Est : le trafic de bois prend de l’ampleur à Moloundou

Cette localité frontalière avec le Congo-Brazzaville dans la région de l’Est, est le foyer de l’exploitation illégale des forêts transfrontalières qui prend une ampleur inquiétante. Les bois illégalement récoltés sont convoyés via des radeaux vers les villes congolaises d’Ouesso et Brazzaville.

Agé d’environ 35 ans, Jean Aloti, originaire de l’arrondissement de Moloundou, département de la Boumba-et-Ngoko, région de l’Est, transporte depuis près de 15 ans, les billes de bois sur le radeau entre le Cameroun et le Congo-Brazzaville. « Je fais parfois 2 voyages par semaine entre Socambo (Camerou) et Ouesso (Congo). Cela dépend du nombre des cargaisons de bois disponibles et des conditions climatiques, parce que quand il pleure beaucoup, il devient dangereux de voyager sur le fleuve Sanga », relate-t-il.

Ce transporteur est régulièrement sollicité pour ses services. « Mon travail c’est de transporter le bois dès que le client les achemine jusqu’au bord du fleuve. J’ignore tout de leur origine », affirme ce transporteur pourtant bien au fait des coupes de bois irrégulières dans cette localité.  En effet, dans cet arrondissement de la région de l’Est, des bois camerounais d’origine douteuse transitent au quotidien vers le Congo-Brazzaville. Un trafic qui implique plusieurs acteurs, dénoncés par l’administration forestière locale et les ONG qui œuvrent dans la protection de l’environnement.

Selon la délégation départementale des Forêts et de la Faune, de la Boumba-et-Ngoko, « il est formellement établi l’existence d’un réseau de trafic transfrontalier de bois en provenance des forêts camerounaises vers le Congo dans plusieurs localités de l’arrondissement de Moloundou ». Il s’agit, relève Halla Alhadji, le délégué départemental, au cours d’une présentation sur la vulgarisation du guide de l’écogarde à Bertoua le 16 juillet 2025, des localités de « Ndongo (Cameroun) face à la localité de Ngbala (Congo), Mokounounou (Cameroun) face à Tala-tala (SOCALIB) (Congo), Kika (Cameroun) face à Pounga (Congo) et de Socambo (Cameroun) face à Ouesso (Congo) ».

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Halla Alhadji affirme par ailleurs que « l’exploitation illégale des forêts transfrontalières constitue un enjeu environnemental, économique, une préoccupation sociale et sécuritaire dans la zone ». Un état des lieux déploré par le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) dans une récente étude, qui indique que « 60% de cette exploitation ont été observés dans les unités forestières d’aménagement (UFA) et 40% dans les jachères et les plantations avec comme corolaire un manque à gagner considérable pour l’Etat du Cameroun estimé à plus de 1,5 milliards de F Cfa par an ».

Intensité

De façon générale, la criminalité environnementale caractérisée par l’exploitation illégale des forêts et le braconnage ont dressé leur lit dans cette zone comme en témoigne les résultats des opérations coup de poing obtenus en 10 mois, entre septembre 2024 à juin 2025. Pendant cette période, « 06 missions ont été réalisées sur les différentes rives et ont produit des résultats ci-après : 1199 pièces de bois, cubant 837,692 m3 dont 06 radeaux saisis et détruits, 04 campements des exploitants  incendies, 10 campements pour braconniers, 02 armes de chasse de fabrication russe et 21 munitions saisies, 4,5 rouleaux de câbles enlevés, 247 dépouilles animales pesant 400 kg saisies et vendues aux enchères, 41 suspects dont 22 braconniers et 19 exploitants de bois illégal déférés devant le Procureur de la République et placés sous mandat de dépôt ».

Selon Bernard Bangda de Moabi Think Thank rencontrés par Data-Cameroon, l’une des causes de cette criminalité réside dans l’ignorance par les acteurs sociétaux et étatiques des menaces que représente l’exploitation forestière illégale, une diversité d’acteurs en coaction, organisés dans une logique de création de richesses au détriment de la pérennité de la ressource. Il relève aussi que la filière est totalement et fortement établie dans l’informel et gangrénée par la corruption, une stratégie de contrôle unilatérale, axée uniquement sur les opérations coup de poing irrégulières (faute de moyens) et orientée vers les acteurs mineurs (scieurs et convoyeurs de radeaux) plutôt que vers les acteurs majeurs (fournisseurs et acheteurs/pourvoyeurs des fonds) et une rentabilité élevée des opérations illégales. « Le prix de vente de la planche d’Ayous est de 2500 F Cfa au Cameroun contre 7000 F Cfa au Congo. L’Iroko et le Sapeli coûtent respectivement 5000 F Cfa à l’embarcation, contre 18000 et 15000 F Cfa au Congo », dit-il.

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En outre, il y a les limites de la stratégie actuelle de lutte, l’inactivité de certains titres dans la zone (Forêts communautaires et UFA), l’absence d’un mécanisme d’approvisionnement légal en bois vers le marché congolais et les opérations d’intervention fluviales qui sont complexes et onéreuses en termes de finances, de temps et de faisabilité.

Selon le délégué départemental, il y a lieu de mettre en place une plateforme multi-acteurs de lutte contre l’exploitation illégale de bois dans la zone de Moloundou, de mettre en place un fonds de lutte contre ce phénomène, d’élaborer un plan annuel d’opération assorti d’une périodicité d’intervention mensuelle si possible. Il indique qu’il faut aussi prendre en compte les activités de sensibilisation et de redynamisation des forêts communautaires et faire le suivi-évaluation de la stratégie commune entre outres.

Pour renforcer la lutte contre tous les crimes environnementaux, un projet du ministère des Forêt et de la faune (MINFOF) et de son partenaire, le Fonds mondial pour la nature (WWF) a été lancé le 16 juillet 2025 à Bertoua dont sa mise en œuvre se fera avec la participation active de la société civile.

Sébastian Chi Elvido à l’Est

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