Présidentielle 2025 : Les grands enjeux électoraux dans le Grand-Nord du Cameroun

La prochaine élection présidentielle au Cameroun, prévue en octobre 2025, s’annonce comme un scrutin aux enjeux multiples, marqué par des dynamiques complexes, particulièrement dans le Septentrion. Traditionnellement bastion électoral du parti au pouvoir, cette partie du pays constituée de 3 régions semble désormais à la croisée des chemins pour le Rdpc.

La candidature de Paul Biya, 92 ans dont plus de 40 ans au pouvoir, est quasi certaine à en croire ses adresses à la nation du 31 décembre 2024 et du 10 février 2025. Ceci en dépit des débats qui ont cours aussi bien dans son parti que dans l’opinion au sujet de la légalité de cette candidature, pourtant candidat naturel comme le rappellent certains cadres à l’instar du Pr Jean Fame Ndongo, secrétaire national à la communication.

Il n’en demeure pas moins que dans le Grand-Nord Cameroun, au-delà de ce que certains analystes peuvent considérer comme de la surenchère politique, les regards sont désormais tournés vers les caciques tels que Bello Bouba Maigari, Issa Tchiroma respectivement président de l’Union national pour la démocratie et le progrès (Undp) et  du Front national pour le salut du Cameroun (Fnsc).

Si la question de la candidature de Paul Biya pour un nouveau mandat reste l’enjeu central, certains soutiens d’hier, peuvent devenir des adversaires politiques farouches de demain. Bien que de fervents soutiens du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) de l’Extrême-Nord aient déjà annoncé qu’il serait leur candidat, Paul Biya lui-même, n’a pas encore fait de déclaration officielle. Son état de santé et ses absences répétées alimentent les spéculations. Toujours est-il que « les électeurs camerounais iront aux urnes en octobre 2025 pour élire leur Président de la République. Parce que le Président de la République est la clé de voûte de nos institutions, cette élection devient capitale », rappelle à juste titre Dr Ibrahim Aba, enseignant à la faculté des droits et science politique à l’université de Garoua.

L’accès à l’eau potable, un défi dans le Septentrion  (photo d’illustration prise  en 2021)

L’Adamaoua et le Nord étant des régions flottantes et leur avenir dépendant de certains soutiens de Paul Biya, il y a lieu de noter que seule la convocation du corps électoral pourra permettre de voir mieux sur l’imbrication des différentes pièces du puzzle. Quoi qu’il en soit, « dans la partie septentrionale du Cameroun, la mère des batailles verra s’affronter le parti au pouvoir et d’autres partis politiques capables de résultats surprenants. Ceci peut donc expliquer les enjeux qui sous-tendent le camp du Rdpc. Paul Biya sera-t-il candidat ? La Constitution et l’article 27 (3) des statuts du Rdpc font de lui le candidat à l’élection présidentielle. Ses discours les plus récents, le déploiement progressif des collaborateurs à travers le pays, prouve qu’il sera bel et bien candidat », précise Ibrahim Aba.

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Les forces en présence

L’Église catholique, à travers des évêques comme Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo de Yagoua et Mgr Emmanuel Abbo de Ngaoundéré, a également exprimé des préoccupations sur la souffrance des Camerounais, ce qui peut être interprété comme un appel à un changement. La région du Septentrion est démographiquement la plus importante du Cameroun, ce qui en fait un enjeu électoral majeur. A titre d’illustration, lors de la présidentielle de 2018, des 71% des voix obtenues par Paul Biya, 47% venaient de cette partie du pays comme l’a vérifié DataCheck dans sa publication du 1er mai 2025. Le Rdpc, parti au pouvoir, y a traditionnellement bénéficié d’un soutien fort, mais des « nuages » semblent apparaître dans cette relation. A mesure qu’on approche la date, octobre 2025, si l’on s’en tient à la dernière de 2018, les frictions sont de plus en plus béantes.


Pour autant, le Septentrion avec ses trois régions, présente des dynamiques politiques distinctes. Dans la Région de l’Adamaoua, le Rdpc y est décrit comme « somnolant ». L’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (Undp) de Bello Bouba Maïgari y est un acteur politique majeur. L’annonce par ce dernier du prochain congrès de son parti le 28 juin prochain, fait monter moult spéculations. Des indiscrétions à cet effet, laissent croire que l’Undp pourrait rompre son alliance de longue date avec le Rdpc, ce qui serait un coup dur pour le parti au pouvoir dans cette région. D’autres, pense que Bello Bouba pourrait rebattre les cartes et exiger mieux, au regard de certaines promesses qui entourent cette alliance.

Dans la région du Nord, historiquement sous l’influence de l’ancien ministre Marafa Hamidou Yaya, aujourd’hui emprisonné, la région peine à trouver un nouveau leader influent. Le Lamido de Rey Bouba, Sa Majesté Aboubakari Abdoulaye, par ailleurs premier vice-président du Sénat et membre du Rdpc, ne parvient pas à s’imposer comme le nouveau chef de file. Les élites du département de la Bénoué le rejettent, le considérant comme un « étranger ».

Cette situation de vide de leadership pourrait affaiblir le Rdpc dans cette région cruciale. « Parmi les éléments qui peuvent perturber la sérénité du Rdpc, nous avons la popularité de l’Undp, la montée en puissance du Fsnc, la constance de Cabral libii. La région du Nord est effectivement à la recherche d’un leader à la dimension de Marafa. Le Lamido de Rey s’impose, certes progressivement, mais il y a encore des efforts à fournir », analyse pour sa part Dr Mocktar Njifenjou, historien à l’Université de Maroua.

Une situation qui mettrait par exemple le chef-lieu du Nord dans la tourmente. A titre d’illustration, « Le département de la Bénoué n’est pas encore entièrement pacifié du côté du Rdpc, le nouveau Chef de la délégation permanente départementale de ce parti à un important défi à relever. Il doit se réinventer parce que la base semble ne plus le reconnaître », poursuit l’historien.

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A l’Extrême-Nord, le Président de l’Assemblée Nationale, Cavayé Yeguié Djibril, reste le pilier central et moteur du Rdpc. Il a déjà confirmé que le candidat du parti serait Paul Biya. Il est soutenu par d’autres militants tels que Manaouda Malachi ministre de la Santé publique , Talba Ibrahim, ministre chargé des Marchés publics et non moins influent. Faut-il le rappeler, l’Extrême-Nord est un fief traditionnel du Rdpc, et sa capacité à maintenir cette base électorale est essentielle.  « Bien que Cavaye semble maîtriser ses troupes, on ne peut pas ignorer la bataille de leadership qui a éclaté entre le ministre Hélé et un groupe d’élites conduit par Anatole Maïna », se réserve le Dr Mocktar Njifenjou.

Suspens

Autant Paul Biya entoure sa position de suspense, Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma en font pareillement. Surenchère politique ou envie de rupture, on le saura sans doute dès la convocation du corps électoral théoriquement prévue avant la fin de la première quinzaine de juillet 2025.Cela dit, le président national du Fsnc, Issa Tchiroma, a tenu les 15 et 22 février 2025 respectivement à Maroua et à Garoua, de grands meetings. Cependant, il maintient le suspense quant à sa propre candidature à la présidentielle et sur le maintien de l’alliance de son parti avec le Rdpc. Sa décision aura un impact fort significatif sur l’équilibre des forces dans le Nord. Quant à Bello Bouba Maigari, s’il décidait, à l’issue du prochain congrès extraordinaire de démissionner de son poste de Ministre d’Etat et d’être candidat, ça porterait un coup dur dans ce vivier électoral.

Le Rdpc devra compter sur des personnalités contestées telles que le lamido de Garoua récemment admis au comité central, ou encore sur le lamido de Rey Bouba, personnalité également sulfureuse. Avec des acteurs comme l’Undp et le Fsnc qui cherchent à capitaliser sur l’insatisfaction croissante, le Rdpc devra renforcer sa stratégie pour mobiliser les électeurs, en particulier dans les zones traditionnellement favorables.

En somme, la prochaine présidentielle au Cameroun s’annonce sous haute tension aussi bien dans la partie sud du pays avec le Mrc et le Pcrn dont les meetings et autres manifestations sont torpillés par les autorités que dans la partie Nord avec des acteurs qui semblent bien contrôler le jeu. Le congrès de l’Undp sera suivi de très près car les résolutions donneront un autre ton à la prochaine présidentielle dans la partie septentrionale et pourra reconfigurer l’électorat du Grand-Nord Cameroun.

Peter Kum et Paul Joël Kamtchang

 

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