Recettes domaniales : L’Est perd plus de 100 millions F Cfa chaque année depuis 2016
Tepap chassant les ouvriers du site

A l’origine, la suspension controversée des transactions foncières entre 2016 et 2020 par le ministre des Domaines, du cadastre et des affaires foncières dans le Lom-et-Djerem pour sauver les terres bradées aux spéculateurs.

A l’audience publique ordinaire du Tribunal administratif de l’Est du 03 juin 2020, toutes les trois affaires inscrites au rôle concernent les requêtes aux fins d’annulation des titres fonciers. Ce type de plainte est récurrent dans le département de Lom-et-Djerem, dans la région de l’Est Cameroun. Quelques jours plus tard, au cours de l’audience de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel du 09 juin 2020, 03 des 20 dossiers du rôle portent sur des plaintes pour « escroquerie foncière ». D’après ces deux juridictions, les statistiques des litiges fonciers vont croissantes chaque année.

« Ces nombreuses requêtes et contestations des usagers », ont amené Jacqueline Koung à Bisseké, alors ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (MINDCAF) à suspendre toutes transactions domaniales entre le 16 mai 2016 et le 02 mars 2020, dans ce département qui est le plus grand pourvoyeur des recettes domaniales de la région. Une décision qui a engendré une chute drastique de ces recettes dans la région de l’Est, estimée à des centaines de millions F Cfa.

La déléguée départementale, Larissa Patricia Metcham Boudambang, explique que le MINDCAF est un ministère d’assiette qui génère les recettes non fiscales reversées au Trésor public dont les prévisions sont assignées par le niveau central. Cependant, précise-t-elle, durant la période de suspension, les prévisions annuelles du Lom-et-Djerem ont été divisées par 4 chaque année. A ce sujet, la Trésorerie de Bertoua souligne   qu’« il était attendu une somme de plus de 100 millions F CFa des recettes domaniales de la délégation départementale du Lom-et-Djerem chaque année. Malheureusement, de 2016 à 2020, même un quart de cette somme n’a pas été collecté ».

Une situation qui pourra s’améliorer avec la révision de la décision ministérielle. En effet, « la suspension a été partiellement levée depuis le 02 mars 2020, dans 6 des 8 arrondissements que compte le département. Il s’agit de Belabo, Diang, Ngoura, Mandjou, Bétaré-Oya et Garoua-Boulaï. En ce qui concerne les arrondissements de Bertoua 1er et 2ème où la suspension n’a pas été levée, seules les procédures de morcellement et de mutation de titre sont concernées. Pour la procédure d’immatriculation, il faut l’autorisation spéciale du ministre », indique la déléguée départementale.

 

Zones rouges

 Selon Maurice N. expert en matière d’immatriculation foncière, les tracasseries foncières, sont les conséquences des actes de certaines acteurs du secteur, qualifiés de « spéculateurs fonciers », qui ont fait de la propriétaire foncière, une grande source de richesse. Pour se remplir les poches, ces individus arrachent les vastes étendus de terres à vil prix avec la complicité des Chefs traditionnels et les autorités administratives, les immatriculent frauduleusement pour revendre sous forme de morcèlement sans toute fois respecter les plans cadastraux. « L’Etat a déjà perdu beaucoup des procès dans des tribunaux et payé d’énormes sommes aux justiciables à cause des mauvaises procédures d’immatriculation. Il était temps que le ministre prenne cette décision », soutient-il.  Et d’ajouter : « Vous allez constater que dans certains quartiers, il est difficile de créer des routes parce que les terres ont été vendues anarchiquement ».

C’est d’ailleurs pour cette raison, confie-t-il, qu’entre 2005 et 2008, Naseri Paul Bea, actuel gouverneur du Centre, à l’époque préfet du Lom-et-Djerem, avait constaté qu’au quartier Dja Dombé au cœur de la ville de Bertoua, un même lotissement était attribué à plusieurs personnes. Comme corolaire, il y avait trop de litiges fonciers. Avec l’accord du ministre, le préfet l’a réattribué à ceux qui avaient des lettres authentiques.

Des sources bien introduites à la préfecture de Bertoua, certaines localités sont déjà classées zones rouges, où il n’est plus conseiller d’y acheter une parcelle de terre parce que les spéculateurs ont déjà tout occupé. Il s’agit de Bonis à l’entrée Ouest de la ville, Koékong, à une dizaine de kilomètres de Bertoua sur la route de Belabo, de Mandjou à la sortie Nord et de Koumé-Koffi sur la route de Lom Pangar.

Controverse

Malgré cet état des lieux, la décision ministérielle ne fait pas l’unanimité au sein de l’administration. Ceux qui la soutiennent, pensent qu’elle était nécessaire dans la mesure où des centaines de millions payés par l’Etat aux justiciables était plus élevé que les recettes domaniales. Par contre, une autorité administrative qui a requis l’anonymat, relève que, « le ministre n’a pas qualité de prendre un pareil acte qui viole le principe du parallélisme de forme, car les transactions foncières au Cameroun sont encadrées par les Ordonnances du Président de la République N° 74/1, 74/2 et 73/3 du 6/7/1974 fixant respectivement le régime foncier, le régime domanial et la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités d’indemnisation ».

A en croire cette source, les usagers des services des Domaines du Lom-et-Djerem doivent interpeller les services juridiques du ministère des Domaines, la Direction de la Réglementation de la Primature et de la Présidence de la République afin que les dispositions de la note de service ministériel soient totalement annulées.

Pour, Francis Kambang, juriste et Coordonnateur de la Fondation Confucius qui a réalisé une enquête sur la braderie des terres à grande échelle aux réfugiés centrafricains dans l’arrondissement de Mandjou « les populations ont été tout simplement punis pendant quatre ans parce que la suspension n’a pas assaini la corruption et les tracasseries dans les transactions foncières ».

 

Sébastian Chi Elvido à Bertoua

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