Cameroun : 5 réformes nécessaires pour sauver l’administration camerounaise
Dr Louis- Marie Kakdeu

L’administration camerounaise est passée en moins d’un an, de 260 000 personnels à 388 000 matricules valides dans le fichier solde. Si le politique, tenant du pouvoir central y voit une performance, force est de constater que cette administration publique est assise depuis des lustres sur la politique, un système de promotion peu orthodoxe et un conservatisme à outrance.

J’ai choisi de m’attaquer cette semaine à la fonction publique. Le Cameroun comptait en juillet 2019 selon le ministre près de 260.000 fonctionnaires et agents de l’Etat. A cette date, 388.000 matricules avaient été considérés valides dans le fichier solde selon Sylvestre Moh, alors directeur général du Trésor. Chaque année, le nombre de fonctionnaire augmentait au Cameroun d’environ 7% et la masse salariale se situait désormais autour de 25% du budget de l’Etat. En 2019, le taux de renouvellement des fonctionnaires au Cameroun était de 70% depuis la reprise du processus de recrutement en 2006. Pour le ministre, cela est un excellent résultat dans la mesure où la continuité du service public est assurée. Le problème est qu’une politique publique s’évalue plutôt sur la base de 5 critères suivants : efficacité, efficience, pertinence, durabilité et impact. L’administration camerounaise aujourd’hui remplit-elle ces critères ? La réponse est NON ! Que se passe-t-il et que faut-il faire ?

Les maux de l’administration publique

Pour faire simple, deux plus grands problèmes minent la fonction publique camerounaise en 2020. Il s’agit de l’absence de reddition de compte et de la montée de la gabegie. Ces deux grands maux éloignent l’administration publique des principes de management public applicables en démocratie. Les pratiques comme celles de nominations, affectations, attributions de marchés publics, recrutements, sont plutôt des outils de rétribution des soldats électoraux et non des outils de performance. Cette logique électoraliste qui bloque les ascenseurs sociaux s’oppose à la logique de production qui conduit au développement. Je pense que le Cameroun ne peut pas se permettre de continuer dans ce sens et qu’il faut nécessairement réformer l’administration publique afin qu’elle soit en mesure d’accompagner le développement du pays.

  1. Les grands chantiers à envisager.

Dépolitiser. On observe que la coloration politique de la majorité des fonctionnaires (autorités administratives) est fonction de la coloration politique du ministre (autorité politique) puisque ce dernier nomme ses soldats électoraux à des postes administratifs au mépris des exigences de performance. Pire, on atteste de plus en plus la création des cellules politiques dans les ministères, ce qui contribue à violer la liberté de conscience des agents publics. Ainsi, les administrations publiques sont quasiment fermées les jours de meeting politique (« spoil system »). Cela signifie que le champ des bénéficiaires du service public est réduit aux seuls partisans politiques en violation du principe de neutralité de l’administration. En effet, l’article 5 de la Charte de la fonction publique africaine stipule que l’administration ne doit exercer sur ses agents aucun traitement discriminatoire en raison des caractéristiques liées à la personne. Il convient donc de séparer le niveau politique (stratégique) du niveau administratif (opérationnel) pour permettre à l’administration publique de servir l’intérêt général. Cela passe par l’adaptation du cadre juridique aux exigences de neutralité et le renforcement des garanties institutionnelles devant servir de recours pour excès de pouvoir.

  1. Changer le mécanisme de promotion et d’ascension.

En l’état, le recrutement des fonctionnaires se fait par concours d’entrée dans les écoles de la fonction publique. En 2019 au Cameroun, le ministre de la fonction publique avait signé 36 arrêtés pour l’ouverture de 92 concours. Or, les modules de formation ne sont pas toujours adaptés aux besoins actuels de l’Etat et les produits formés ne sont pas toujours les plus compétitifs sur le marché du travail. Le concours permet de recruter les meilleurs à l’entrée de l’école alors que le marché a besoin des meilleurs à la sortie (produits finis). Par exemple, il est contre-productif de rejeter le titulaire d’un Master en administration publique (MPA) obtenu dans les meilleures écoles du monde pour la simple raison qu’il doit passer par un concours d’entrée dans une école nationale d’administration au rabais (le diplôme est inférieur à un master). En clair, notre administration publique ne recrute pas toujours les meilleurs qui existent sur le marché du travail et ne prévoit pas la possibilité de capitaliser les expériences internationales. Ces dernières années, des recrutements directs ont été initiés, ce qui a permis d’apporter une nuance à cette situation. Il convient de les multiplier afin de ne recruter que les diplômés les plus compétitifs issus des meilleures écoles de formation (obligation de performance). Il convient surtout de mettre fin à des nominations (pouvoir discrétionnaire) comme critère de promotion sociale mais, de mettre en compétition comme en Suisse les postes administratifs (libre compétition comme critère d’ascension sociale) et de soumettre au contrôle parlementaire comme aux Etats-Unis (« merit system ») les nominations à de hautes fonctions (contrôle de qualité). Cela veut dire que s’il veut désigner un chef de service, un directeur ou un secrétaire général, on ouvre le poste aux plus compétitifs.

  1. Changer le mécanisme de pilotage et de l’évaluation.

Il s’agit de repenser et d’adapter au Cameroun la Nouvelle Gestion Publique (introduction des objectifs et des indicateurs de performance) dont on parle depuis la fin des années 1990 mais, qui a été engloutie par le poids de la bureaucratie wébérienne. Pour l’instant, on continue d’enregistrer une trop grande spécialisation par fonction, un système de coordination et d’évaluation de services assuré par la hiérarchie politique (inspection générale), une trop grande centralisation des décisions, un système de promotion uniquement interne, etc. Il convient de développer plutôt la responsabilisation ou la mesure des résultats (rentabilité, efficacité, efficience, qualité des services) en suscitant la compétitivité et la productivité à l’intérieur du service public et en appliquant le principe d’efficience économique dans l’utilisation des ressources et dans la recherche de l’innovation pour la fourniture des services publics.

  1. Dématérialiser l’administration.

Pour l’instant, les modes de production, de classement, de recherche, d’archivage ou de diffusion des informations et des documents administratifs sont contre-productifs. Un agent public perd en moyenne deux heures par jour dans la recherche de l’information au milieu d’une montagne de dossiers. Cela rallonge à l’infini le temps des procédures qui finissent par être abandonnées pour certaines et influe considérablement sur la performance administrative. En 2020, cela peut prendre des mois à un agent pour suivre son dossier dans un ministère. Une meilleure gestion de l’information administrative augmenterait aussi la transparence nécessaire à la bonne gouvernance. Cela passe par la décongestion du circuit de l’information administrative et le développement d’une politique proactive d’archivage physique et électronique. Rares sont les administrations qui disposent d’un centre des archives. A voir comment les fonctionnaires se battent pour se frayer une place au milieu des tas de dossiers sur leurs tables, on comprend que ces derniers ne peuvent pas être performants. Il convient de procéder massivement à la numérisation et à la gestion électronique des documents administratifs.

  1. Contractualiser, externaliser et déléguer certaines tâches suivant les principes de subsidiarité, d’efficacité et d’efficience.

 En l’état, l’administration publique est lourde et très onéreuse. Le poids de l’organisation publique asphyxie le système économique. Un ingénieur par exemple se retrouve en retard dans son travail de conception ou de construction à cause de ses obligations administratives (comptabilité, logistique, ressources humaines, affaires juridiques, etc.). Il convient d’alléger l’organisation publique et d’externaliser (contrats de prestation) l’essentiel des prestations administratives en vue d’accroître la concentration sur le cœur du métier et les gains d’efficience directe (réduction des dépenses de fonctionnement et/ou accroissement de la productivité), les gains d’efficience indirecte (réduction des interventions de l’Etat), les gains d’efficacité managériale (management systématique des résultats, possibilité de mettre en place des démarches de changement), les gains d’efficacité comptable (uniformisation comptable, augmentation de la maîtrise du budget). A ce jour, l’agent public est à la fois ordonnateur, réalisateur et contrôleur, ce qui n’est pas adéquat. Pis, il est à la fois producteur et client dans les entreprises publiques. Il convient de procéder à la contractualisation et à l’externalisation des tâches non essentielles. 

 Voici ce que pensent les libéraux. Ces réformes sont nécessaires pour réduire la bureaucratie et créer un système plus performant.

Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA

 *Le titre et le chapeau sont de la rédaction et les propos du Dr Louis- Marie KAKDEU

 

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