Fichier électoral : En 17 ans, Elecam n’a inscrit que 7 millions d’électeurs

Fichier électoral : En 17 ans, Elecam n’a inscrit que 7 millions d’électeurs

Créé en 2006, Elections Cameroon qui peine à convaincre les acteurs du système électoral, enregistre au maximum 500 000 électeurs par an. Coincée entre déficit de ressources financières, insuffisance du personnel et de logistique, cette institution, pensent les experts, pourrait postuler pour une capacité électorale potentielle autour de 11 millions sur les 27 millions d’habitants Fichier électoral Elecam.

L’objectif de 10 millions d’inscrits sur les listes électorales que s’est fixé Election’s Cameroon (Elecam) lors du lancement officiel de la révision des listes électorales dans les dix régions du Cameroun en janvier 2019, n’est pas encore atteint.  Au lendemain de la clôture des opérations de révision des listes électorales, qui se sont déroulées du 02 janvier au 31 août 2017, Abdoulaye Babale, le directeur général des élections, pointe le nombre total de nouveaux inscrits à 403 069, parmi lesquels, 159 154 femmes, 243 915 hommes et 285 076 jeunes de moins de 35 ans.

En 2018, année où s’est tenue l’élection présidentielle, 275 220 nouveaux électeurs se sont inscrits sur les listes électorales, parmi lesquels 168 621 hommes, contre 106 599 femmes. Quant à la répartition basée sur le critère de l’âge, la tranche des 20 à 35 ans trône au sommet. Ainsi, l’on dénombre 188 172 jeunes dans la catégorie des nouveaux inscrits.

En 2020, Elecam déclare avoir enregistré 15 077 nouveaux inscrits parmi lesquels 9 989 hommes, 5 088 femmes, 38 personnes handicapées et 10 257 jeunes. Un résultat largement en deçà des attentes, qui s’explique selon le directeur général des Élections, Erik Essousse, par le contexte du Coronavirus. Avant cette régression liée à la crise sanitaire, les inscriptions ont connu en 2019 un saut quantitatif d’environ 50 000 inscrits. Pendant la campagne d’inscription sur les listes électorales au cours de cette année, 433 873 personnes au total ont été enregistrées avec une domination masculine estimée à 59,65%. La couche féminine est évaluée à 40,35% (163 280) et les jeunes à 69,23% (300 375).

Comparé à 2019, Elecam n’a pas obtenu de meilleurs résultats en 2021. L’organe en charge des élections a amélioré son score pendant l’accalmie de la pandémie, sans atteindre la barre de 400 mille, avec un total de 182 913 inscrits. Cependant, en 2022, Elecam a fait une hausse de 85% par rapport à 2021.

A la clôture des opérations d’inscription sur les listes électorales, Dr Erik Essousse, le Directeur Général des Élections a indiqué que 338 376 électeurs ont été inscrits. Soit 211 457 hommes (62%) contre 126 919 femmes inscrites (38%). Sur la même période, 246 669 nouveaux jeunes soit 73% du nombre total d’inscrits en 2022 et 305 personnes vivant avec un handicap ont été inscrits.

A cette date, le fichier électoral non toiletté s’élève à 7 298 244 électeurs sur le territoire national. Mais, pour le politologue Roland Simon Ekodo, ce nombre d’inscrits au fichier électoral est insuffisant et rachitique dans un pays où la politisation des masses est connue, où la démographie est sans cesse croissante et où les citoyens bénéficient d’une présomption de dynamisme. « Elecam aurait pu compter avec l’ancrage sociétal d’une culture politique, ainsi qu’avec les modifications d’une loi électorale plus inclusive pour augmenter le nombre d’inscrits au fil des ans. Compte tenu des estimations officielles de 2022 qui situent la démographie à 27 800 000 habitants, on pourrait postuler pour une capacité électorale potentielle autour de 11 millions », ajoute-t-il.

Pour le membre du conseil électoral, Pierre Titi Nwel, les partis politiques et les Osc sont responsables du faible taux d’inscription sur les listes électorales. « Ils doivent éduquer les électeurs et les amener à voter le jour du scrutin ; les éduquer sur l’importance d’introduire leur bulletin de vote lors du scrutin municipal, législatif ou présidentiel », recommande-t-il.

Au niveau des régions, le Centre affiche la meilleure performance en ce qui concerne l’enrôlement sur le fichier électoral. D’après le site internet Stopblablabam, cette région qui héberge la capitale politique, Yaoundé, est passée de 301 506 électeurs inscrits il y a 8 ans, à 1 213 621 en 2020 sur une population estimée à 4 159 492 (2015), au point de déclasser l’Extrême-Nord. Cette région comptait 420 580 électeurs inscrits en 2012 contre 1 147 102 en 2020.

La région du Littoral, portée par Douala, la ville la plus peuplée du pays avec 2 768 436 selon Populationdata (2015), talonne ces deux premiers en passant de 209 850 à 998 300 électeurs inscrits. Sur la même période, la région de l’Ouest qui passe de 242 071 à 775 046 électeurs, le Nord, le Nord-Ouest, l’Adamaoua et le Sud-Ouest occupent le milieu du classement. Tandis que la région du Sud occupe le bas de l’échelle avec 272 344 en 2020, devancée de peu par l’Est qui est passé de 121 786 à 332 131.

Les femmes sont rares

A l’observation, entre 2017 et 2022, Elecam a enregistré moins de 500 000 nouveaux électeurs pendant les campagnes d’inscription sur le fichier électoral. Des chiffres qui témoignent de la faible inscription avec un nombre d’inscrits n’atteignant pas la barre de 10 millions dont s’est fixé cette institution. « Ce faible taux d’inscription est dû en partie à la faible inscription des femmes sur les listes électorales. Pour augmenter considérablement le nombre d’inscrits, il faut aller vers les femmes. Il faut les pousser à s’intéresser à la politique, leur donner des raisons de s’inscrire sur les listes électorales. Il faut aller les rencontrer dans les marchés, parce que dans les marchés, il y a les femmes qui font le commerce, et celles qui viennent faire les courses », note la présidente de Women votes and son (Wvas), Me Alice Nkom.

Une analyse qui concorde avec les données enregistrées entre 2017 et 2022, qui montrent que les hommes représentent le plus grand nombre d’inscrits à chaque campagne. D’après nos calculs, sur cette période, avec un peu plus d’un million de nouveaux potentiels électeurs inscrits, moins de sept cent mille femmes ont été enregistrées. Dans cet intervalle de temps, elles ont été plus nombreuses en 2019, avec 163 280 nouvelles électrices. Cependant, elles ont connu une baisse drastique en 2020 et 2021, avec moins de cent mille enrôlements, avant de rebondir légèrement en 2022 pour se situer à 126 919 Fichier électoral Elecam.

Outre la timide mobilisation des femmes, pour l’Ong Un monde à venir, les raisons de la faible inscription se trouvent également ailleurs. « Plusieurs raisons peuvent expliquer le faible taux d’inscription sur les listes électorales. Il y a une crise de confiance entre Elecam et les électeurs ; l’insuffisance des kits d’inscription, la non disponibilité des cartes d’électeurs. Depuis 2020 par exemple, les cartes d’électeurs ne sont pas fabriquées parce que l’appareil qui en fabrique est en panne. Comment convaincre les électeurs de s’inscrire, lorsqu’à côté d’eux, ceux qui l’ont fait n’ont pas pu retirer leur carte d’électeur », s’interroge Philippe Nanga.

Une non-disponibilité des cartes d’électeur qu’explique Elecam. « L’appareil qui fabrique les cartes d’électeur est défectueux. Le gouvernement n’a pas encore pu le réparer. L’argent n’a pas encore été débloqué pour qu’Elecam puissent le dépanner ou acquérir de nouveaux appareils », a alors indiqué Dorothy Njeuma, en novembre 2022, aux partis politiques et acteurs de la société civile, à Douala.

Mais, les reproches faits à Elecam ne s’arrêtent pas là. « Les problèmes sont les mêmes : machines vétustes et constamment en panne ; manque de moyens financier et de logistique, ne permettant pas aux antennes communales de se déployer sur le terrain et inscrire les citoyens ; la non fabrication des cartes électorales par Elecam depuis 2020 », liste le représentant du Social Democratic Front SDF à la commission de révision des listes électorales à Douala 1er, Richard Boango.

Fichier électoral Elecam Déficit de ressources

Dans un rapport intitulé « Eléments de référence pour un dialogue participatif sur les élections au Cameroun », la fondation Kofi Anan et le Centre Africain des Etudes Internationales Diplomatiques Économiques et Stratégiques Ceides relève que Elecam, de l’aveu même de la structure et aussi de l’administration, souffre d’un déficit de ressources financières.

L’organe de gestion des élections, souligne la même étude, ne dispose pas de ressources propres, mais seulement de mises à disposition de fonds suivant le plan de trésorerie générale de l’Etat en matière de dépenses prioritaires. « Un budget qui ne tombe pas toujours à temps et parfois au compte-goutte », confie Pierre Titi Nwel. Lequel budget est voté par l’Assemblée nationale. En 2021 par exemple, ledit budget se chiffrait à 11,083 milliards F Cfa. « Il incombe à l’Assemblée nationale lors du vote du budget, d’augmenter les ressources financières du ministère de l’Administration territoriale, en tenant compte des besoins de fonctionnement d’Elecam, et des coûts de biométrisation de son fichier », suggère Roland Simon Ekodo.

Fichier électoral Elecam
Des électeurs en train de s’inscrire sur les listes électorales

Ces manquements selon plusieurs sources, seraient fait à dessein. Dans son article scientifique publié le 10 février 2019, Francis Ampère Simo, docteur / Ph.D en Droit est convaincu de ce que les concepteurs d’Elecam ont voulu faire de cet organe  un instrument au service exclusif des ambitions du pouvoir en place. D’où sa « trop grande » dépendance du pouvoir exécutif. Et de conclure que « l’organisme souffre dans le fond de la mainmise du pouvoir exécutif. En effet, c’est le chef de l’Etat qui nomme tous les membres d’Elecam y compris les présidents et vice-présidents du Conseil électoral (Ce) et de la Direction générale des élections (Dge) pour des courts mandats « éventuellement renouvelables » de 3 et 4 ans ».

A en croire l’homme politique Elimbi Lobè, de nombreuses avancées ont pourtant été faites par le gouvernement dans l’organisation des scrutins. « J’ai participé à plusieurs élections. Lorsque je me lance en politique, c’est à l’époque où les élections sont organisées par les préfets. Et il y avait beaucoup de fraude. J’ai connu Onel 1 et Onel 2. Et donc, fort de tout cela, et au regard de l’organisation des Elections par Elecam, je dis que de nombreux efforts sont faits par le gouvernement. L’élection est aujourd’hui juste et transparente, les listes d’électeurs sont claires. C’est donc à tort que les partis politiques de l’opposition crient chaque fois sur Elecam de mal organiser les élections », défend-t-il Fichier électoral Elecam.

Blaise Djouokep

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Cette enquête a été réalisée dans le cadre du Projet Open data for Governance in Cameroon (ODAGOGA), initié par ADISI-CAMEROUN, avec l’appui financier de l’International Freedom of Expression Exchange (IFEX).

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