa de primes pour compléter son salaire mensuel de 247.704 F Cfa », explique un médecin sous anonymat.

Surveillant général du Centre médical d’arrondissement de Djeleng, Jules Waffo témoigne avoir plusieurs fois été contacté par des femmes enceintes qui sollicitent un second diagnostic après la césarienne diagnostiquée par un précèdent médecin. Un contre examen méticuleux permettait de comprendre la supercherie. « A moins d’être du corps médical, une patiente n’a aucun moyen de reconnaître une césarienne de confort. C’est pourquoi nous les encourageons surtout dans le cas d’une césarienne programmée à solliciter plusieurs expertises », rappelle Armand Ngadang, maïeuticien et président de l’Association des sage-femmes du Cameroun pour la région de l’Ouest qui invite aussi le personnel soignant à prioriser le bien-être des patientes.

Pour l’économiste de santé, Albert ZE, ces césariennes injustifiées sont « une atteinte grave au droit de la santé. Le patient devient ainsi un simple client comme sur le marché des biens et services ». La solution à ce problème serait, selon lui, de dissocier le bien être du personnel de santé des recettes hospitalières. Ceci passe par une revalorisation du niveau de vie de ces derniers.

césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun Césarienne de convenance

Cependant, les médecins ne sont pas toujours à l’origine d’une césarienne injustifiée, se défend un personnel médical. Dans certains cas, c’est la patiente qui la sollicite contre avis médical, fait savoir Brigitte Tewa, major à l’Hôpital de district de la Mifi à Bafoussam.  « Vous serez surpris de connaitre le nombre de patientes qui demande à être opérées alors que l’accouchement par voie basse ne présente aucun risque », déplore la sage-femme.

Elle ajoute que ce sont quelquefois des primipares âgées qui redoutent des complications, ou encore des femmes qui ont peur des douleurs des contractions. D’autres encore veulent préserver l’intégrité de leur vagin ou tout simplement faire coïncider la date d’anniversaire du bébé avec celle du papa ou d’un proche. « Le rôle du médecin et surtout des CPN est de dissuader au maximum la future maman d’emprunter ce chemin. Ceci en lui présentant les risques », précise la major, qui pense que ces césariennes à la demande peuvent contribuer à l’augmentation du taux de césarienne au Cameroun. Lequel taux est estimé à environ 4 %. Entre 1991 et 2018, il a peu changé : 2,3 % en 1991, 2,0 % en 2004, 3,8 % en 2011 et 3,5 % en 2018, d’après l’EDSC-V.

Une augmentation qui n’est curieusement pas propre au Cameroun. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé publié en 2015, « ces dernières années, les gouvernements et les cliniciens du monde ont exprimé leur préoccupation face à l’augmentation du nombre d’accouchements par césarienne ». En trois décennies, le taux de césarienne dans le monde a quasiment triplé passant de 7% en 1990 à 21% en 2021.

La même étude précise que, pratiquée dans les règles et justifiée sur le plan médical, la césarienne permet de prévenir de manière efficace la mortalité maternelle et néonatale. Son taux plus ou moins élevé (entre 10 et 15%) pourrait même être le reflet d’un système de santé plus performant où les nouvelles procédures en matière de césarienne sont maîtrisées.

À condition bien sûr que les soins soient accessibles à toutes les femmes.  « Pour répondre à ce souci d’accès aux soins, le gouvernement et ses partenaires ont mis en place le projet chèque santé qui semble encore limité dans ce sens que sa solution est beaucoup plus financière. Ce qui a pour conséquence d’entretenir les inégalités. Il est donc important aujourd’hui d’apporter une solution englobant les deux dimensions de la carte sanitaire (qualité et quantité). Il faut mettre en place un système de santé qui répond efficacement aux problèmes des populations sans toutefois les appauvrir », conclut le Dr Albert Ze.

En Afrique, certains pays ont opté pour des politiques de subvention nationale totale ou partielle.   Le Sénégal, le Mali, le Niger, ont privilégié des politiques de gratuité de la césarienne à partir de 2005 tandis que le Burkina Faso a adopté la formule de la subvention partielle à 80 % pour les césariennes, une partie restant à la charge des familles césariennes pratiquées à l’Ouest-Cameroun.

Vanessa Bassale

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet Open Data for governance in Cameroon (ODAGOCA), initié par ADISI-CAMEROUN, avec l’appui financier de l’International Freedom of expression Exchange (IFEX).
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1 thought on “Ouest-Cameroun : Plus de 4 000 césariennes pratiquées en 2022

  1. Article très enrichissant. Il montre à suffisance que le système de prévarication a fait son lit au Caleroun et ceux dans tous les domaines.

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