«La fraude et la corruption très présentes dans le secteur aggravent cet état de chose»
Thérèse Solange Bella Alima Juriste assistante à l’association Forêts et Développement Rural (FODER)

Thérèse Solange Bella Alima Juriste assistante à l’association Forêts et Développement Rural (FODER)qui milite pour une exploitation minière durable,aborde  les problèmes liées à l’exploitation minière au Cameroun.

L’exploitation minière au Cameroun aiguise de plus en plus l’appétit, au tant sur le plan national qu’international. En tant que militant majeur pour une exploitation responsable, quelle analyse globale  faites-vous de ce secteur d’activité ?

S’il faut faire une analyse globale du secteur extractif et précisément de l’exploitation minière du Cameroun, on dira que quasiment tout est encore à faire. En effet, le Cameroun dispose d’un réel et important potentiel minier mais son exploitation est encore embryonnaire puisque jusqu’ici pour ce qui  est par exemple de l’exploitation de l’or et du diamant, celle ci est encore artisanale et l’introduction de la semi-mécanisation n’a fait qu’aggraver les problèmes qu’on peut  y relever. Bien qu’ayant le secteur minier parmi ses piliers de développement,  l’Etat camerounais peine encore à réellement faire décoller ce secteur. L’industrie tarde a prendre de l’envol faute de conditions propices et la semi-mecanisation a apporté plus de problèmes dans toute la chaîne de valeur, notamment depuis l’attribution des Autorisation d’Exploitation Artisanale (AEA), jusqu’à la commercialisation et l’utilisation des revenus miniers, tout se déroule dans une grande opacité et en violation de la réglementation en vigueur dans le secteur. De plus, la corruption et la fraude, très présentes, minent véritablement le secteur et ont pour conséquence des pertes importantes de recettes par l’Etat, la dégradation de l’environnement par des exploitants véreux (de très mauvaise foi) et même l’appauvrissement croissant des localités et communautés riveraines des zones d’exploitation. Et s’il faut aller en détail des nombreux problèmes relevés, l’on pourrait citer entre autres : le non respect des clauses environnementales pour ce qui est des activités d’exploitation, le non respect des droits ou même la violation flagrante des droits des communautés, la non-réhabilitation des sites après exploitation, la destruction des bien des riverains sans compensation, l’exploitation même dans des aires protégées etc, et sur le plan social du fait de la pauvreté et de la promiscuité, l’augmentation des maladies dues à la qualité de l’eau polluée, les MST / Sida etc.

Dans un memo adressé au gouvernement, Foder a présenté  un tableau  plutôt sombre  de ce secteur, avec des morts, des riverains en colère, des sites d’exploitation mal entretenus, le non respect des cahiers des charges… Le Cameroun  n’a-t-il pas connu des avancées pendant  ces dix ou ces cinq dernières années ?

En termes d’avancée des efforts sont faits par l’Etat et les partenaires. Mais il faut dire que beaucoup  reste encore à faire pour assainir le secteur et le voir décoller vers l’industrialisation qui pourrait être plus bénéfique pour le Cameroun. En termes d’efforts on pourrait citer la réforme minière engagée en 2016 par la révision du code minier plus conformes aux réalités locales, l’adhésion du Cameroun à des initiatives telles que l’ITIE, le Processus de Kimberley. De plus, la société civile qui a compris les enjeux se mobilise de plus en plus pour booster le changement, les partenaires au développement ne sont pas en reste avec le financement de nombreux programmes et projets en soutien aux activités visant à améliorer la gouvernance. Cependant,  il est sûr que beaucoup reste encore à faire et les obstacles sont encore nombreux. L’on pourrait relever par exemple que jusqu’ici, les acteurs impliqués dans le secteur attendent encore avec impatience la signature du décret d’application de la loi de 2016, ce qui pose beaucoup de problèmes pratiques sur le terrain pour ceux qui sont chargés d’appliquer et de faire respecter la loi. L’absence d’un véritable contrôle des activités par les exploitants qui se sentent encore libres de faire tout ce qui leur sied, etc L’exploitation illégale, avec des titres abusivement utilisés autant par les exploitants locaux qu’étrangers, persiste.

Qu’est-ce qui selon vous est à l’origine de cette situation ?  Doit-on, remettre en question la politique gouvernementale qui encadre cette activité ? 

Il faut reconnaître que la loi elle même est à l’origine de cette situation. En effet, si des camerounais ont la possibilité de demander l’octroi des AEA, la loi leur donnent la possibilité d’entrer en partenariat Technico-financier avec des étrangers. Et sachant que très peu de camerounais disposent de telles capacités financières, cela à ouvert la voie aux Chinois que l’on trouve en grande majorité sur le terrain comme détenteur de titres. Mais aussi, le réel problème reste l’absence de contrôle par les services compétents. Pour tenter de résoudre ce problème, le ministère des Mines; de l’Industrie et du Développement Technologique (MINMIDT) en 2017 avait suspendu l’octroi des AEA, mais sur le terrain l’on peut retrouver des exploitants en pleine exploitation alors que conformément aux textes aucun de ces exploitants ne disposent d’autorisation. Plutôt que de remettre en cause les politiques gouvernementales, c’est leur application et leur respect par les personnes/institutions chargées d’en assurer l’application, le contrôle et le suivi qui sont à remettre en cause.

Sur les cinq dernières années, combien l’exploitation illicite  a  coûté au Cameroun ?

L’on ne pourrait donner des  estimations exactes même approximative, car malgré le travail du cadre d’Appui et de Promotion de l’Artisanat Minier (CAPAM) pour tenter de canaliser l’or et le diamant, la plupart des transactions dans ce secteur se font dans l’informel et ils sont énormes ces revenus qui échappent au contrôle de l’Etat, donc l’Etat perd en milliards on pourrait dire. De plus, la fraude et la corruption très présentes dans le secteur aggravent cet état de chose.

Quelle sont vos  suggestions pour une  exploitation minière durable au Cameroun ?

Notre vision globale reste et demeure l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles, spécifiquement minières pour le cas d’espèce. FODER, grâce à Projet mines environnement santé et société entend promouvoir la transparence et le suivi participatif des activités minières. Grâce à la phase 2 de ce projet que nous avons démarré en mars dernier, nous entendons mettre un accent sur la lutte contre la fraude et la corruption dans le secteur, améliorer les connaissances et les l’implication sur la législation, et limiter les pratiques illégales. Nous pensons également que le renforcement des capacités des acteurs étatiques et non étatiques dans le suivi de la légalité permettra certainement de conscientiser ces derniers et les impliquer plus encore au suivi et pourquoi pas dans les questions de  recevabilité. Enfin, nous pensons que la formalisation des artisans miniers permettra de sortir le secteur de l’informel et permettra sans doute d’améliorer les conditions de vie de ceux ci et de leurs familles.

Réalisé par M.L.M.