Produits locaux : A l’Ouest, les communautés locales desservies en faveur des grandes villes
« Vie chère »(2/5) ) Dans les zones rurales de la région de l’Ouest, les producteurs, pourtant au cœur des bassins de production agricole, n’ont souvent pas accès à leur récolte, achetée à des prix élevés depuis les champs par les grossistes, et expédiés vers les grandes villes et les pays voisins
Nadine M., a dû modifier son menu du jour en raison du coût exorbitant des légumes-feuilles. A Ballesing, un bassin agricole de la région de l’Ouest, le bouquet de ces feuilles vendu au marché à 200 F Cfa il y a un an, est passé à 700 F Cfa alors qu’il coûtait 300 F Cfa il y a un six mois. Pour nourrir sa famille de six enfants, cette habitante de Balessing, avec un budget de 1 500 F Cfa, s’est rabattue sur le gombo, également rare et cher, contrairement à la même période en 2024. « Au carrefour Balessing, nous avions des meilleurs légumes, et à moindre coût entre mai et novembre. Mais la situation a changé depuis le début de l’année », confie-t-elle en accusant les grossistes et les intermédiaires qui monopolisent le marché.
Ce carrefour, baptisé « Sandaga » en référence au marché de vivres frais de Douala, est le lieu de convergence des produits agricoles provenant des zones rurales de production de la Menoua et des Bamboutos. Cet espace marchand illustre un paradoxe : les produits agricoles selon les consommateurs, y sont souvent plus chers qu’à Douala, à plus de 200 km, par exemple. Un luxe pour les habitants, pourtant, les vivres alimentaires y abondent au quotidien.
Ici, des motos et voitures y déversent des caisses de tomates, des sacs de morelles noires, des choux, des poivrons, etc. Mais rien n’est vendu surplace. Tout est directement acheminé vers Douala et les autres villes et les pays voisins, où certains grossistes ont déjà tout acheté soit à distance, soit directement dans les champs. « J’ai déjà acquis 50 caisses de tomates, en plus des légumes, poivrons et autres », affirme Luisette, une grossiste en provenance de la capitale économique. Les producteurs ruraux sont ainsi dépossédés de leur récolte, parfois depuis les champs, par les grossistes. « Le sceau de 15 litres de pommes coûte 6 500 F Cfa ici, pourtant j’espérais en avoir à un prix plus abordable qu’à Yaoundé. Mais ce n’est pas le cas », relève Orlus N., de retour de Bamendou, qui repart sans rien acheter, constatant que le prix est plus abordable à Yaoundé.
Grossistes
À Foumbot dans le Noun, l’un des principaux bassins agricoles du Cameroun, les produits commercialisés proviennent des zones de production comme Kouoptamo, Bangourain, Baïgom et Foumbot. Gabriel Mbaïrobé, ministre de l’Agriculture et du Développement rural (Miander), qualifie cette commune de « premier grenier agricole », notamment pour les maraîchers. Selon la délégation régionale du Minader-Ouest, la production de tomates y a augmenté de 324 tonnes en un an. Passant de 217 606 tonnes en 2021 à 217 930 tonnes en 2022. Dans les zones de productions, les intermédiaires achètent directement dans les champs et livrent aux grossistes des grandes villes. Selon Nfondi Toumansie Ousman, régisseur du marché, en moyenne 7 camions des produits agricoles partent chaque jour de Foumbot pour approvisionner les grandes villes du pays, ainsi que la Centrafrique, lésant ainsi les communautés locales.
A en croire Idris Kuété, conseiller agro-pastoral, « la hausse des produits phytosanitaires pousse les producteurs à adopter des stratégies pour livrer rapidement leurs produits afin de réduire les pertes post-récoltes ». Ces défis sont accentués dans les zones enclavées où le manque d’infrastructures routières et de circuits de commercialisation des produits contraignent les agriculteurs à dépendre financièrement des grossistes.
C’est le cas de Martial Takoula, un jeune agronome installé à Bangangté, dans le département du Ndé. Cet agripreneur a investi dans la production de tomates sur 2 hectares. N’ayant pas les ressources financières nécessaires, il s’est accordé avec un grossiste à Yaoundé qui à compléter ses fonds initiaux d’un montant de 500 000 F Cfa. Un emprunt destiné à l’achat d’intrants, de fertilisants, de la paie de la main d’œuvre et autres. « Je lui ai déjà livré la production d’une valeur de d’un million F Cfa, représentant son investissement », confie-t-il. Rendu à plus de 65% des récoltes, Martial projette de gagner près de 600 000 F Cfa. « À la fin du processus, mon partenaire aura droit à 35 % des revenus de la saison », précise-t-il.
Selon Noël Takam, agro-socio-économiste, cette pratique permet aux producteurs de trouver un soutien financier essentiel pour leurs activités, dans un contexte ou l’accès au financement reste un parcours de combattant pour les agriculteurs. Le recours aux particuliers permet, d’après Aubin Landry Kamdem, banquier et comptable, de contourner les établissements financiers, où les garanties exigées compliquent l’octroi des crédits agricoles.
Aurélien Kanouo Kouénéyé







