Politique/Sangmélima : L’affaire de l’enseignant poursuivi, classée sans suite

Le tribunal de Grande instance de Sangmélima a classé sans suite, l’affaire du professeur d’Anglais accusé « d’incitation à la révolte contre les Institutions de la République » par le sous-préfet de Sangmélima, le 14 octobre 2019.

Le lundi, 14 octobre 2019,le tribunal de Grande instance de Sangmélima, a classé sans suite l’affaire de Nathan Fongang Mesaak, professeur d’anglais au lycée d’Avebe-Esse, situé à une vingtaine de kilomètres de la ville de Sangmélima, dans la région du Sud. Cet enseignant, accusé« d’incitation à la révolte contre les Institutions de la République »,comparaissait libre. Placé en garde à vue administrative par le sous-préfet de l’arrondissement de Sangmélima, Saïdouna Ali,il avait été provisoirement libéré le 19 septembre 2019.

En effet, c’est le Samedi14 septembre 2019, que cet éducateur a été interpellé et placé en garde à vue administrative à la brigade territoriale de gendarmerie de la ville, suite à une accusation des parents d’élèves. Les faits remontent au vendredi 13 septembre 2019. Nathan Fongang Mesaak, dispense son cours d’anglais sur un thème d’éducation civique en classe de première D. Les échanges portent sur les solutions au conflit que traverse le Cameroun. « Pendant le cours, le professeur a posé la question de savoir ce qui cause la guerre. Les élèves ont dit, les injustices et les rebellions. Il a insisté sur la question ? Nous avons répondu par l’affirmatif. Il a dit que selon lui, ce n’est pas vraiment ça. C’est le système en place qui cause la guerre dans notre pays. Ce système n’a rien fait depuis pour promouvoir le bilinguisme dans le pays. Les anglophones sont marginalisés. Nous avons un Président très vieux pour diriger ce pays, il ne contrôle plus rien, ayant déjà mis long au pouvoir. Que le grand dialogue national que le Chef de l’Etat a convoqué va échouer si Maurice Kamto et les autres détenus du MRC ne sont pas libérés », témoigne Roger Mvondo, élève.

A en croire le chef de cet établissement scolaire, Simon Pierre Omgba Fouda, « le délégué départemental des Enseignements secondaires a interrogé une dizaine d’élèves qui onttémoigné que ce cours d’anglais a beaucoup plus été expliqué en français. Et d’après ces élèves, les exemples qui ont été pris par le professeur, en tant que pédagogue, étaient sortis du cadre de la leçon. Ces exemples dénigraient les institutions de l’Etat camerounais, n’étaient pas du tout orthodoxe à l’endroit du président de la république. Ces exemples pouvaient être interprétés avec beaucoup de risque par rapport à la situation sociopolitique du moment. »

Incitation à la rébellion

A la suite du proviseur, le sous-préfet explique qu’, « au regard des informations à sa disposition, l’acte posé par cet enseignant pendant son cours n’avait aucun rapport avec les enseignements normaux et réguliers à dispenser aux élèves. Ces Actes suffisamment graves avaient trait à l’incitation des élèves à la rébellion contre les institutions de l’Etat, à la sédition et pouvaient créer une division entre les élèves ». Selon lui, les mesures prises avaient pour but d’éviter tout trouble à l’ordre public. « Il fallait aussi déceler, dit-il, les motivations qui justifient son comporter. Il ne faut pas confondre les salles de classes qui sont un milieu consacré essentiellement à l’éducation. Lorsqu’on est enseignant, on doit dispenser les enseignements sans aller au-delà de la norme. On ne peut pas regrouper des élèves dans un établissement scolaire et au lieu de leur inculquer l’esprit patriotique, on les incite à la haine contre les institutions et les hauts responsables de la République. »

Né le 23 octobre 1983 dans le département du Noun, Nathan Fongang Mesaak est en service dans ce lycée depuis le 15 janvier 2014. « Il a toujours été un enseignant professionnel et consciencieux. C’est la première fois qu’un tel incident lui arrive », souligne Simon Pierre Omgba Fouda. Ce chef d’établissement précise que « depuis sa mise en liberté provisoire, il n’a toujours pas repris service au lycée. Il n’a pas fait signe de vie et ne prend personne au téléphone. J’ai même essayé de le rencontrer, sans succès. » Les élèves sont désormais privées du cours d’anglais. L’établissement ne disposant que de deux enseignants d’anglais dont, une volontaire américaine du corps de la paix.

L’accusé et son avocat n’ont pas souhaité se prononcer sur cette affaire.Toutes nos tentatives pour joindre le président du Collectif des enseignants indignés du Cameroun qui suit le dossier, ont été vaines. Au quartier Lobo-Si, où réside cet éducateur, les plus proches voisins témoignent qu’il est devenu très discret et inaccessible. D’après l’un d’eux, qui a requis l’anonymat, « Nathan Fongang a déclaré qu’il n’est plus prêt à reprendre service ». Dans la plupart des établissements scolaires de la ville à l’instar du lycée classique de Sangmélima, l’affaire est taboue à cause du contexte et de l’environnement.

L’arrondissement de Sangmélima se trouvant dans le département d’origine du Chef de l’Etat, rares sont les enseignants qui en parlent ouvertement de peur de subir des représailles. « C’est une affaire très sensible compte tenu du contexte sociopolitique du pays. Personne n’est prêt à sacrifier sa carrière », confie un enseignant sous anonymat.

Jérôme Essian à Sangmélima