Emploi : Près de 80% des personnes handicapées en chômage au Cameroun
L’exposition de la 4e édition du forum des organisations de la société civile du Littoral. C.F ADISI-Cameroun

Emploi : Près de 80% des personnes handicapées en chômage au Cameroun

L’Association pour le développement de l’entrepreneuriat des personnes handicapées(Adephan), indique  dans un article publié en 2017, que  le taux de chômage chez les personnes handicapées est de plus de 80%, sur au moins 1 000 000 en âge de travailler. Dans la région du Littoral, il est difficile d’avoir les données statistiques sur leur insertion socioprofessionnelle dans les administrations et institutions compétentes personnes handicapées en chômage au Cameroun.

Aimé Raymond Ngangue n’a qu’un an à l’époque lorsque les médecins apprennent à ses parents qu’il sera infirme toute sa vie, à cause de la poliomyélite. « C’est parti des convulsions, puis d’une paralysie totale des deux jambes », raconte cette victime de la poliomyélite qui se déplace en fauteuil roulant. Malgré son handicap, Raymond a été recruté comme cadre contractuel au sein de l’administration publique camerounaise.

Comme lui, Robert Ekabe, âgé de 55 ans aujourd’hui, a connu le handicap très jeune. « J’ai eu un accident domestique à l’âge de 12 ans.  Le bout de la machette m’a blessé à l’œil gauche et depuis lors, je n’ai plus jamais vu de cet œil. j’ai progressivement perdu la vue à l’œil droit 2 ans plus tard. Les médecins ont déclaré qu’on ne pouvait plus rien faire. », se remémore-t-il. 6 ans après son accident, il a appris dans une école spécialisée le braille, l’agriculture et l’élevage. Son amour pour l’enseignement va faire de lui un éducateur spécialisé.

Aujourd’hui, président de l’Association pour la formation et l’insertion sociale des aveugles (Acfisa), Robert craint pour l’avenir des ses étudiants qui  trouvent difficilement un emploi au terme de leur formation. « L’école compte plus d’une vingtaine de diplômés supérieurs et plus d’une cinquantaine de détenteurs de Brevet d’étude du premier cycle à Douala. Mais sur ce nombre, seulement 4 voire 5 ont un emploi », confie Robert.  Il ajoute: « parmi nos étudiants, il y en a qui ont été envoyé à l’Ecole normale des instituteurs de l’enseignement général (Enieg) et qui sont titulaires des Certificats d’aptitude pédagogique des instituteurs des écoles maternelles et primaires (Capiemp), mais qui ne sont pas encore  recrutés. L’éducation d’une personne non voyante est coûteuse. Mais après un tel investissement, l’Etat ne fait rien pour leur insertion professionnelle. Je trouve qu’il y a un problème ».

personnes handicapées en chômage au Cameroun Des données inexistantes

Dans un article publié en mai 2017, l’Association pour le développement de l’entrepreneuriat des personnes handicapées(Adephan), indique qu’au Cameroun, le taux de chômage chez les personnes handicapées est de plus de 80%, sur au moins 1 000 000 en âge de travailler. Parmi les causes, l’on note la réticence des entreprises à recruter ou à accompagner des personnes handicapées et les postes de travail  pas du tout adaptés pour leur handicap.

Pourtant, l’article 38 de la loi n° 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées indique que «les personnes handicapées justifiant d’une formation professionnelle ou scolaire bénéficient des mesures préférentielles, notamment la dispense d’âge lors des recrutements aux emplois publics et privés par rapport aux personnes valides, lorsque le poste est compatible avec leur état. A qualification égale, la priorité de recrutement est accordée à la personne handicapée…»

Cependant, pense le Pr. Paul Basile Nyet, sociologue économique, spécialiste en régulation sociale et flexibilité du marché du travail, il est  nécessaire de prendre en compte la nature des tâches pour lesquelles on peut valablement solliciter cette catégorie de main d’œuvre. «A partir du moment où la personne handicapée n’a pas la même force de travail qu’une personne valide, c’est déjà un problème. Pour convaincre le patron à accepter une main d’œuvre de ce genre  dans son effectif, il faut beaucoup de communication, de sensibilisation et d’humanisme», explique-t-il.

Un avis qui appuie l’observation faite par Abdoulahi Bagobiri, expert en Ressources humaines, qui souligne : « Je ne suis pas encore tombé sur une entreprise qui prend en compte le critère handicap, en tout cas pas au Cameroun » .

D’après le 3e Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) du Bureau central des recensements et des études de population (Bucrep), sur la situation socio économique des personnes vivant avec un handicap publié en 2005, le pays a dénombré 262 119 personnes vivant avec au moins un handicap. A l’instar de la surdité, du mutisme, de la lèpre, de l’infirmité des membres supérieurs ou inférieurs, de la maladie mentale ou de l’albinisme. Soit 1,5% de la population totale, dont la prévalence s’élève à 1,6% chez les hommes contre 1,5% chez les femmes. Ladite étude révèle que les taux de chômage des personnes vivant avec un handicap sont de 16,4%, soit 16,5% chez les hommes et 16,1% chez les femmes. Tandis qu’en milieu urbain, il est  de 29,7%, contre 7,7% en milieu rural.

Dans la région du Littoral, il est difficile d’avoir les données sur l’insertion socioprofessionnelle des personnes handicapées. La délégation régionale de l’Emploi et de la formation professionnelle (Minfop) pour le Littoral ne dispose d’aucune donnée sur le nombre actuel des personnes handicapées et le pourcentage de ceux dans la fonction publique. « Nous ne prenons pas en compte l’approche handicap. Les statistiques que nous avons sont celles sur l’aspect genre»,confie un cadre.

La situation est quasiment la même au Fonds national de l’emploi(FNE), agence régionale du Littoral. « Nous n’avons pas spécifiquement un regard sur les handicapés. Pour chaque camerounais qui arrive, on doit lui trouver une solution adaptée à son problème, sans aucune discrimination », souligne Eric-Christian Mopa, du service de l’information et de la communication. Pour Axel Amana, spécialiste en administration Ressources humaines, cette absence de données est due à l’inaction de ces entités.  «A côté de cela, je ne suis pas sûr que ce problème fait véritablement partie des préoccupations prioritaires de l’Etat», indique-t-il.

Néanmoins, le FNE affirme avoir un programme d’appui à l’insertion et à la réinsertion socioprofessionnelle des personnes vulnérables (Pairppev), conjointement initié et mis en œuvre avec le ministère des Affaires sociales (Minas). L’objectif est de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des personnes vulnérables, aptes et en âge de professionnalisation à travers le placement dans les entreprises, les formations qualifiantes et le financement des projets d’auto-emploi et de micro-entreprise. Dans le document intitulé “le FNE en 7 questions”, cette institution indique que 483 personnes vulnérables (handicapées et les enfants de la rue, etc.) ont été insérées au Cameroun durant sa phase pilote en 2016.

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Selon Angeline Evina, présidente coordinatrice des associations des étudiants des universités du Cameroun (Caehucam), une organisation qui regroupe les associations des étudiants handicapés des 8 universités publiques du Cameroun et bientôt 11 avec la création de 3 nouvelles universités, le recrutement des personnes handicapées n’est pas une chose commune au Cameroun. Quelques événements ont permis de le faire, à l’instar du recrutement spécial des 25 000 jeunes en 2010, où  plus de 200 étudiants handicapés avaient été recrutés après un lobbying de la Caehucam. «Le plus gros effectif des anciens étudiants qui ont un emploi l’ont eu en partie grâce à cette opération de coup de force en 2010. Certains ont aussi été recrutés après un plaidoyer de la Caehucam à l’endroit du gouvernement », confie-t-elle.

Pour Jacques Adelain Terrestra Nang, délégué régional de la jeunesse et de l’éducation civique, « ce pourcentage peut être faible parce que d’une part, les personnes handicapées, ont un problème d’accès à l’information, elles ne sont pas toujours au courant des programmes gouvernementaux qui sont mis en œuvre.»  À ce sujet, Eric Dzogang, chef service des statistiques à la délégation régionale du Minas-Littoral, regrette le fait que les personnes handicapées ne fassent pas assez de recherches. «Quand on est à la recherche de l’emploi, on doit aller vers l’information. Aussi, les personnes handicapées veulent seulement être recrutées, alors qu’elles peuvent explorer d’autres pistes », relève-t-il personnes handicapées en chômage au Cameroun.

Au niveau des communes d’arrondissement, l’insertion des personnes handicapées n’est pas toujours aisée, même si certaines font l’effort d’intégrer quelques-unes dans leur effectif. Le cas de  la mairie de Douala 3e qui compte parmi son personnel, 3 handicapés moteurs au poste de chef de bureau Etat civil, chef service social et culturel et agent service hygiène. Ce nombre est un peu plus réduit à Douala 4e, qui enregistre 2 handicapés moteur, par ailleurs conseillers municipaux. Impossible d’avoir ces informations dans les communes de Douala 1er, 2e et 5e. Pour entre autres raisons, les déplacements du maire et/ou l’indisponibilité du responsable vers qui la demande a été orientée, le cas du service social de la mairie de Douala 5e dont la cheffe a demandé à DataCameroon de ne revenir qu’après appel téléphonique, ce qui n’a jamais été fait

personnes handicapées en chômage au Cameroun Entre autres difficultés…

A en croire Innocent Sielahe, handicapé moteur, quand bien même les personnes handicapées arrivent à trouver du travail, elles font face aux problèmes de postes de responsabilités. « Nous ne sommes pas nombreux à avoir des responsabilités. Que ce soit dans des entreprises privées ou publiques. Je suis titulaire d’un master 2 en fiscalité, je travaille dans ce service depuis 12 ans, mais malheureusement, je n’ai jamais été nommé. A la délégation où je travaille, je ne suis pas le seul handicapé. Mon collègue également, malgré ses diplômes, n’a  jamais été nommé, tandis que les moins diplômés sont nos chefs» , confie ce cadre aux services des enquêtes et statistiques à la délégation régionale des Petites et moyennes entreprises, de l’économie sociale et de l’artisanat(Minpmeesa) pour le Littoral.

A cet obstacle, s’ajoute le problème de l’inadéquation des infrastructures. «Je travaille dans un ancien bâtiment, le type qui n’a pas de normes autour du handicap. La-bas, il n’ y a pas de rampe d’accès pour chaise roulante (…) », témoigne Aimé Raymond Ngangue, recruté lors du recrutement spécial des 25 000 jeunes diplômés dans la fonction publique personnes handicapées en chômage au Cameroun.

Ces difficultés font, elles aussi, partie du quotidien d’Innocent Sielahe.  «Quand bien même on a cet emploi, les infrastructures ne sont pas adaptées, mais nous devons faire avec. Nous avons le même rendement que les autres », souligne-t-il en précisant : « Le bâtiment tel qu’il a été construit ne peut plus être adapté. Ce que nous avons demandé à l’époque c’est que les bureaux qui sont au rez-de-chaussée nous soient attribués, ce qui n’a pas été fait. Nous nous sommes habitués et n’avons plus demandé cette disposition

Pour Abdoulahi Bagobiri, expert en Ressources humaines, cette dotation de ramener tous les employés handicapés au rez-de-chaussée peut être compliquée à gérer, du fait du traitement particulier auquel ils doivent être soumis. « Je pense que l’essentiel serait d’avoir des aménagements qui permettent à tous les employés handicapés d’accéder aux différents étages.»

Michèle EBONGUE

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet Open data for governance in Cameroon(ODAGOCA), initiée par ADISI-CAMEROUN, avec l’appui financier de l’International Freedom of Expression Exchange (IFEX)
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1 thought on “Emploi : Près de 80% des personnes handicapées en chômage au Cameroun

  1. C’est exact. Les personnes handicapées vivent une disqualification sociale et professionnelle. Le rôle des pouvoirs publics est déterminant pour lutter contre ce phénomène !

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