« Si rien n’est fait, d’ici cinq ans, on ne parlera plus du café au Cameroun »

Jean Marie Mbialeu, président national de la Confédération Nationale des Coopératives et Fédérations Agropastorales du Cameroun (Conafac).

Quelle appréciation faites-vous de la situation actuelle de la production du café au Cameroun ?

Je pense que la vision que nous avons aujourd’hui de la production du café au Cameroun n’est pas très bonne. Pour la simple raison que, quand le petit planteur produit et ne peut pas être capable d’écouler sa production, c’est un problème. C’est cette production, qui en réalité, nourrit son homme. Logiquement, quant on produit, c’est pour vendre. Mais ce n’est pas le cas actuellement.  La situation  est encore très catastrophique cette année (2019). Quand on va dans toutes les localités, dans toutes les usines, on retrouve encore le café produit l’année dernière (2018 Ndr).  Pourtant, nous sommes à un mois de la cueillette de la  prochaine campagne 2019. Donc, nous nous retrouvons successivement  avec  la production de deux années de campagne  stockée dans  les  magasins. C’est une situation qui  inquiète énormément les caféiculteurs.  Nous ne stockons pas pour le simple  plaisir de le faire. S’il y a les acheteurs, ils vendront. Moi-même je veux vendre pour résoudre certains problèmes, mais il n’y  pas d’acheteurs.  Même ceux qui se sont présentés comme potentiels acheteurs dans la localité, ont acheté à crédit. Ils n’ont pas jusqu’aujourd’hui, payer les producteurs qui sont dans le désarroi, après plus de  trois mois d’attente pour certains.

Que représentent en quantité, ces deux années de production ?

Depuis la chute catastrophique de la production et des prix, le Cameroun en général nage entre 25 mille tonnes de production par an. Nous sommes quittés de 160 milles tonnes à 25 mille tonnes. Mais,  je crains  qu’avec cette dégringolade, le Cameroun puisse encore être capable de produire 20 mille tonnes de café. Au cours des trois dernières années,  la situation s’est empirée. Au sein de notre confédération, nous  sommes passés d’environ 3700 tonnes en 2016,  à 3000-3100 en 2017, pour chuter en moins de 2000 mille tonnes en 2018. La chute  est vraiment considérable.

Néanmoins, nous savons que le Conseil Interprofessionnel du Cacao et du Café (CICC), tout comme le Fonds de Développement des Filières Cacao et Café (FODECC)  multiplie les efforts  à travers de nombreux programmes, pour accompagner les petits producteurs. Il ya plusieurs projets qui existent dans la filière, mais l’impact n’est pas encore considérable. Il faut un soutien assez efficace, réel pour les petits producteurs.Avec le projet qui a été implanté dans le Moungo, par  le délégué départemental de l’Agriculture et du Développement rural, qui est en train d’identifier les producteurs, de faire la levée dans des plantations, pour avoir les superficies réelles  et la densité de la production, dans le but de ressortir les besoins des caféiculteurs enfin  de les accompagner, il y a légèrement,  un début de changement.  On espère qu’avec ce projet,  les choses vont davantage s’améliorer.

 

Le Moungo dans les années 80-90 étaient un grand bassin de production du café. Quelle est la situation actuelle dans ce département ?

La situation aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Parce que, quand on parle des années 80, le Moungo étaient pratiquement la 3elocalité du Cameroun, ceci grâce à sa forte production du café. Nous avions à l’époque, des expatriés qui disposaient des grandes plantations de café. C’était vraiment énorme. Le minimum de ces  plantations, était environ deux à trois cent hectares et cette culture apportait de la joie aux producteurs. A cette époque, chacun avait l’envie de produire le café parce qu’il nourrissait son homme. Les belles maisons qui existent   dans cette localité sont les fruits du café. Comparativement, les choses sont très différentes aujourd’hui. Les planteurs ne peuvent plus s’en vanter. Quand on évalue le coût de production au coût de vente, il n’y a pas de rapprochement, la différence est énorme. Un  planteur par exemple, achète un sac  d’engrais pratiquement à 16-18 mille F Cfa. S’il  doit acheter un engrais spécifique,  il dépense environ  23 mille f Cfa alors que le kilogramme du café, revient à 300 f Cfa. Le coût est vraiment dérisoire, il ne peut pas rentrer dans ses frais. Nous  lançons un appel au gouvernement, pour qu’il essaie d’améliorer   les conditions de vie des petits producteurs du café.

De nombreux producteurs ont déjà jeté l’éponge…

Exactement.  Sans toutefois avoir la langue de bois,  de plus en plus,  les producteurs de café  abandonnent cette culture de rente. Nous sommes par exemple, sur un site qui accueille un séminaire sur la production du maïs. C’était des plantations de café il y a quelques années,  qui appartenaient aux colons et qui ont été cédées à nos frères.  Mais, à cause de la chute du prix, nombreux sont ceux qui détruisent les champs de café pour en faire des maraichères.  Et je peux assurer que si rien n’est fait, d’ici cinq ans, on ne parlera plus du café au Cameroun. D’ailleurs, sur le marché mondial aujourd’hui, le Cameroun n’a plus un comptoir de la bourse. Le label camerounais est perdu sur le café et pourtant on en parlait il y a quelques années. Nous continuons d’alerter le gouvernement, il doit penser à cette filière. Ceux qui produisent encore le café actuellement, n’en dépendent pas essentiellement parce que le coût de production est énorme.  C’est devenu un  investissement complémentaire.  Nombreux, sont ceux qui  le font par passion, en espérant que les choses vont s’améliorer.

Pensez-vous, qu’il faut revoir la politique gouvernementale dans la filière café ?

Evidement. Le projet de la délégation départementale du MINADER  peut être un début de solution. Si l’Etat tient à ce projet, il peut améliorer  ce secteur d’activité.

Le Cameroun a enregistré ces dernières années de multiples programmes de relance de la filière cacao-café.  N’ont-ils pas encore porté des fruits escomptés, comme c’est le cas avec le cacao qui est plutôt sur la bonne voie ?

Dans le secteur cacao, on dirait que les choses vont de mieux en mieux. Son kilogramme varie entre 1000-1200 F Cfa. Il y a deux, trois ans, la même quantité coûtait 700-800 F Cfa. Le café a coûté 1200 F Cfa à une certaine époque. Mais aujourd’hui il revient à 300 F Cfa le kilogramme. Donc, il faut l’améliorer. Pourtant dans la filière cacao beaucoup de programme sont mis sur pied, des usines de transformations  naissant chaque jour. On a des maîtres chocolatiers et des investisseurs qui s’installent au Cameroun par le canal du Conseil Interprofessionnel du Cacao et du Café (Cicc).

Pourquoi on n’observe pas le même dynamisme dans la filière café ?                 

Le gouvernement doit essayer de revoir les programmes de l’amélioration et de relance de la filière café. Il faut revoir aussi les prix. Dans les années 80, on avait les caisses de stabilisation, qui permettait aux producteurs d’écouler leurs  produits. Nous  pensons qu’avec les  réunions que nous tenons avec le nouveau administrateur du  FODECC,  qui va mettre  sur pied un projet cacao et café dans le but de relancer la filière, les choses vont changer. Le Café camerounais est peut-être exporté, mais nous pensons qu’il faut s’orienter vers  une politique d’autoconsommation. Si L’Etat Camerounais  consomme son café, il y a aura forcement un impact dans la chaîne de production. L’Etat doit imposer le café camerounais à toutes les entreprises locales,  aux investisseurs, aux Camerounais.  Les Camerounais n’ont pas la culture de la consommation café. Si chaque Camerounais prend une tasse du café le matin, on ne pourra plus exporter notre production. Donc, l’Etat doit revoir sa politique.

Réalisé par M.L.M de retour du Moungo