« Le bénéfice est largement supérieur par rapport au risque »
Dr Jacques Tsingaing

Dr Jacques Tsingaing, Vice-président de la Société des Gynécologues-Obstétriciens du Cameroun, édifie sur le cancer du col de l’utérus au Cameroun. Il prône le vaccin pour les jeunes filles de 9-13 ans qui ne sont pas encore sexuellement actives.

Quelle est la situation actuelle du cancer du col au Cameroun ?

Le Cancer du col de l’utérus est l’un des premiers cancers de la femme sexuellement active au Cameroun. Il occupe le même rang que le cancer du sein, qui sont les deux premiers cancers de la femme en général au Cameroun. L’agent pathogène incriminé, est un virus appelé   papillomavirus humain (HPV), qui est sexuellement transmis. On a plusieurs génotypes, plus d’une cinquantaine, dont les plus virulents peuvent entrainer des lésions précancéreuses voire cancéreuse. Notamment les sous-types 6, 11, 16,18. Il y a aussi pleins d’autres sous-types qu’on a détecté au Cameroun, notamment la 33, 45 qui est de plus en plus observée. Généralement chez les femmes sexuellement actives, entre 20 et 30 ans, il y a un quart de femme qui va entrer en contact avec ce virus HPV.  Chez certaines femmes, le corps va se défendre et ce virus va s’éliminer tout seul. Chez d’autres par contre, ces agents vont persister et entrainer au niveau de la cellule du col, un changement qui va se transformer en cellule cancéreuse, très souvent liée à des sous-types qui ont un fort potentiel cancérogène.

Est-ce que les malades du cancer de col de l’utérus peuvent en guérir ?

On peut guérir de l’infection à papillomavirus. Ces femmes entre 20-30 ans qui sont à leur début d’activité sexuelle, 75% vont arriver à éliminer leur virus toutes seules. Maintenant, il y a 25% qui vont persister avec le virus, qui peuvent guérir aussi spontanément, mais une bonne tranche va se développer et au bout de 10-15 ans, peut donner des lésions précancéreuses ou cancéreuses.  Dans les lésions de verrues, type condylomes acuminés, on a des espèces de crête de coq qu’on peut voir notamment au niveau de la vulve ou de la verge, ou du scrotum chez l’homme. Ce sont des lésions bénignes, qui ne sont pas cancéreuses.

Mais au niveau du col, on peut avoir des lésions précancéreuses.  Parfois lorsqu’on fait des analyses de dépistage, tel frottis cervical, on va voir des lésions de type condylomes, ou des lésions précancéreuses du col. Avant d’arriver au cancer, ces agents pathogènes vont transformer la cellule en un état de lésion précancéreuse.  C’est pour cette raison qu’on affirme qu’on peut prévenir le cancer du col, notamment, par le dépistage, dont le frottis cervical, tous les deux à trois ans au pis des cas. On peut aussi faire le vaccin contre le cancer du col, notamment chez les jeunes filles de 9-13 ans qui ne sont pas encore sexuellement actives. Si elles reçoivent 3 doses de ce vaccin, elles sont protégées contre ce cancer jusqu’à 97%. C’est vrai que quand on prend en gros, le taux d’efficacité peut aller entre 60-80% de protection pour le cancer du col, et même jusqu’à 90% pour la prévention des lésions types verrues.

La prévention est donc plus importante que le traitement…

Effectivement ! lorsque le cancer est déjà là, c’est difficile. Si on l’attrape, au début, au niveau du pré-cancer, on peut juste enlever une partie du col, ce qu’on appelle la conisation ou alors si la femme a déjà fini ses maternités, on peut enlever tout l’utérus. Mais si c’est déjà à un état avancé, on peut en plus de l’utérus, enlever les autres annexes, les ovaires et les trompes. Mais dans certains cas, quand c’est très avancé, on parle des cancers inopérables. On ne peut plus rien quand ça déjà envahi le rectum, la vessie et des métastases à distance, en ce moment, on ne fait que les soins palliatifs. Nous recommandons aux jeunes femmes sexuellement actives de plus de 25 ans de se faire dépister pour le cancer du col, tous les deux à trois ans au pis des cas, de vacciner les jeunes filles de 9 à 13 ans qui ne sont pas encore sexuellement actives. Ceci dit, même les jeunes filles entre 14 et 23 ans, quand elles sont à leur première année d’activité sexuelle, peuvent se vacciner. Ce vaccin protège efficacement contre des lésions précancéreuses et les cancers du col.

Ce vaccin pourtant très recommandé, est au cœur d’une polémique actuellement au Cameroun depuis son introduction dans le Programme élargi de vaccination, à cause de ses effets secondaires dénoncés dans d’autres pays comme la France par exemple. Que dites-vous à ce sujet ?

Ma position n’engage que moi. Je suis le vice-président de la société des Gynécologues –Obstétriciens du Cameroun, et à ce titre, nous avons été approchés par le président de l’Ordre des médecins avec qui on a fait une séance de travail avec la président de la société camerounaise de Pédiatrie, en juin dernier et on était au courant de l’introduction de ce vaccin dans le programme élargi de vaccination par le ministère de la Santé Publique. Vue la pandémie qui sévissait et qui était encore très active, nous avons émis une petite réserve, non pas sur l’efficacité de ce vaccin, mais par rapport à l’opportunité de son introduction. Peut-être, on aurait pensé laisser cette pandémie   passer, et avec tout ce qu’elle comportait avec des campagnes néfastes par rapport l’introduction d’un potentiel vaccin contre la Covid-19 qui serait délétère en Afrique. La réalité scientifique reconnait l’efficacité de ce vaccin, très protecteur sur d’autres cieux. Les effets indésirables en tant que tels, sont mineurs, notamment, rougeur au point de l’injection, inflammation, nausée, céphalée, vomissement…  Par rapport au bénéfice risque, le bénéfice est largement supérieur par rapport au risque encouru par le vaccin.

La société des Gynécologues-Obstétriciens du Cameroun est-elle favorable à l’introduction de ce vaccin au Cameroun ?

Tout à fait. La société des Gynécologues-Obstétriciens du Cameroun travaille en collaboration avec le ministère de la Santé publique, et les autres sociétés savantes. Nous militons pour l’introduction de ce vaccin, quoique la pandémie actuelle continue de sévir. Quel que soit le moment, c’est difficile de trouver le bon timing pour introduire ou pas ce vaccin. Nous pensons que pour l’instant, la pandémie s’est un peu apaisée, la Covid-19 n’est pas finie, mais, pour ma part, je pense qu’il faut ce vaccin contre le HPV dans le Programme élargi de vaccination.

Avez-vous des patients qui souhaitent avoir votre avis par rapport à ce vaccin ?

Ils sont nombreux, même parmi nos confrères qui sont inquiets à ce sujet. Nous avons des jeunes confrères, et mêmes des médecins gynécologues qui ne sont pas encore très favorables pour ce vaccin. On a encore un gros travail à faire à ce sujet. Mais je pense que lors de nos congrès futurs, on doit plancher là-dessus. Peut-être l’un des thèmes principaux du congrès de 2021 de la Société des Gynécologues-Obstétriciens du Cameroun doit être « des cancers gynécologiques », notamment le cancer du col.  Au cours de ce congrès, nous trouverons une plage horaire, voire un symposium afin de discuter de cette pathologie qui est un problème de santé publique au Cameroun.  Nous devons également sensibiliser les confrères à l’acceptation de l’introduction de ce vaccin contre le HPV dans le programme élargi de vaccination parce que nous pensons qu’il est important.

Quelle est la différence entre Gardasil, le vaccin qui sera introduit dans les établissements scolaires, et celui qui était déjà administré dans certains hôpitaux ?

Il y a eu plusieurs essais pilotes à Edéa, Foumban, parfois ici à Douala, même au Centre de vaccination internationale. Je crois qu’on faisait des vaccins Cervarix, qui était un vaccin bivalent, qui agissait sur deux sous-types de virus et le Gardasil qui agit sur au moins quatre sous-types. Il y a un nouveau qui doit agir sur 9 sous-types de virus. Le Gardasil est tétravalent, et donc, ça couvre plus que celui qui a deux sous-types seulement. C’était des études pilotes parce qu’avant d’introduire un vaccin, il faut d’abord passer par une étape d’essai pour l’apprécier. Je crois qu’on a vacciner deux à trois mille jeunes filles, et il n’y a pas vraiment eu d’effet indésirables significatifs ayant motivé l’arrêt de ces essais pilotes.  Fort de cette observation, pourquoi ne pas généraliser la vaccination et l’intégrer dans le programme élargi de vaccination.

On va quand-même d’un vaccin assez couteux, très peu accessible, pour une campagne quasiment gratuite…

Le vaccin était payant au centre de vaccination, mais les essais, je crois à Edéa et à Foumban étaient gratuits. Actuellement le vaccin est subventionné. Même ma fille qui a aujourd’hui 25 ans, a reçu le vaccin il y a dix ans. La première dose était dans les 150 mille F Cfa, elle a reçu deux ou trois doses. Les réseaux d’introduction du vaccin étaient différents. Si aujourd’hui l’Etat subventionne ces vaccins pour que ça dévient gratuit pour la majorité des camerounaises, pourquoi ne pas l’accepter ? On demande à avoir une population solide et efficace pour le travail.

Pourquoi les mineures de 9-13 ans ?

La tranche d’âge de 9-13 ans, parce qu’à cet âge, on n’est pas encore sexuellement actif. Donc, si on vaccine à ce moment-là, on a une grosse protection qui va jusqu’à 97%. Alors que, lorsqu’on est déjà sexuellement actif, malgré la vaccination, on ne peut pas être protégé à plus de 60-70%.

Est-ce que ce vaccin protège contre tous les cancers du col ?

Il a été prouvé que de plus en plus, le cancer du col est « une infection sexuellement transmissible », notamment lié à ce virus HPV. Chez les patients qui ont eu le cancer du col, il y a été retrouvé à plus de 95% des cas. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on pense que le cancer du col est une infection sexuellement transmise. Vacciné très tôt, on peut être couvert à 95-97%. Ça fait moins de 20 ans qu’on a introduit le vaccin, on a encore du chemin. Mais déjà pour les 10 premières années, on a quand-même un bon recul, on a des protections jusqu’à au moins 90% pour ceux qui l’administre plus tôt. Il faut être réservé, si on a un recul de 10,15, 20 ans, on ne peut pas dire que le vaccin protège à vie.

Si le vaccin est recommandé chez les mineures, que doivent faire les adultes ?

Ils peuvent les prendre, mais en sachant que le taux de protection ne sera pas la même, puisqu’ils ont déjà été exposés au virus et avec des risques. Chez les gens sexuellement actifs, la protection c’est moins de 30-50%. Mais il est conseillé chez les jeunes filles qui ne sont pas encore sexuellement actives, ou si elles sont à leur première année d’activité sexuelle. Nous conseillons aux femmes la prévention : c’est éviter les infections sexuellement transmissibles, éviter d’avoir les rapports sexuels précoces, encourageons l’abstinence sexuelle, l’usage des préservatifs et de faire régulièrement le dépistage du cancer de col lorsqu’on a plus de 25 ans. Et nous recommandons fortement le vaccin pour les jeunes de 9-13 ans ou entre 14 et 23 ans quand elles sont à leur première année d’activité sexuelle. Lorsqu’on se fait dépister tous les deux à trois ans, on peut détecter la maladie tôt, et on peut vous guérir.

Réalisé par Marie Louise MAMGUE

 

 

 

 

 

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