Présidentielle 2025 : Des prévenus privés de vote

Emprisonnés et non jugés en violation du Code de procédure pénale, des milliers de détenus non encore condamnés et privés de leurs droits civiques et politiques ne pourront pas exercer leur droit de vote le 12 octobre prochain. Aucune disposition n’ayant été prise par Elecam pour les inscrire sur les listes électorales et leur permettre de voter.

Accusé de malversations financières et détenu à la prison centrale de Douala en attente de son jugement, Albert ne pourra pas exercer son droit de vote le dimanche 12 octobre, jour de l’élection du président de la République du Cameroun. Bien qu’inscrit sur la liste électorale et détenteur de sa carte d’électeur, la privation de liberté dont il fait l’objet ne lui permettra pas de se rendre dans un bureau de vote pour choisir celui qui, selon lui, dirigera le Cameroun pour les 7 prochaines années.

Et pour cause, à la prison centrale de Douala a New-Bell, comme dans les autres prisons du Cameroun, les détenus n’ont pas droit au vote. « Je n’ai pas pu voter en 2020 parce que j’étais incarcéré sans jugement. Et dans nos prisons, aucune mesure n’est prise pour permettre aux personnes qui ne sont pas encore condamnées de voter », renseigne Hervé, un ancien détenu qui, après trois mois de prison, a été innocenté par le tribunal de grande instance du Wouri. Une détention à cause de laquelle il n’avait pas pu voter lors des élections municipales et législatives de 2020.

Code électoral

Une situation qui semble ne pas inquiéter, tant au niveau de Elecam, que de certains lieux de détention. « Quand on est privé de liberté, on perd tous ses droits civiques. Les détenus ne peuvent donc dans ce cas pas voter », renseigne un gardien de prison de la prison centrale de Douala. Et du côté de Elections Cameroon (Elecam), des mesures n’ont pas été prises pour permettre aux personnes non encore condamnées de voter. « Les détenus ne peuvent pas voter parce que la prison n’est pas un bureau de vote. On ne vote pas dans les prisons. Les bureaux de vote sont connus. Ce sont les établissements scolaires », renseigne-t-on à la communication de la délégation régionale de Elecam pour le Littoral qui s’est montré très peu disert sur la question.

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Toutes choses qui sont contraires aux dispositions du Code électoral camerounais. Dans le Code électoral, Titre III, la Section II « Des incapacités électorales », liste en son article 47, les conditions dans lesquelles une personne peut être privée de son droit de vote. On peut y lire. « ne doivent pas être inscrits sur une liste électorale, les personnes condamnées pour un crime, même par défaut ; les personnes condamnées à une peine privative de liberté sans sursis supérieure à trois mois ; les personnes condamnées à une peine privative de liberté assortie de sursis simple ou avec probation supérieure à six mois ; les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt ; les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux camerounais, soit par un jugement rend à l’étranger et exécutoire au Cameroun ; les aliénés mentaux ». Au total, six catégories de personnes dans lesquelles ne figurent pas les prévenues, personnes emprisonnées, non encore condamnées et en attente de jugement.

Fraude électorale

Ce qu’explique Me Fabien Kengne, avocat au barreau du Cameroun. « Les prévenus ne sont pas privés de leurs droits civils et politiques. Ils doivent donc pouvoir exercer leurs droits de choisir leurs représentants par le vote. Elecam a l’obligation de s’organiser avec les institutions pénitentiaires pour que ces compatriotes exercent leurs droits au vote. Ne pas le faire, le manque de volonté et la violation de la loi par Elecam. Cette dernière a l’obligation d’atteindre tous les camerounais où qu’ils se trouvent », clarifie-t-il.

Surtout que les personnes en attente de jugement incarcérées dans les prisons camerounaises sont les plus nombreuses. D’après l’avocat, les détenus en attente de leur jugement constituent plus de 60% de la population carcérale. Dans une déclaration publiée le 25 avril 2025, la Commission des droits de l’homme du Cameroun (Cdhc), relevait une aggravation de la population carcérale. Le nombre de détenus étant passé de 30 606 en 2019 à 37 150 fin 2024. « Un détenu est présumé innocent lorsqu’il n’est pas encore jugé et condamné. Et donc, il a le droit de voter. Et ne pas permettre aux personnes non encore condamnées et détenues dans des prisons en violation du Code de procédure pénale de voter, c’est violer leurs droits universels », note Me Alice Nkom, qui souligne que c’est une stratégie de fraude électorale.

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La Co-Pca du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique Centrale (Redhac) explique que « ces détenus non encore condamnés représentent une niche pour la fraude. Tous les prisonniers doivent avoir voté pour le candidat du Rdpc qui sait que ces prévenus ont le droit de voter, et connaît leur nombre. Il les garde pour lui. Au cas où il constate que son adversaire le dépasse, il prend les voies des prévenus et les ajoute aux siennes », développe-t-elle, en notant d’ailleurs que « c’est l’une des raisons pour lesquelles Elecam n’a pas publié la liste nationale des électeurs comme prévu par la loi et réclamée à cor et à cri par les camerounais ».

Blaise Djouokep

Cet article a été produit dans le cadre du projet Partenariat pour l’intégrité de l’information.

Mots – clés :

Détenus

Elecam

 

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