Arnaud Froger : « On cherche à savoir qui a tué Martinez Zogo »

Arnaud Forger : « On cherche à savoir qui a tué Martinez Zogo »

Le responsable des investigations chez Reporter sans frontière (Rsf) revient sur son récent séjour au Cameroun et indique que le ministre de la Communication du Cameroun n’a jamais désavoué ses enquêtes qui a tué Martinez Zogo.

Après deux enquêtes ayant secouées le Cameroun début 2023 dans le cadre de ce qui est appelé « l’affaire Martinez Zogo », vous venez de séjourner au Cameroun. Quel était le but de ce séjour ?

Le but du séjour était de poursuivre l’enquête en cours sur l’affaire Martinez Zogo. Puisque c’est une enquête qui est en cours, il y a encore des questions qui se posent, des réponses, des éléments qu’on cherche. On est loin d’avoir résolu toutes les dimensions de cette enquête, d’avoir obtenu l’ensemble des éléments. A Rsf, comme on le fait à chaque fois qu’un crime odieux a été commis contre un journaliste, on déploie des moyens pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, de lutter contre l’impunité, d’obtenir la traduction en justice des responsables et puis contribuer tout simplement à la manifestation de la vérité. C’est le rôle d’une Organisation de la société civile qui défend le journalisme et ceux qui le pratiquent.

qui a tué Martinez Zogo N’aviez-vous pas peur pour votre sécurité pendant votre séjour ?

Peur ? non. Disons qu’on fait attention. On connait le contexte, on sait qu’il y a des dangers, des menaces et beaucoup de désinformation qui circulent. Donc, on est vigilant, on est responsable ; on essaie d’être professionnel. Notre rôle n’est pas de se cacher, ni de faire des choses à distance. C’est d’aller sur le terrain, d’enquêter, de rencontrer les acteurs, de mesurer effectivement le climat de peur qui entoure toute cette affaire. Ça fait partie de notre rôle, que d’aller au plus près des sources, au plus près du terrain pour contribuer à la manifestation de la vérité. Il faut donc faire preuve de vigilance, il faut faire attention, il faut faire preuve de professionnalisme, il faut prendre certaines précautions. On essaie de faire notre travail dans un environnement et un contexte qui est effectivement assez sensible et assez compliqué.

Des informations en circulation sur la toile disent que vous vouliez rencontrer Jean Pierre Amougou Belinga et le Juge au Tribunal militaire en charge de l’affaire. Les avez-vous rencontrés ?

Sur des rendez-vous et notre agenda sur place, le premier point qui semble assez essentiel et comme tout bon journaliste, on ne communique pas. Ça contribuerait à mettre en danger notre travail. Ça implique forcement dans une certaine mesure, particulièrement quand le contexte est aussi sensible et aussi délicat, une certaine discrétion. Maintenant, c’est vrai qu’on avait sollicité certains rendez-vous « officiels » et il n’y a aucun souci à communiquer là-dessus.

En ce qui concerne M. Amougou Belinga, on a effectivement demandé à le rencontrer, ou au moins rencontrer son avocat. Malheureusement, ces rencontres n’ont pas eu lieu. Nous on n’enquête pas à charge. On suit un dossier ou une affaire et on cherche à rencontrer tous les acteurs, de la même manière qu’on avait sollicité l’avocat de M. Belinga lors de nos premières révélations. Ses commentaires et son appréciation de la situation figurent d’ailleurs bien dans notre toute dernière publication sur cette affaire.

Nous avons d’ailleurs essayé de les rencontrer, ça fait partie des choses qu’on a à faire, parce qu’on n’enquête ni à charge, ni à décharge. On essaie de comprendre ce qui se passe en interrogeant tous les acteurs. On a sollicité à plusieurs reprises l’avocat de M. Belinga, on voulait aussi rencontrer M. Belinga lui-même, puisque finalement personne ne sait exactement quel est son état d’esprit, quelle est sa ligne. Il ne s’est pas exprimé directement depuis son arrestation.

On a également sollicité la défense dans le dossier, dont l’avocat de M. Belinga qui a vilipendé notre travail de manière assez véhémente, afin de nous fournir des éléments qui contribueraient soi-disant à disculper son client ou qui iraient dans un autre sens que les faits que nous avons collectés et que nous avons relayé publiquement. Cette sollicitation a eu lieu dès le tout début de l’affaire. Nous lui avons réexprimé le fait qu’on était prêt à discuter et à examiner les éléments qu’il a, mais dont nous n’aurions pas connaissance. Malheureusement, il n’a apporté aucun élément de réponse à ces sollicitions. On est en réalité dans une stratégie de défense du côté de M. Belinga et de son avocat qui vise de toute évidence, à discréditer notre travail, à discréditer le travail des enquêteurs et de ceux parmi la société civile et les journalistes qui cherchent à comprendre ce qui s’est passé.

Il y a beaucoup de discrédit, mais quand on demande des choses très concrètes concernant l’affaire et concernant des éléments qui allaient dans le sens de la défense de M. Belinga, il y a une absence de réponse qui va jusqu’à ne pas honorer un rendez-vous qui avait été convenu par téléphone. C’est leur stratégie, c’est leur choix. Ça ne nous empêchera pas de travailler encore une fois. On n’a pas d’autres agendas que la manifestation de la vérité. On ne défend ni les uns ni les autres, on n’a aucun parti pris dans l’environnement et le paysage politique camerounais. On est bien loin de ces considérations et des rivalités même si on en a connaissance. Nous, on cherche à savoir qui a tué Martinez Zogo, dans quelles circonstances précises, afin d’établir l’ensemble des responsabilités. C’est ça le sens de notre mission.

Pendant votre séjour vous avez été reçu par le ministre de la Communication si nos informations sont bonnes. De quoi avez-vous parlé ? Et le garde des Sceaux, l’avez-vous rencontré ou essayé de le faire ?

Nous avons effectivement rencontré le ministre de la Communication René Emmanuel Sadi pour parler de la liberté de la presse en général au Cameroun et en particulier évidemment de l’affaire Martinez Zogo. Évidemment pour des soucis de discrétion je ne peux pas vous donner l’ensemble du contenu de nos échanges, mais on a eu des échanges assez constructifs. On n’a pas forcément les mêmes positions sur tous les aspects concernant notamment la liberté de la presse au Cameroun, mais ce que je peux vous dire contrairement à la désinformation qui a circulé sur les réseaux sociaux, c’est qu’à aucun moment le ministre de Communication n’a désavoué les résultats de notre enquête concernant Martinez Zogo. Ça n’a absolument pas été le contenu de ses propos. Bien au contraire. Ceux qui ont affirmé cela n’ont pas été mal informé, ils ont mal informé et désinformé à dessein sans prendre la peine de me contacter pour vérifier. Leur agenda qui est de créer de la diversion et d’instiller le doute dans les esprits est connu de tous. Ils font du bruit et ils se rendent d’une certaine manière complice de ce qui s’est passé. Nous on fait de l’information.

Entre ces enquêtes signées depuis Paris et votre séjour sur le terrain, quel est désormais l’idée que vous faites de l’affaire ?

L ’idée qu’on s’est faite sur cette affaire c’est qu’elle est complexe, qu’elle a fait intervenir des gens extrêmement puissants qui ont des moyens qui sont conséquents et qu’il est absolument vital et essentiel que les journalistes et la société civile dont Rsf fait partie au même titre, que d’autres, poursuivent leur travail d’enquêtes journalistiques. Qu’ils poursuivent la collecte et la recherche d’informations pour aboutir à la manifestation de la vérité.

L’enquête judiciaire a sa propre trajectoire, elle est lancée, elle se poursuit. On espère évidemment qu’elle aboutira et dans tous les cas, les enquêtes journalistiques peuvent continuer elles aussi, à vivre et à se faire. C’est absolument indispensable compte tenu des intérêts, des enjeux et du rôle parfois primordial de la contribution du journaliste à la manifestation de la vérité en soutien à des processus judicaires qui peuvent parfois être sous contraintes qui a tué Martinez Zogo. Ces deux types d’enquêtes ont chacune leur légitimité. Elles vont parfois dans le même sens, parfois elles divergent, parfois elles s’accordent sur certains points, parfois pas. En tout cas elles sont toutes les deux légitimes et il est essentiel que les journalistes continuent à enquêter sur ce crime odieux pour savoir ce qui est arrivé à Martinez Zogo.

Propos recueillis par Paul Joel Kamtchang

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