Éducation de base : des centaines d’écoles primaires en détresse à l’Ouest
Dans cette région du Cameroun, près de 800 écoles primaires dites « nécessiteuses » fonctionnent sans enseignants suffisants, ni infrastructures adaptées, compromettant l’avenir de milliers d’enfants.
Agé de 15 ans, Youssouf a arrêté les études. L’adolescent, déscolarisé à cause de l’éloignement de l’établissement scolaire du domicile familial, n’a pas pu terminer le cycle primaire. Installé avec ses parents à Maripa, dans le département du Noun, le jeune homme passe désormais ses journées à surveiller le troupeau de bœufs familial.
« Nous sommes obligés de retirer nos enfants de l’école. Il est difficile pour nous de les laisser parcourir plusieurs kilomètres à pied dans une zone enclavée pour se rendre à l’école », explique Ahmed Moussa, père de six enfants. L’aînée de la fratrie, Djamila B., aujourd’hui âgée de 22 ans, a cessé d’aller à l’école à l’âge de 11 ans, en classe de CM1. Mariée depuis sept ans, elle est mère de quatre enfants. Une situation qui préoccupe, davantage chez les jeunes filles, parfois contraintes au mariage précoce. « Le combat contre la sous-scolarisation de la jeune fille doit se poursuivre dans le département du Noun », a déclaré, Augustine Awa Fonka, gouverneur de l’Ouest.
Des trajectoires comme pour Djamila, illustrent la réalité dans cette localité où l’éducation se heurte à des obstacles structurels, observe Élise Tene, coordonnatrice générale d’une école communautaire. A en croire cette éducatrice engagée dans un programme d’alphabétisation, Maripa, une localité située dans la commune de Massagam, à plus de 67 km de Foumbot, ne dispose d’aucune infrastructure scolaire. « Plusieurs parents n’ont pas encore compris l’importance d’envoyer leurs enfants à l’école », constate cette éducatrice qui évoque les pesanteurs culturelles et l’ignorance des parents.
Pour rattraper le coup chez les jeunes de cette communauté, une école communautaire bilingue a été créée. « Je marche dans les brousses à la recherche des enfants. Les parents disent ne pas avoir les moyens de les envoyer étudier en ville. Mais il est difficile de les faire sortir de cette zone par manque de moyens de transport », déplore Élise Tene qui essaie tant bien que mal d’encadrer les enfants non scolarisés de Maripa.
Manque d’enseignants
Outre l’absence des établissements scolaires, certaines localités comme Makeka, dans la commune de Foumbot, qui ont le privilège d’en disposer, connaissent un déficit d’infrastructure et d’enseignants. L’école publique de Makeka qui a bénéficié d’un bâtiment de trois salles de classe construit dans le cadre du Projet de Développement Rural du Mont Mbappit, par exemple, a accueilli 214 élèves, encadrés par seulement deux enseignants au cours de l’année scolaire 2024-2025. « Plus de 75% de cet effectif n’ont pas d’acte de naissance », déplore le responsable de cette école.
Selon Njoya Inoussa, maire de Foumbot, « la commune, asphyxiée par les énormes demandes et sollicitations des responsables des écoles primaires, reste malheureusement muette à cause du manque de moyens nécessaires pour répondre aux besoins exprimés ». Il regrette « qu’en parcourant les villages de Foumbot, les salles de classes dans lesquelles nos enfants séjournent pendant l’année scolaire sont en piteux état ».
Un état de lieux qui ne se limite par dans le Noun, mais qui affecte toute la région de l’Ouest. A en croire Robert Fotso, inspecteur régional de pédagogie en technologies éducatives à la délégation de l’Education de base de l’Ouest, dans certains villages des départements de l’Ouest, des écoles à cycle complet ne comptent que deux enseignants, parfois hébergées dans des maisons de particuliers. Des établissements scolaires confrontés aux difficultés sociales et scolaires, qui font parties des zones d’éducation prioritaire (Zep) au Cameroun.
« La notion de Zep concernait initialement l’Extrême-Nord et l’Est, mais on s’est rendu compte qu’il existe d’autres petites poches à l’Ouest, notamment dans le Ndé et le Noun », explique Robert Fotso. Des zones caractérisées, dit-il, par des taux d’accès, de rétention et d’achèvement du cycle scolaire réduits, une persistance des inégalités éducatives et, parfois, des facteurs externes comme les crises sécuritaires.
Politique publique
Depuis 2018, le Programme d’appui à la réforme de l’éducation au Cameroun (Parec) tente de répondre à ce déficit en recrutant chaque année environ 3 000 enseignants. L’objectif étant de parvenir à un minimum de trois enseignants par école d’ici 2026. Mais le dispositif reste fragile. « Le contrat de cinq ans imposés aux recrutés n’est pas toujours respecté. Certains enseignants démissionnent ou refusent d’être affectés dans des zones enclavées. Du coup, une école qui n’était pas nécessiteuse peut le redevenir deux ans après », regrette Robert Fotso.
En 2024, la région de l’Ouest comptait 369 écoles éligibles à la 6ème phase du Parec pour 290 enseignants à recruter, mais les besoins demeurent considérables. Car, déjà en 2021, le ministère de l’Éducation de base signalait 801 écoles nécessiteuses dans cette région.
Malgré un accès quasi universel à l’enseignement primaire, le Cameroun peine à assurer l’achèvement du cycle. D’après le rapport 2022 de l’Ins publié en juin 2024, seuls 75 % des élèves atteignent la dernière année du primaire. Un taux insuffisant au regard de l’ODD4, qui exige que tous les enfants terminent ce cycle et maîtrisent les fondamentaux (lecture, écriture et mathématiques).
Les politiques publiques en matière éducative, explique Augustin Ntchamande, secrétaire exécutif de l’Organisation nationale pour la promotion de l’éducation et le développement (Onaped), n’ont pas jusqu’ici produit des résultats escomptés. Il recommande à l’Etat « d’allouer au moins 20% du budget national à l’éducation de la jeunesse. Le ratio pour l’heure étant est d’environ 11,5% ».
Aurélien Kanouo Kouénéyé
Cet article a été produit dans le cadre du projet Partenariat pour l’intégrité de l’information.







