Protection des données : « Cette loi marque un tournant décisif pour le Cameroun »
Jules Hervé Yimeumi, Président de l’association Africa Data Protection revient sur l’adoption de la loi portant protection des données à caractère personnel par le Cameroun en fin d’année 2024
La loi 2024/017 sur la protection des données à caractère personnel adoptée en décembre 2024 est décrite comme une révolution au Cameroun. Qu’a-t-elle de révolutionnaire ?
Cette loi marque un tournant décisif pour le Cameroun. Jusqu’à présent, le pays ne disposait pas de cadre juridique clair pour encadrer la collecte et le traitement des données à caractère personnel, ce qui exposait les citoyens à des abus. Cette réglementation apporte une réponse aux défis posés par la transformation numérique. Elle établit des règles strictes pour protéger les données des individus, responsabilise les acteurs du numérique et renforce la souveraineté numérique du pays, en ligne avec les dynamiques internationales.
Pourtant, adopter une loi ne garantit pas sa mise en œuvre effective. Quels obstacles pourraient entraver son applicabilité ?
Vous avez tout à fait raison. L’écart entre les textes et leur application est un défi majeur. Premièrement, il manque des infrastructures adéquates et des moyens financiers pour contrôler et sécuriser les systèmes de gestion des données. Ensuite, la sensibilisation des citoyens reste insuffisante : beaucoup ignorent encore leurs droits numériques. Enfin, certaines entreprises pourraient être réticentes à se conformer aux nouvelles exigences, soit par manque de moyens, soit par résistance au changement.
Revenons aux fondamentaux. Qu’entend-on précisément par « données à caractère personnel » et qu’est-ce qui les distingue des données ordinaires ?
Selon l’article 5 de la nouvelle loi, une donnée à caractère personnel désigne toute information permettant d’identifier directement ou indirectement une personne. Cela inclut des identifiants directs, comme le nom ou le numéro de carte d’identité, mais aussi des identifiants indirects, comme les adresses IP ou les données de géolocalisation. La spécificité de ces données réside dans leur impact : leur mauvaise utilisation peut compromettre la vie privée, voire la sécurité d’un individu. C’est pourquoi elles sont protégées par des lois spécifiques dans de nombreux pays, y compris désormais au Cameroun.
Que prévoit concrètement la loi camerounaise pour encadrer l’utilisation des données personnelles ?
Plusieurs mesures clés sont introduites. Licéité, loyauté et caractère non frauduleux : tout traitement de données à caractère personnel doit se fonder sur l’une des « bases légales » prévues par la loi. Encadrement strict : Les organismes doivent définir clairement les objectifs de la collecte et ne peuvent utiliser les données à d’autres fins. Droit à l’effacement : Les citoyens peuvent demander la suppression de leurs données dans certaines conditions. Sanctions renforcées : Des amendes et des peines d’emprisonnement sont prévues pour les contrevenants. Création d’une autorité de protection des données : Cette autorité sera chargée de veiller à l’application de la loi et à la protection des droits des citoyens.
Comment cette loi peut-elle concilier la protection des données avec les libertés offertes par internet et les réseaux sociaux ?
C’est un équilibre délicat à trouver. La loi devra imposer des obligations aux plateformes numériques, comme le renforcement des politiques de confidentialité et la modération des abus. Mais ces mesures doivent rester transparentes et proportionnées pour ne pas entraver la liberté d’expression. Par ailleurs, l’éducation numérique sera essentielle pour responsabiliser les utilisateurs et leur permettre de mieux comprendre les enjeux liés à leurs données à caractère personnel. Si ces aspects sont bien gérés, cette loi pourra protéger les droits individuels tout en maintenant un espace numérique libre et responsable.
En conclusion, pensez-vous que cette loi peut véritablement transformer le paysage numérique au Cameroun ?
Absolument, à condition qu’elle soit mise en œuvre avec rigueur et accompagnée des ressources nécessaires. Elle pourrait non seulement protéger les citoyens contre les abus, mais aussi faire du Cameroun un modèle de régulation numérique en Afrique. Cependant, cela nécessitera un engagement collectif des autorités, des entreprises et de la société civile.
Propos recueillis par Paul Joel Kamtchang







