BABA Inoussa : « on a un problème d’évaluation de stock »

BABA Inoussa : « on a un problème d’évaluation de stock »

BABA Inoussa, Chercheur et expert consultant en pêche, il fait une analyse des activités de la pêche au Cameroun. Pour cet expert, un état des lieux est nécessaire pour combler certaines lacunes.

Quelle est la principale observation que vous faites de la pratique de la pêche au Cameroun ?

Comparativement aux activités économiques au Cameroun, la pêche est reléguée au second plan. Elle est encore à la traîne. Vu déjà sa contribution dans le BIP qui est seulement de 1,6%, c’est faible. De façon succincte, on analyse la pêche sur pratiquement 4 angles : économique, environnemental, socio-professionnel et politique.

Sur le plan économique, l’activité de la pêche a plusieurs modes de financement. Le financement peut être sous fonds propres ou provenir des subventions dans le cadre d’un projet financé à travers des petites organisations de pêcheurs, à l’instar des associations, des groupes d’initiatives communautaires (Gic) ou des coopératives. On a aussi des programmes spécifiques qui se chargent de financer certaines activités, beaucoup plus dans la pêche artisanale.

Quelle est la principale observation que vous faites de la pratique de la pêche au Cameroun ?

En ce qui concerne la pêche industrielle, ce sont des grandes entreprises qui bénéficient des prêts auprès des banques pour financer leur activité. Aujourd’hui, on a 4 à 5 sociétés de pêche qui fonctionnent au Cameroun. Je signale qu’on parle purement de la pêche de capture, parce que la pêche va de la capture jusqu’à la consommation.  Ces sociétés de pêche opèrent avec 2 modes d’embarcation ou flottille. Il y a des sociétés qui utilisent les chalutiers, qui sont des bateaux capables de traîner un chalut. Mais au Cameroun, les chalutiers sont ceux qu’on trouve beaucoup plus sur les bateaux de pêche chinois. Il y a les crevettiers, qui sont les bateaux plus grands qui font en moyenne 25 ou 35 jours en mer. Le Cameroun ne produit pas de filet de pêche. Il se ravitaille au Nigeria.  Et ces filets de pêche sont adaptés à l’environnement où ils ont été produits. Ce qui fait qu’ils ont un impact sur notre biodiversité. Si le secteur ne décolle pas, ça veut dire qu’il y a un problème sur le moyen de financement.

Quelle est la principale observation que vous faites de la pratique de la pêche au Cameroun ?

 L’estimation de la production de la pêche au Cameroun, de façon générale, est de 212 mille tonnes par an (pêche et aquaculture) contre une demande de pratiquement 400 milles tonnes par an.  L’aquaculture représente pratiquement 10% seulement et la pêche 80%. Cette pêche est subdivisée en deux : la pêche artisanale qui produit 63% et la pêche industrielle, avec environ 30%. En ce qui concerne la diversité des produits, on a plus de 500 espèces sous nos eaux au Cameroun, que ce soit en eau douce, saumâtre ou salée. Le Cameroun a pratiquement 402 km de côte, de l’Ouest jusqu’au Sud, la zone de Rio Déléré jusqu’à grand Batanga, vers Campo, la limite avec le Gabon.

Est-ce que ces pêcheurs industriels approvisionnent le marché local ?

Bien évidemment. Ça fait partie des premiers principes. De façon légale, il est reconnu que le poisson du Cameroun n’est pas exporté.  Les seuls produits de pêche que nous exportons, sont les crevettes (gambas et crevettes roses).

 Quel est l’impact de la pêche sur le plan social ?

 De façon générale au Cameroun, la pêche embauche près de deux cent mille personnes toute catégorie confondue, de la production à la consommation. S’il faut aller de façon spécifique, le pêcheur à un ménage, une famille et son activité alimente les autres démembrements de la famille. Le mode de vie des pêcheurs est très faible. Le pêcheur ne vit pas de ses activités comparativement aux pêcheurs des autres pays.  La pêche industrielle est une entreprise qui dispose d’une ressource humaine qui constitue une chaîne, ce qui est différent de la pêche artisanale.  Dans la pêche industrielle, on a actuellement 44 bateaux de pêche au Cameroun qui sont en activité. Ils ont à bord, en moyenne, 7 marins.

Le Cameroun a un mode de fonctionnement différent des autres. Ce sont les expatriés qui viennent avec leur bateau. Les Camerounais sont amateurs, ils détiennent l’agrément. Celui qui vient avec le bateau a besoin d’une licence de pêche, qui ne peut être donnée qu’à une personne qui a l’agrément. Automatiquement on parle de contrat d’affrètement. C’est-à-dire que celui qui vient avec le bateau, doit emprunter son bateau à l’amateur qui a les papiers. Les bateaux ne sont pas achetés de façon générale par les responsables camerounais. Les propriétaires de bateau viennent beaucoup plus de l’Asie, dont la Chine, et aussi de la Grèce et de la France.  Les produits ne sont pas exportés. Le Cameroun s’était auto-suspendu de l’exportation du poisson. Cependant il faut mener une étude pour voir s’il n’y a pas de trafic illicite.  Dans la pêche artisanale maritime, il est très difficile de recenser les pêcheurs. On peut avoir 3 à 4 mille pêcheurs dans la pêche artisanale, qui sont dominés par des expatriés. En majorité les nigérians, qui détiennent le pouvoir. Ils représentent près de 80% des exploitants camerounais.

La mise en place d’une pêche durable au Cameroun est un parcours de combattant…

Sur le plan de la protection de la biodiversité, c’est l’Etat qui est bien évidemment garant. L’impact de l’activité de la pêche sur l’environnement, peut-être évalué sous l’angle de la biodiversité et les habitants marins (écosystème). Parlant de la biodiversité, le Cameroun a une grande potentialité avec diverses espèces. Quel est l’état du stock que nous exploitons ? C’est de là que viennent les difficultés, parce qu’au Cameroun, on a un problème d’évaluation de stock. C’est le plus grand problème dans l’activité de la pêche en ce moment. C’est en fonction du stock qu’on détermine le nombre de bateaux par exemple.  On en a fait une fois, mais ce n’était pas effectif, parce que c’était un bateau de pêche scientifique qui menait des opérations d’évaluation du stock.  Mais ce bateau ne pouvait pas atteindre les côtes, pourtant la zone de haute production au Cameroun, c’est les zones côtières.

Par conséquent, les résultats ne pouvaient pas être très efficaces. L’évaluation permet de regarder la dynamique des ressources, c’est-à-dire, vue ce que nous avons, par rapport à la quantité théorique de l’espèce que nous disposons, on peut encourager tel ou tel nombre de techniques ou engins de pêche qui peuvent opérer dans nos eaux. Cela peut nous permettre d’avoir une production en moyenne par an de … C’est une prévision conjointe qui est faite entre la ressource dynamique et vivante, et le prélèvement qui est planifié dans le futur en fonction de la demande. Dans ces conditions, on est obligé de vivre de l’extérieur parce qu’on ne maîtrise pas le stock. L’absence de l’évaluation du stock est le nœud du problème au Cameroun.

Vous recommandez une évaluation de stock…

 En attendant une évaluation, on a mis sur pied une mesure qui se traduit par la pisciculture qui est aujourd’hui vulgarisée. Sauf qu’il y a un problème d’habitude alimentaire et de coût. Il faut faire une bonne évaluation de stock pour asseoir une bonne mesure de gestion, c’est-à-dire l’ensemble des actions qu’il faut planifier pour pouvoir exploiter nos ressources de façon durable. Elle peut se faire de façon efficace par les observateurs scientifiques dans la pêche industrielle, qui doivent être embarqués à bord des bateaux. Ceci permettra de capitaliser les données qui échappent à la pêche, aux statistiques nationales. Étant à bord, il faut développer les contrôles- suivi-surveillance.

Qu’est-ce qui explique ce déficit de données ?

La recherche dans le domaine halieutique est très chère, c’est pour cette raison que les données sont rares. C’est un milieu à haut risque. Les données que nous disposons, sont des études conjecturées, menées sur le golfe de guinée.  Il y a par exemple une base de données sur les captures accessoires. Il s’agit dans la pêche industrielle des produits triés de ceux qui ont une valeur marchande élevée, et ces produits qui ne rapportent pas gros sont tout simplement rejetés dans l’eau. Ces rejets sont énormes, c’est des tonnes et des tonnes. Le quota des rejets varie entre 40 et 95% de capture principale. Mais ces données, nous n’en disposons pas.  Le Ghana, le Nigeria et le Cameroun, n’ont pas cette statistique. Par contre, le monde entier en dispose. Quand on fait l’état de production au Cameroun, on imagine ces quantités qui sont des milliers de tonnes qui ne sont pas incorporées dans les données nationales et automatiquement on va passer à côté des chiffres vrais.

Mais, pourquoi les chiffres ne sortent pas ? Parce que :  il y a un quota admissible de capture accessoire autorisé par l’administration qui est de 25%. Mais généralement les bateaux de pêche excèdent cette quantité. Et dans la procédure, lorsqu’on traverse ce quota, on est sanctionné. Les pêcheurs préfèrent ne pas rapporter cette quantité, et ça dévient la pêche INN (pêche illicite non rapportée). C’est ce phénomène qui ne nous permet pas d’avoir une bonne évaluation de stock. On a aussi le phénomène de transbordement, c’est-à-dire qu’on pêche, et en haute, on ventile le produit. Donc, on n’a pas connaissance de la direction des produits de pêche sur nos côtes.  Plus de 80% de la pêche artisanale, qui est d’ailleurs le pionnier de la pêche au Cameroun, est prédominée par les nigérians. 90% des produits ne sont pas consommés au Cameroun, mais au Nigeria. Mais on n’a pas les traces sur les statistiques.  Même si on peut observer, on ne peut pas faire des enregistrements.  Ils ont néanmoins des licences, mais ils n’ont pas le droit d’exporter. Le transbordement en mer est interdit. On a d’énormes quantités qui sont distribuées de part et d’autre hors de nos frontières, mais on n’a pas connaissance sur ces quantités. Automatiquement on se contente de ce qui est écrit et de ce qu’on voit.  Ce sont des zones très dangereuses, on ne peut pas y mener des enquêtes (zone de bakassi par exemple). Ces quantités qui ne sont pas déclarées, font problème, et c’est parfois le triple de ce qui est débarqué. C’est une situation qui remet en cause la durabilité biologique de ces espèces. Les engins de pêche ramassent tout sur leur passage, ils raclent complètement tout parce que l’environnement ne permet pas de respecter ce qui est ordonné plus haut.  Ce sont des faits qui arrivent, et qui sont difficiles à gérer. Cependant, si on avait une idée sur la quantité et ce qui est déversé, on pouvait faire une planification par rapport à la quantité globale des captures par an. Je suis en train de travailler pour modéliser un paramètre de modélisation de ces données manquantes, que sont les rejets, pour être à mesure de pouvoir faire une estimation des données futures dans la planification de la gestion de la pêche future. L’activité de la pêche artisanale est moins incriminée dans les cas de rejet, par rapport à la pêche industrielle.

Y a-t-il des actions qui menacent encore les côtes camerounaises sur le plan environnemental ?

Au niveau de l’environnement, il y a des zones de frayeurs qu’il faut sauvegarder. C’est là où les poissons pondent les œufs. Et cet environnement est menacé aujourd’hui par le phénomène de coupe de bois de chauffe, pour la transformation des poissons (fumage, Ndlr). Cette coupe de bois n’est pas contrôlée. Comme menace, il y a les aspects liés au déversement des produits toxiques, qui a une conséquence sur la biodiversité. Pendant l’activité de la pêche, les engins perturbent la biodiversité. Aujourd’hui, il y a un problème sur la délimitation de zones de pêche avec l’exploration des champs pétroliers. Auparavant, il y en avait très peu. Ces champs sont sécurisés, et sont mis en défense de pêcher. Ce qui pose un problème de restriction des zones de haute production. On a un problème à la côte Nord avec le déversement des déchets. La côte Sud n’est pas favorable à la pêche industrielle.

Faut-il revoir la politique de gestion ?

Le volet politique est le nœud du problème. C’est la politique qui régule tous les secteurs. La recherche fait des propositions et le politique, la mise en application avec des instruments juridiques. Que ce soit la politique de développement, ou l’encouragement des activités de la pêche, l’Etat peut avoir un programme qui vulgarise la pêche. Il faut qu’il ait des programmes qui vont nous rendre autonome dans la production que nous voulons.  L’Etat doit prendre des dispositions pour faire asseoir une bonne mesure de gestion qui va produire des résultats pour une gestion durable de nos ressources.

Comment rendre la pêche camerounaise durable et productive ?

La gestion d’une biodiversité dynamique n’est pas souvent évidente. La gestion magique n’existe pas. Mais, à l’issue des études, ce que nous pensons peut améliorer le secteur d’activité de façon générale. Il y a plusieurs propositions à faire. Il faut faire un état des lieux sur les activités de la pêche au Cameroun. C’est-à-dire, il faut une bonne évaluation sociale, environnementale, économique et de la biodiversité. Mais le nœud central, c’est l’évaluation de stock au Cameroun, qui doit se faire de façon efficace par les observateurs scientifiques. Ils doivent être encadrés par la loi camerounaise pour travailler de façon objective. Avec cette évaluation, on pourra élaborer un plan de gestion ou des mesures qui favorisent une pêche durable. Comme par exemple, réguler le nombre de bateaux et des embarcations. Pourquoi ne pas valoriser des milliers de poissons qu’on déverse en mer ? Dans une étude que j’ai réalisée en 2019, j’ai trouvé près de 48 tonnes pour une marée (durée de séjour en mer). Les résultats de cette étude montrent que le taux de rejet en mer varie entre 40 et 92%.

Comment expliquer le déficit de poisson sur le marché actuellement ?

Il faut faire un état des lieux et évaluer la pêche illicite non-déclarée et non rapportée. Dans ce cas, on pêche dans les zones interdites, on fait des exploitations clandestines. Automatiquement, il y a des répercussions sur le marché local. Or on détruit des ressources que les gens pouvaient consommer en versant tout en mer. Il y a aussi la croissance démographique, et si on ne fait pas une corrélation entre la croissance démographique et la productivité économique, automatiquement sur le marché on va voir qu’il y a des pénuries. Sauf que les pénuries sont parfois très ambiguës. Il y a des individus qui font des exportations illicites. Le manque de statistiques est un handicap. Si on mettait toutes ces données ensemble, elles seraient au-dessus de la quantité de production par rapport à la demande apparente. Un état des lieux est nécessaire pour combler certaines lacunes.

 Réalisé par MLM.

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