Ouest : Le gingembre devient rare et onéreux

Malgré la hausse de la production dans cette région, qui est passée de 2 704 tonnes en 2021 à 8 699,5 tonnes en 2024, le prix de cette épice a triplé sur le marché. Le sac de 125 Kg vendu à 45 000 F Cfa en novembre 2024 coûte depuis mars 2025 140 000 F Cfa.

« C’est bien le djindja (gingembre NDR) de 100 F Cfa », s’étonne une cliente, qui se tient debout devant Mathieu, un vendeur de vivres frais au lieu-dit « Rue mondiale » au marché A de Bafoussam, chef-lieu de la région de l’Ouest.  La dame veut s’assurer d’avoir été bien servie par le commerçant. « C’est exactement pour 100 F Cfa madame », rétorque-le commerçant, en indiquant que le gros tas coûte 1000 F Cfa.  « Et c’est si petit », retorque la dame, stupéfaite, avant de se contenter de la quantité qui lui a été servie.

Des scènes similaires, Mathieu, vendeur de vivres frais depuis une quinzaine d’année, y est confronté depuis le mois de juin 2024. « C’est à partir de cette période que le djindja est devenu rare et cher sur le marché », témoigne-t-il. Une situation qui inquiète les consommateurs, confie Carole Matané, une ménagère habituée de cette épice très prisée, qui s’utilise en cuisine et dans la fabrication des boissons. A en croire Mathieu, cette inflation du gingembre est une expérience inédite à l’Ouest, qui l’un des plus grands bassins de production du pays. « Aujourd’hui, pour avoir un sac de djindja, il faut avoir un réseau. Il est vendu de bouche à oreille par des intermédiaires qui montent les enchères entre les producteurs et nous les revendeurs », confie-t-il.

Exportations

En effet, dans les exploitations de gingembre à l’Ouest, considéré par certains comme le nouvel « or vert », les grossistes locaux se bousculent avec des étrangers, qui n’hésitent pas à se rendre dans les zones enclavées pour se ravitailler. Une forte demande qui pousse de plus en plus les producteurs, à en vendre au plus offrants, témoignage Paulin Fonkou, un intermédiaire. « Avec l’arrivée des étrangers dans le marché camerounais, les producteurs cèdent aux exportateurs qui sont capables d’exporter toute la production à un coût défiant toute concurrence », révèle Paulin Fonkou. Ces étrangers, indique Sylvain Talonlack, un autre intermédiaire, qui viennent majoritairement des pays voisins, sont prêts à acheter 50 à 100 sacs de 125 kg sur-le-champ.

Une aubaine pour Sosthène Paguem, un producteur de gingembre dans la localité de Santchou dans la Menoua depuis près de 10 ans.  « L’entrée des grands acheteurs (exportateurs NDR) dans nos champs à la recherche du gingembre est un ouf de soulagement pour les producteurs qui désormais peuvent jouir des retombées de leur production », dixit cet agriculteur, qui s’enorgueillit des beaux jours du gingembre. Selon ce producteur, le sac de 125 Kg est passé de 45 000 – 47 000 F Cfa en novembre 2024, en fonction de la quantité commandée, à 110 000 -140 000 F Cfa actuellement.


Une inflation des prix, qui motive ce cultivateur à étendre sa ferme sur deux hectares à la prochaine saison. « La demande a commencé à être importante pendant la pandémie de Covid 19. Le sac oscillait entre 19.000 et 25.000 F Cfa à l’époque », se souvient-il. Une hausse justifiée par l’utilisation de cette épice « dans la fabrication des médicaments et des produits phytosanitaires ». Comme Sosthène Paguem, Madeleine Foulefack a saisi l’opportunité qu’offre cette culture, depuis 2023. Elle a abandonné les autres spéculations, pour se concentrer sur une exploitation d’un hectare de gingembre à Santchou. Cette localité représente 80 à 90% de la production régionale, selon la délégation régionale de l’Agriculture et du développement rural de l’Ouest (Minader). « Sur une surface de moins de 300 m2, j’ai pu récolter au moins trois sacs. Je les ai vendus surplace à Santchou à 110 000F Cfa le sac », confie-t-elle. Selon Marc Kamga, entrepreneur agricole, le gingembre offre un rendement de 10 à 15 tonnes par hectare.

Santchou

A en croire Arsène Sopwi, chef service régional de développement local et communautaire (Dlc) au Minader Ouest, la cherté du gingembre, une culture qui était marginalisée il y a quelques années, met à mal les consommateurs locaux, qui subissent de plein fouet la pénurie sur le marché. Pourtant, indique cet agronome, la production, a augmenté, passant de 2 704 tonnes en 2021 à 8 699,5 tonnes en 2024.  Une production en majorité exporté vers le Gabon, la RCA, le Tchad et le Nigeria, et aussi vers la Chine depuis l’épidémie de la Covid19. « Sans la maladie fongique qui s’est attaquée aux feuilles du gingembre en 2024 à Santchou, nous devons avoir un tonnage au-delà des chiffres actuels », précise-t-il.

Selon lui, la crise qui secoue le gingembre actuellement serait liée aussi à une rouille sévère qui a frappé les plantations au Nigeria voisin. Un désastre qui a poussé les commerçants nigérians à venir se ravitailler en masse au Cameroun. Malheureusement, ces commerçants, ont pénétré les plantations avec des camions contaminés, provoquant ainsi une contamination en chaîne des cultures à l’Ouest. « C’est avec l’augmentation de la production que les prix ont grimpé et c’est maintenant que le Minader s’intéresse à cette spéculation », annonce-t-il. A en croire Dr. Boris Wenda, économiste agricole, « ce secteur pourrait booster l’économie en termes de création d’emplois à travers le développement des différents maillons de la filière ».

Aurélien Kanouo Kouénéyé

 

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