Transport aérien :  Vol manqué de Camair-Co
Camair-Co

Dans une correspondance adressée au ministre des Transports, le directeur général de Camair-Co, envisage la suspension du contrat de travail de 371 employés sur 577, à cause des répercussions de la Pandémie du Covid-19 sur la compagnie.

« La mise en œuvre de ladite mesure qui couvre une période de six mois, pour compter de la deuxième semaine du mois de mai 2020, devrait concerner 371 employés sur 577, soit 64% du personnel,  dont l’activité est directement impactée par la suspension de l’exploitation », a écrit Louis Georges Njipendi Kuotu, le directeur général de Camair-Co, au ministre des Transports, Jean Ernest Ngalle Bibehe, le 23 avril 2020, au sujet des conséquences du Covid-19 sur les opérations de la compagnie aérienne nationale du Cameroun.

Le coût total du chômage technique, dit-il, sous réserve de la prise en compte des variables du salaire dans cette période est de 1,479 milliard F CFA. Il est réparti entre le salaire des 206 membres du personnel qui resteront travailler (938,79 millions FCFA), et les 371 employés qui seront mis en chômage technique (540,49 millions FCFA). Cette correspondance intervient quelques semaines après celle adressée au mois de mars 2020 au gouvernement.

La direction annonçait alors son intention de mettre en chômage technique les personnels. Elle l’expliquait par une baisse de ses recettes provoquée par le Covid-19. Le directeur général sollicitait de sa hiérarchie « la dotation d’une subvention d’équilibre mensuelle » de 2 milliards F Cfa. L’appel à l’aide de Louis Georges Njipendi Kouotou, 6ème dirigeant de la compagnie nommée en 9 ans de vie de l’entreprise survenait après la mise hors circuit du dernier avion de Camair-co encore en état de voler.

L’Autorité aéronautique de l’aviation civile avait décidé de clouer au sol l’avion Bombardier Q400 loué en Afrique du Sud au motif qu’il ne présentait pas toutes les garanties de sécurité. Elle avait d’ailleurs qualifié l‘aéronef de « cercueil volant ». Elle faisait aussi état de malversations relevées dans les contrats de location d’avions et le non-respect des normes réglementaires de l’aviation civile. La compagnie aérienne camerounaise dont la masse salariale se chiffrait à 6 milliards 540 millions au 31 décembre 2019 soit les 2/3 du chiffre d’affaires à l’émission, est au plus mal.

Espoirs et désillusion

L’arrivée de Georges Njipendi Kouotou à sa tête le 27 mai 2019 marque le début d’une période de soucis. Les menaces de grève pour défaut de salaires refont surface. Des lignes sont supprimées, les avions tombent en panne, des vols sont annulés. Le directeur général s’oppose au président du conseil d’administration. Chief Ngoua-Elembé, un haut cadre de la compagnie aérienne dans une lettre au Premier Ministre, fait savoir qu’au cours de l’année 2019, la compagnie a sombré dans « le désordre ». Il relève des « salaires impayés aux pilotes et aux personnels au sol, l’absence de dialogue social, les nominations illégales et inopportunes … ».

Les vieux démons de la compagnie réapparaissent ainsi après la légère embellie enregistrée sur le règne d’Ernest Dikoum. L’entreprise n’est pas sortie de la zone de turbulences depuis sa création en 2011. Des difficultés accentuées au cours de la période 2015-2020 et que divers plans de relance initiés n’ont toujours pas pu redresser. En 2015 l’Etat injecte 30 milliards F Cfa dans les caisses de la compagnie, qui ont permis d’« acquérir d’autres appareils pour palier au problème d’annulation en cascade des voyages ». Un an plus tard le Mintransport   annonce le déblocage 60 milliards F Cfa pour financer le plan que le cabinet Boeing Consulting lui propose.

La somme doit aider à apurer la colossale dette (35 milliards F Cfa) contractée par Camair-Co et financer son développement. Ce plan ne sera jamais exécuté. L’ardoise de Camair-Co accumulée en 2015, 2016 et 2017 demeures. Elle aura notamment emprunté à ses créanciers 16,2 milliards F Cfa et 14,1 milliards F Cfa. A cette dette s’ajoute un manque à gagner évaluer à 57,1 milliards F CFa.

Jean-Paul Nana Sandjo a été limogé et Ernest Dikoum lui a succédé le 22 août 2016. Sous la direction de cet ancien de Fly Emirates, « L’étoile du Cameroun » brille quelque peu. Son chiffre d’affaires est multiplié par quatre en un an. Il passe de 5 milliards à son arrivée à 26,6 milliards en 2018. Le nombre d’employés est réduit de 814 à 568 durant le temps qu’il passe à la tête de Camair-Co.

La compagnie dessert un plus grand nombre de régions au Cameroun. Le bel élan est entamé par la non disponibilité des 6 avions de la flotte de la compagne nationale aérienne du Cameroun tombés en panne. Conséquence les gains chutent de nouveau en 2019. Le bras de fer entre le président du conseil d’administration Njipendi Kouotou et son directeur général tourne à l’avantage du premier. Le patron prendra la place de son ex second en mai 2019.

Anti-gestion

« Tous les directeurs généraux de Camair-Co ont fait ce qu’on appelle l’anti gestion », déplorent certains spécialistes. L’un d’eux, Nyounaï Nyounaï, dénonce des dirigeants mus par l’appât du gain qui les amène à sacrifier le bien-être collectif sur l’autel de l’intérêt personnel. « C’est une compagnie qui n’a jamais fait un bon choix de gestion, aucune stratégie, tout est politique. Tous les responsables nommés savent que cette compagnie ne peut pas être viable, ils s’accrochent tous à la location de vieux avions à des coûts prohibitifs à condition qu’ils aient des rétro commissions. D’ailleurs tout différend entre les 3 principaux responsables (ministre, PCA, DG) provient toujours de la location des avions. Personne d’entre eux ne veut suggérer l’achat des avions neufs ». L’ancien cadre de la défunte Cameroon Airlines explique que les différents directeurs généraux sont rentrés dans le système de gestion des vieux avions encore appelés « coucous ».

Il déclare que ceux-ci ne gèrent même plus la compagnie mais plutôt les locations. « Et comme ces avions ne tiennent pas longtemps en exploitation à cause de leur faible potentiel, tout s’arrête naturellement sur le terrain pendant qu’ils luttent tous pour les « revenus » des locations », ajoute-t-il. Il est rejoint par Daniel Eyango, le président du Conseil du Syndicat des travailleurs du transport aérien (STTA) à l’origine de plusieurs actions ces derniers mois « Tous les directeurs généraux de Camair-Co ont fait ce qu’on appelle l’anti gestion. Ils ont plutôt tout fait pour tuer cette entreprise. Les exemples existent. Et le Dg actuel s’inscrit dans cette longue lignée », accuse le leader syndical pour qui ce sont des « aventuriers qui ont jusqu’ici été nommés à la tête de Camair-Co ». Selon lui, Camair-Co n’a jamais eu un vrai business plan et les rares qui ont été faits « étaient faux ». Un brin nostalgique, Daniel Eyango se souvient de la défunte Cameroon Airlines « qui avait entre 1500 et 2000 employés et avait passé près de 8 ans sans rien demander à l’Etat ». Il croit qu’aujourd’hui encore, l’entreprise peut employer 1600 jeunes sans solliciter le soutien de l’Etat.

Espoir

Lorsque l’on lui demande si Camair-Co est condamnée à mort du fait de la pandémie du Covid-19 avancée comme raison de la suspension des activités de la compagnie, il répond par la négative.  « Il faut savoir que Camair-Co a un marché naturel qui est le sien. C’est un marché très sollicité. Comme preuve le nombre de compagnies aériennes   qui viennent au Cameroun et qui veulent multiplier leurs fréquences. Ce n’est pas la pandémie qui m’alarme, mais la gestion de l’entreprise. La pandémie pourrait précipiter la mort de Camair-Co du fait de sa gestion actuelle qui a toujours été celle connue depuis sa naissance », précise M. Eyango.

Son ancien collègue Nyounaï Nyounaï conditionne un éventuel réveil de Camair-Co à plusieurs actes qui sont la nomination d’un dirigeant compétent, l’achat d’aéronefs neufs pour permettre d’avoir un potentiel d’exploitation de 6 à 9 ans, la signature d’un contrat de performance entre le directeur général et le conseil d’administration afin de laisser le directeur général gérer et rendre compte. Surtout, « nommer un DG sur la compétence, nommer les différents directeurs sur la base de qualification proposée par l’OACI à travers l’Autorité Aéronautique, embaucher sur la base de la compétence et non sur une base ethnique, démissionner en cas de non atteinte des objectifs ».

Pierre Arnaud Ntchapda

 

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