Cemac : « Le Cameroun s’est lamentablement fait rouler dans la farine par la Guinée Équatoriale »
Dr Baruja Youmssi

« Le Cameroun s’est lamentablement fait rouler dans la farine par la Guinée Équatoriale »

L’expert en pétrole et mines explique que pour son développement économique, le Cameroun doit redéfinir les missions de la Snh et créer un ministère du pétrole qui s’occupera de la stratégie, de la vision du secteur pétrolier et gazier de sa mise en exécution et de sa gestion Cemac Cameroun Guinée Équatoriale.

Le Cameroun et la Guinée équatoriale à travers leurs chefs d’Etat ont signé le 17 mars 2023 à Yaoundé, un accord portant exploitation conjointe d’un champ pétrolier et gazier transfrontalier. Que pensez-vous de cette signature ?

En l’absence d’un plan national de développement du secteur pétrolier et gazier, en l’absence d’un ministère du pétrole, en l’absence des compétences en matière de négociations ; le Cameroun s’est lamentablement fait rouler dans la farine par la Guinée Équatoriale.  Les Equatoguinéens sont mieux préparés mieux outillés et présentent de très bonnes infrastructures. On ne peut pas vouloir faire du pétrole et les mines les flèches de lance de l’économie et ne pas y donner beaucoup d’attention.  L’unique solution c’est la création d’un ministère du pétrole et d’un ministère des mines.

Au Cameroun le pétrole est géré par la présidence de la République et la Société nationale des hydrocarbures (Snh) qui est une société à capital public ayant l’Etat comme seul actionnaire. Elle a pour missions de gérer les intérêts de l’État dans le secteur pétrolier et gazier. A ce titre la Snh assure la promotion, le développement et le suivi des activités pétrolières et gazières sur l’ensemble du territoire national.

Ça veut dire que c’est la Snh qui aurait pris part aux négociations avec en face d’elle le ministère du pétrole de la Guinée Equatoriale … je vous rappelle que cet Etat a aussi une société nationale des hydrocarbures. Donc vous voyez le vide côté camerounais qui crée déjà un handicap ; nous avons une société qui s’est substituée à un ministère avec un directeur général qui n’a pas rang de ministre et ça pose problème

C’est une configuration que nous avons héritée depuis l’ancien régime où le pétrole était la chasse gardée du président de la République, le pétrole était un sujet tabou car sa gestion était opaque ; aujourd’hui ou rien ne peut plus se cacher il faut redéfinir les missions de la Snh et créer un ministère du pétrole qui s’occupera de la stratégie, de la vision du secteur pétrolier et gazier de sa mise en exécution et de sa gestion.

Cemac Cameroun Guinée Équatoriale Pourquoi pensez-vous que le Cameroun a été floué ?

Le Cameroun est allé sur la table des négociations en position de faiblesse. La Guinée Equatoriale était mieux préparée surtout sur le plan des infrastructures. A ce sujet, il est important de faire un petit rappel.  L’exploration du pétrole commence au Cameroun en 1947 et la production commerciale est lancée en 1972. Cinq après, le Cameroun devient un pays producteur du pétrole tandis que la Guinée Équatoriale le devient en 1996, soit 21 ans plus tard après le Cameroun. Aujourd’hui, la Guinée Équatoriale impose au Cameroun sa vision du développement sous régional en matière d’énergie. Ceci est réalisable grâce à une stratégie nationale du développement du secteur des hydrocarbures bien définie et mise en application, ce qui n’est pas le cas au Cameroun où le secteur pétrolier est resté pendant longtemps un sujet tabou et géré de manière opaque.

Je ne comprends pas comment Yoyo qui est à une distance de moins de 100 km des côtés camerounais, on choisit d’amener notre gaz à Punta Europa qui est a plus de 300 km pour sa transformation … ça n’a aucun sens dans le cadre de l’intérêt national.

Vous affirmez qu’il s’agit d’un seul et même gisement gazier dans ce cas à quel des deux pays appartient-il ?

Vous savez la géologie de la formation des pétroles et gaz ne répond pas aux limites maritimes et géographiques tracées par les politiciens ; tout se passe au sous-sol selon certaines règles de la science et de la nature ; il y’a un exemple une situation similaire en Afrique non loin du Cameroun ; le gisement de gaz du lac Kivu ; ce lac est reparti entre la RDC et le Rwanda ; ce gisement est unique mais les deux pays ont décidé d’en faire deux projets et chacun devra l’exploiter de son côté. En Afrique Centrale le gisement gazier de Yolanda et de Yoyo appartient à un même contexte géologique, à une même structure tectonique (Basin de Douala) ; ce n’est pas un hasard que ce soit la même compagnie qui découvre ce gisement en Guinée équatoriale en 2007 et qui est aussi celle qui a découvert Yoyo au Cameroun. Voilà ce que ça donne quand on n’a pas la maîtrise de son sous-sol, ce sont les autres qui viennent nous dire ce qu’il y’a dans notre sous-sol. Et pourtant nous sommes en mesure de le faire.

Cemac Cameroun Guinée Équatoriale Comment expliquer que l’accord autorise l’opérateur d’extraire le gaz de Yoyo pour aller le transformer à Punta Europa dans la presqu’île de Bioko ?

Tout s’est joué au niveau du coût d’investissement pour l’opérateur unique. L’Opérateur du projet a mis le Cameroun dos au mur avec le soutien complice de la Guinée équatoriale ; il s’est servi des infrastructures existantes en Guinée équatoriale, il faut rappeler que la Guinée avait longtemps compris qu’elle pouvait faire de son pays un hub gazier et a mis les moyens dans le développement des infrastructures liées au traitement du gaz et aussi son transport. Les installations à Punta Europa étant en sous exploitation ont encore une bonne capacité pour traiter le gaz venant de plusieurs projets du golfe de Guinée. Le Cameroun n’était pas obligé de signer cet accord ; les réserves de gaz à Yoyo justifient la construction d’une centrale de traitement de ce gaz en onshore camerounais, les intérêts nationaux doivent toujours être au-dessus des intérêts de la sous-région.

Vous estimez que cette signature ne respecte pas toutes les procédures ?

Ce n’est qu’un MoU (Memorandum of Understanding) dans le langage du métier, qui n’est pas contraignant ; déjà que ce n’est ni l’Etat du Cameroun ni celui de la Guinée équatoriale qui doit exploiter ce gisement ; il faudra encore signer plusieurs accords et contrats avec l’opérateur. Pour le moment nous savons que c’est la compagnie américaine Chevron qui pilote les deux projets. La signature de cet accord marque juste un début d’un long processus.

 On parle de la présence d’un troisième maillon, Chevron. Quel est son réel rôle ?

Yolanda en Guinée équatoriale a été découvert par Noble energy EG et Yo-yo au Cameroun par Noble Energy Cameroun ; ces deux entités  appartiennent à Noble Énergy enregistrée dans les îles vierges. En 2020 la compagnie américaine Chevron a racheté les actifs de Noble energy dans le golfe de Guinée et automatiquement est devenu actionnaire principale des deux projets ; ça c’est la partie gisement  où on retrouve aussi d’autres actionnaires (nationaux et étrangers) en ce qui concerne la partie infrastructures basées en Guinée équatoriale c’est  l’Etat équatoguinéen qui porte le plus des parts et on retrouve aussi d’autres actionnaires étrangers ; bref c’est du gros  business et un montage assez compliqué pour le commun des mortels .

Pourquoi c’est une entreprise américaine qui vient exploiter ce champ minier. Serait-il à l’origine de cette signature ?

Comme je vous l’ai dit c’est une histoire compliquée, c’est de la géopolitique, c’est du business. Ici, c’est le contrôle du golfe de Guinée qui est en jeu donc celui qui va contrôler la ressource dans le golfe de Guinée va aussi contrôler autre chose ; ce n’est pas un hasard que ce soit une compagnie américaine qui est au cœur de ce projet.  Il est bien évident que l’opérateur aurait manœuvré pour faire asseoir la Guinée équatoriale et le Cameroun à la table des négociations qui ont abouti à la signature de cet accord.

L’initiative est venue de l’opérateur ; il est bien vrai que la Guinée équatoriale ayant déjà dans sa stratégie de développement du secteur des hydrocarbures avait déjà tout mis en place pour être un Hub gazier.

Cemac Cameroun Guinée Équatoriale Qu’est ce qui peut revenir à la partie camerounaise à la suite de cette signature ?

Comme je l’ai dit, la signature de cet accord marque juste le début d’un long processus mais à première vue le Cameroun dans le projet aura juste une position de rentier. Nos ingénieurs que nous formons ici auront difficilement du travail dans ce projet en Guinée équatoriale. Nous n’ignorons pas le traitement inhumain que les Guinéens infligent à nos ressortissants chez eux.

Entretien réalisé par Mélanie Ambombo

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