« Plusieurs restrictions répondaient à un objectif autre que la lutte contre la Covid-19 »
Dr Aristide Mono, spécialiste des politiques publiques et de la sociologie des crises

Dr Aristide Mono, spécialiste des politiques publiques et de la sociologie des crises, dans cette interview dresse un état des lieux de l’expression des libertés publiques au Cameroun pendant cette période de lutte contre la Covid-19. Pour cet expert, les décisions prises par le gouvernement pour venir à bout du Coronavirus ont détérioré davantage l’état des libertés publiques au Cameroun.

A l’issue de votre enquête sur l’expression des libertés publiques au Cameroun à l’épreuve des mesures gouvernementales de lutte contre la Covid-19, quel est le principal constat qui en découle ?

De façon péremptoire, on peut dire que les décisions prises par le gouvernement pour venir à bout du Coronavirus ont détérioré davantage l’état des libertés publiques au Cameroun. Globalement, la situation déjà très délétère s’est amplifiée. Toutes les catégories de libertés publiques étudiées notamment la liberté de réunion et de manifestation, la liberté de religion et la liberté de presse avec le cas spécifique de la liberté d’accès à l’information offrent le même constat d’aggravation de la fermeture de l’expression de ces libertés.

A quel niveau situez-vous l’impact des mesures gouvernementales de lutte contre la Covid-19 sur les libertés publiques au Cameroun actuellement ?

L’impact est à définir suivant chacune des catégories des libertés publiques. Pour ce qui est de la liberté d’accès à l’information par exemple, l’impact – reconnu au passage par 91,95% de journalistes – se situe au niveau de la limitation de l’accès aux sources qui aura entravé la récolte d’informations non sans répercussions sur l’accès des masses aux informations consistantes et fiablesL’interdiction des regroupements de plus de 50 personnes, la limitation de la fréquentation des services publics, le port obligatoire du masque facial, la fermeture des frontières, la décongestion du nombre de passagers dans les transports en commun, la distanciation physique, le renforcement du dispositif sécuritaire sont autant de mesures qui restreindront la liberté de collecte d’information. Au terme de nos enquêtes l’on a pu relever que 63,82 % de journalistes ont été refoulés des administrations publiques pour des raisons de restriction des entrées dans les administrations publiques tandis que 38,29 % ont été éconduits pour défaut de cache-nez et 45,65% du fait de la limitation du nombre personnes par regroupement.

Concernant la liberté de réunion, de manifestation et de religion l’impact est à situer au niveau de la restriction de l’expression physique des libertés aussi bien politiques que religieuses. Certaines activités relevant de l’expression desdites libertés seront frappées d’interdiction et souvent violemment réprimées au nom de l’impérieux respect des mesures gouvernementales anti Covid-19. A titre illustratif, on a cet appel à interdiction par le Ministre de la Santé Publique, des marches de l’opposition du 22 septembre 2020.

Qu’est-ce qui selon vous explique tous ces manquements ?

Il y a d’un côté des impératifs de survie face à un virus très viral qui prenait déjà des proportions inquiétantes dans le pays avec à ce jour près de 30000 cas de contamination et 400 décès. C’est ce qui justifie d’ailleurs l’adhésion de plusieurs à ces mesures malgré leur caractère liberticide. On pourrait parler des entraves justes c’est-à-dire des restrictions pour la bonne cause. De l’autre, on note l’usage instrumental des mesures gouvernementales anti Covid-19 à des fins autres que la domestication de la pandémie. Dans le cas de la liberté d’accès à l’information sur la Covid-19, on a noté par exemple que certains ont utilisé les restrictions gouvernementales pour empêcher les journalistes de faire la lumière sur de nombreuses zones d’ombre sur la maladie et sa gestion. Ainsi les informations données par les seules sources gouvernementales ne pouvaient pas être remises en cause du fait de l’inaccessibilité des journalistes aux sources pour des besoins de recoupement. Ce qui a permis aux officielles en charge de la Covid-19 de se mettre à l’abri des contrevérités et dont des critiques de l’opinion surtout lorsqu’on sait que la gestion de cette crise regorge beaucoup de soupçons d’indélicatesses.  S’agissant du cas de la liberté de réunion et de manifestation, on a pu observer de manière flagrante des cas répétés d’usage politique des choix gouvernementaux anti Covid-19 par l’ordre politique au pouvoir dans le but de neutraliser les initiatives redoutées de l’opposition.

Est-ce que certaines de ces entraves pouvaient être évitées ?

Beaucoup d’entorses auraient pu être évitées. Déjà, on a constaté que plusieurs restrictions étaient inopportunes ou alors répondaient à un objectif autre que la lutte contre la Covid-19. Vous avez la fixation des quotas sur le nombre de présence par regroupement à savoir moins de 50 personnes. Ce chiffre qui déjà ne reposait sur aucun argument scientifiquement défendable a été inutilement généralisé. Il aurait été plutôt pertinent de jouer sur la proportionnalité du nombre en fonction des capacités d’accueil des lieux de regroupement. On note la décongestion du nombre de passager dans les transports en commun or l’obligation du port des caches nez aurait dû suffire pour garantir la liberté de va et vient des acteurs de la chaine d’expression des libertés publiques. Vous avez également l’usage des mesures gouvernementales à des fins de brimade des opposants qui était sanitairement inutile. Ensuite, on a constaté qu’il existait un panel de solutions alternatives pour éviter les entraves aux libertés publiques relevées ou du moins pour atténuer leurs effets sur ces libertés. Malheureusement elles n’ont pas été mobilisées et les rares qui ont été activées butteront soit sur le déficit de moyens soit sur le laxisme de leurs porteurs.  Prenons le cas de la liberté d’accès à l’information et plus précisément l’information liées à la pandémie et sa gestion. On aurait dû par exemple accorder une dispense spéciale aux journalistes en ces temps de limitation de la mobilité des personnes. Un accès spécial aux centres de quarantaine et de prise en charge des cas de Covid-19 devait par exemple être accordé aux hommes de médias dans cette guerre sanitaire qui se joue en partie sur le terrain de la communication. Or Seuls 18,18 % des 59,68 % des journalistes ayant sollicité un accès à ces centres ont obtenu une autorisation. Il y a en outre des mécanismes d’accès à distance à l’information qui pouvaient bien être développés et encouragés pour garantir une meilleure récolte d’informations via internet. Malheureusement ces options palliatives sont restées moroses, les rares qui ont été pensés ont été mal négociés du fait des insuffisances matérielles et humaines comme celles liées à la consistance et la crédibilité des informations sur la pandémie, données par les pouvoirs publics. Les taux d’insatisfaction des journalistes sont respectivement dans ces deux cas de 64,83 % et 67,77 %.

Etant donné que la pandémie continue, peut-on craindre à la longue une détérioration critique du respect de l’exercice des libertés publiques ?

Tout dépend de l’évolution de la maladie. Une aggravation de la crise conduira forcément au resserrement des libertés publiques. En plus, il est clair que plusieurs mesures restrictives ont été prises ou appliquées de façon précipitées rendant ainsi compte de la panique des pouvoirs publics au début de la crise. Sinon, on a observé par la suite un certain relâchement graduel des restrictions selon qu’on sortait peu à peu de la psychose et convergeait vers une gestion décomplexée de cette pandémie. C’est ce relâchement qui prévaut jusqu’à ce jour mais qui, faut-il le rappeler, n’est toujours guère reluisant du point de vue du respect des libertés puisque ces desserrements ne démantèlent pas fondamentalement la fermeture quasi chronique des libertés publiques au Cameroun. Nous pensons que le stade terminal des restrictions a été déjà atteint par conséquent l’on ne saurait pronostiquer des resserrements réellement au-dessus de ceux observés jusqu’ici. Par contre, ce qu’il faut redouter c’est l’extension éternitaire des catégories de mesures qui permettent au pouvoir de pouvoir museler davantage l’opposition depuis le déclenchement de la crise.

Quelles sont les principales recommandations et suggestions pour améliorer le respect de l’exercice des libertés publiques non seulement dans le cadre de la pandémie du Coronavirus, mais d’une façon globale ?

Les libertés publiques étant très vastes, nous allons nous limiter aux libertés choisies dans le cadre de notre étude de terrain en dégageant quelques pistes de sortie majeures.

Concernant la liberté de presse, spécifiquement la liberté d’accès à l’information, nous pensons qu’il faut dorénavant accorder des dispenses spéciales aux journalistes en situation de crise. Il est aussi important de dématérialiser les services de communications des structures qui par ailleurs doivent elles-mêmes s’arrimer au numérique en disposant par exemple des comptes certifiés sur les réseaux sociaux et des sites internet régulièrement bien fournis, se démarquant ainsi du régime des informations obsolètes.  Il faut en retour recycler les hommes de médias à la pratique du télétravail avec l’organisation permanente des webinaires. Tout ceci commande préalablement une amélioration et une vulgarisation du service internet sur l’ensemble du territoire national. Pour le cas spécifique des crises, en plus du recyclage des journalistes aux méthodes de travail en temps de crise, il faut également assurer leur sécurité matérielle et sociale. L’extrême précarité dans laquelle ont toujours travaillé les journalistes Camerounais ne peut que détériorer leur rendement en temps de crise, il est donc important de revoir leurs conditions de travail surtout ceux de la presse privée permanemment victimes de marginalisation de la part des structures publiques.

S’agissant du reste des libertés étudiées, il y a lieu d’éviter des restrictions inopportunes de même qu’il faut un peu plus de responsabilité de la part de tous les maillons de la chaine des libertés publiques. Il y a aussi lieu de conjurer toute forme d’instrumentalisation des mesures gouvernementales de lutte contre la Covid-19 et se concerter régulièrement avec des organisateurs de manifestations et réunions publiques. Pourquoi ne pas accompagner ces derniers dans l’encadrement sanitaire des participants ? Il faut en outre rejeter dans des structures idéologiques (écoles, médias, confessions religieuses et politiques etc.) toute forme de radicalisation et d’extrémisme au sujet de certaines pandémies et leurs moyens de lutte.

Réalisé par M.LM.

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