Barnabé Mbassi Tsalla : “Le problème qui se pose, reste celui de la rétention à l’école”

Expert du Financement basé sur la performance au Programme d’appui à la réforme de l’éducation au Cameroun (FBP-Parec), il fait une analyse globale de la scolarisation, et de celle des jeunes filles en particulier dans les ZEP.

Au Cameroun, quatre régions sont considérées comme zones d’éducation prioritaire (ZEP) depuis un certain nombre d’années. Quels constats se dégagent de la scolarisation de manière globale, et de celle des jeunes filles en particulier dans les ZEP ?

Les zones d’éducation prioritaire sont celles où les indicateurs de scolarisation sont faibles. L’Adamaoua, l’Est, l’Extrême-Nord et le Nord sont classés parmi ces régions. Mais il faut dire qu’on retrouve aussi les ZEP (poches de sous scolarisation) autour des grandes métropoles (quartier Briqueterie à Yaoundé par exemple). Certains départements, tels que le Noun, en font aussi partie. Le Nord-ouest et le Sud-ouest peuvent aussi y être classés à cause de la crise sécuritaire qui prévaut depuis cinq ans avec les mots d’ordre de boycott des classes. Toutes choses qui y contribuent à une profonde déscolarisation. Ces zones se caractérisent par de faibles taux d’accès, de rétention et même d’achèvement du cycle par les élèves. S’y ajoutent les disparités au niveau des genres, à l’avantage des garçons dans la plupart des cas (68% chez les filles contre 76% chez les garçons), mais aussi des filles dans d’autres. C’est le cas dans le Nord-Ouest, avec la propension des jeunes garçons à trouver un emploi.

Pensez-vous qu’il existe effectivement une approche particulière dans les ZEP pour encourager les jeunes filles à aller à l’école ou cela vous semble pareil partout ?

Avec l’appui des partenaires techniques et financiers (Unicef, Banque mondiale, Plan international Cameroun, etc.), des programmes spéciaux sont mis en place pour promouvoir la scolarisation des jeunes filles. Dans le cadre du Programme d’amélioration de l’équité et de la qualité de l’éducation au Cameroun (Paeque), un programme de coopération avec le Partenariat mondial pour l’Education supervisé par la Banque mondiale entre 2014 et 2019, une composante y avait été dédiée, dans le prolongement de l’Unicef. Il y était question d’organiser des campagnes de sensibilisation auprès des parents, des autorités traditionnelles et religieuses et de distribuer des kits aux jeunes filles pour les inciter à aller à l’école. Ces kits comprenaient un sac d’écolier, quatre cahiers, des crayons à bille, un paquet de crayons ordinaires, une montre bracelet, une paire de sandales, le lait de toilette, des serviettes hygiéniques, deux brosses à dents, deux tubes de dentifrice, entre autres. Autres stratégies utilisées, ce sont la remise des prix aux filles brillantes, les campagnes organisées par les dames élites de ces régions, ainsi que les Associations des mères des élèves (AME), entre autres.

Quels sont, selon vous, les changements importants observés dans les ZEP depuis la mise en place de cette politique ?

Cette politique a permis d’améliorer le taux d’accès. Aujourd’hui, ces régions rivalisent avec celles dites avancées mais, le problème qui se pose, reste celui de la rétention à l’école et de l’achèvement du cycle par les enfants en âge scolaire en général, et des filles en particulier.

A travers cette politique, l’Etat veut offrir une éducation de qualité à tous les enfants, notamment aux filles, compte tenu des difficultés qui entravent leur accès et leur maintien dans le système éducatif. Il veut également contribuer à l’amélioration de la scolarisation des enfants, et particulièrement des filles dans les ZEP. A votre avis, ces objectifs sont-ils atteints ?

Il est difficile d’affirmer que les objectifs de ce programme sont atteints, étant donné qu’il y a un lourd passif qu’il faudra progressivement éponger. L’on ne devrait pas non plus faire fi de certaines situations d’urgence à l’instar des crises sécuritaires qui ne sont pas pour faciliter les choses. C’est donc une œuvre de longue haleine qui permet de manière progressive, d’améliorer la situation. Néanmoins, si nous prenons le cas du financement basé sur la performance dans le cadre du Programme d’appui à la réforme de l’éducation au Cameroun, il est des indicateurs qui incitent l’école à veiller à l’assiduité des élèves en général et des filles en particulier, ce qui contribue à l’amélioration de la rétention à l’école et, partant à l’achèvement du cycle.

Selon vous, quels sont les principaux goulots d’étranglement à la scolarisation des jeunes filles dans le primaire ?

La scolarisation des jeunes filles se heurte dans les ZEP à beaucoup d’obstacles. A savoir : la culture avec les mariages précoces ; les coûts d’opportunité qui font qu’on préfère envoyer les

garçons à l’école, conscient de ce que la fille ira en mariage. Il y a également l’environnement scolaire. Avec l’absence de latrines respectant le genre, les filles ne peuvent partager les latrines avec les garçons et sont obligées de rester à la maison. De même, l’absence d’actes de naissance décourage toute volonté à aller à l’école. Il y aussi la pauvreté des parents qui, dans certains cas, sont incapables de s’acquitter des frais divers, même si l’on est dans un contexte de gratuité des frais de scolarité de l’école primaire publique. Autre facteur, les violences, notamment le harcèlement dont les filles d’un certain âge sont l’objet.

Quelle évaluation faites-vous de la pertinence et de l’efficacité des mesures actuelles et des programmes ou projets mis en œuvre pour lever les principales contraintes à la scolarisation des garçons et des filles ?

Ces mesures sont, à un certain niveau, efficaces. Mais, elles gagneraient à être différenciées au lieu d’être holistiques. Il est souhaitable que les interventions des différents partenaires se fassent de manière concertée, en lien avec les objectifs du gouvernement.

Que proposez-vous comme mesures pour améliorer l’accès et la rétention des filles à l’école, dans les quatre régions identifiées comme ZEP au Cameroun ?

Les causes n’étant pas partout les mêmes, il importe donc de faire un diagnostic profond qui permettra de traiter la question en fonction des spécificités de chaque région.

Propos recueillis par Alexandra TCHUILEU N. Marie-Louise MAMGUE et FOTSO FONKAM

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