Covid-19 : A Kye-Ossi, près de 60% de commerçants ferment boutique
Source: Douane/DataViz by ADISI-Cameroun

Avec la fermeture des frontières du fait de la crise sanitaire, cette ville transfrontalière du Cameroun avec le Gabon et la Guinée Equatoriale connaît des difficultés économiques importantes, avec des secteurs d’activités qui ne fonctionnent plus qu’à 5%.

Le marché de Kyé-Ossi situé dans le département de la Vallée du Ntem, région du Sud, se vide un peu plus chaque jour. Au fil des semaines et des mois, le plus grand espace commercial dans la région du Sud voit ses boutiques se fermer les unes après les autres. Les propriétaires étant à bout, préfèrent jeter l’éponge, apprend-on de Gibrille Afoudo, président du Syndicat des commerçants du marché de Kyé-Ossi.

Un tour dans ledit marché le mercredi 24 février 2021, confirme ses propos. L’arrière du marché s’est complètement vidé. Certaines boutiques sont déjà envahies par des herbes. Pour un marché de près de 2600 commerçants, près de 1000 d’entre eux ont mis la clé sous le paillasson, apprend-on de Jean Marie Zue Zue, le maire de la commune de Kye-Ossi. « 50% voire 60% des commerçants ont fermé », soutient Gibrille Afoudo sur un ton désolé. Une situation consécutive à la fermeture des frontières avec les pays voisins, du fait de la crise sanitaire.

Source: Douane/DataViz by ADISI-Cameroun

Difficile d’en être autrement dans ce marché dont la clientèle est essentiellement gabonaise et guinéenne. « Nous vivons dans une zone transfrontalière et nous avons 95% des clients qui viennent de l’extérieur. Avec les frontières fermées, on ne fait pratiquement plus rien ici au marché. On passe juste le temps pour ne pas rester à la maison dormir », révèle le président du syndicat des commerçants.

Mama Pentagone n’est pas mieux lotie. L’activité de cette propriétaire d’un bar-restaurant est en chute. « Avant la crise et la fermeture des frontières que ça entraîné, je faisais environ 60 plats par jour. Aujourd’hui, je ne fais plus que 07 plats de poisson pour une journée », renseigne la restauratrice. « Dès lors, je considère cela comme le repas de la maison puisque à cause de cette situation, nous avons envoyé tous les enfants au village. Je ne suis là qu’avec mon mari. Je sais que sur les 07 plats, lui et moi allons manger 02 et je peux vendre les 05 autres », poursuit notre interlocutrice, non sans préciser que les conditions de vie se dégradent un peu plus chaque jour.

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La situation est tout aussi peu reluisante du côté de Isidore Pokam, opérateur économique installé à Kye-Ossi depuis 2009. Celui qui s’est spécialisé dans la vente en gros et détail de la friperie et des voitures avoue n’avoir jamais connu une période aussi difficile dans ses activités que celle qu’il traverse actuellement depuis la survenue de la pandémie. Propriétaire de trois shoppings jusqu’à tout récemment, tous sont fermés aujourd’hui. C’est à l’entrée du local qui lui servait jusqu’ici de bureau qu’il a accroché quelques vêtements.

Pertes financières

Pour ce chef de famille, on ne parle plus de pertes, mais de chutes. « On a connu des petites crises. Surtout les fermetures intempestives de la frontière guinéenne. Mais en ce moment, avec cette histoire de Covid-19, tout devient difficile. Nous sommes totalement à genoux », confie Isidore. Il poursuit : « la Guinée a fermé ses frontières un an avant la Covid. Donc la relation commerciale entre la Guinée et le Cameroun avant la Covid-19 n’était plus vraiment comme avant. A Kye-Ossi, on vivait uniquement des revenus entre le Cameroun et le Gabon, puisque ce dernier était encore fonctionnel avant la Covid-19. Mais à cause de cette crise sanitaire, le Gabon a fermé ses frontières. Le Cameroun aussi. Tout est resté en stand-by. Il n’y a peut-être que ceux qui font dans les vivres qui peuvent dire qu’ils s’en sortent. Mais pour nous autres qui faisons dans les autres domaines, tout est bloqué ».

Seulement, même le secteur des vivres et notamment de l’approvisionnement est en baisse d’activités. Chauffeur-routier gabonais sur l’axe Kye-Ossi- Libreville, Boniface Tengue a vu ses voyages passer de 3, voire 4 par semaine à juste 2 depuis l’arrivée de la maladie. Bien plus, « il y a des semaines où on ne voyage pas. Je dis, même pas un seul voyage », lance celui qui exerce ce métier depuis 14 ans déjà. Conséquence, « actuellement, les avantages qu’on avait selon les voyages, on ne les a plus (…) Les salaires ont baissé de moitié je dirai. Avant, on avait des payes entre 500.000 F Cfa et 600.000 F Cfa. Mais maintenant, c’est la moitié qu’on te donne ».

Douane

La douane n’est pas épargnée. D’après Armand Mvele Ella, le chef de bureau des douanes de Kye-Ossi, depuis l’arrivée de la Covid-19 jusqu’à ce jour, le flux des personnes et des biens (c’est-à-dire des marchandises en ce qui concerne la douane) a considérablement baissé. « Lorsque les frontières sont fermées, ça veut dire que les marchandises ne circulent pas. Et si les marchandises ne circulent pas, ça veut dire que l’activité économique est en baisse. Si l’activité économique est en baisse, bien évidemment, les recettes fiscales et douanières aussi seront en baisse », explique Armand Mvele Ella.

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D’après toutes les personnes rencontrées, il devient difficile de vivre dans cette ville transfrontalière. Ils en veulent pour preuve, les déménagements quotidiens des habitants de la ville. « A Kye-Ossi je ne sais pas si je vais dire qu’on vit. On survit juste. C’est trop fort. Les gens quittent la ville tous les jours. Certains sont obligés de vendre leurs choses pour payer le transport », explique Raoul Kamto, qui exerce dans le secteur du transbordement des marchandises. « Avant la crise, je ne pouvais pas manquer 500.000 F Cfa par mois après avoir dégagé les charges. Donc 500.000 FCFA de bénéfice », a estimé Isidore. Et d’ajouter, « mais aujourd’hui, je suis dans le capital. Alors, pour le manque à gagner, on se refuse d’y penser parce que si on y pense, l’Avc (Accident vasculaire cérébral, NdlR) peut être à côté ».

Source: Douane/DataViz by ADISI-Cameroun

Du côté des commerçants du marché aussi, les pertes sont importantes. « Le chiffre d’affaires a chuté de 95% », a déclaré Gibrille Afoudo. Il ajoute, « avant le coronavirus, je faisais des recettes à hauteur de 800.00 F Cfa et jusqu’à 1.000.000 F Cfa par semaine. Mais aujourd’hui, pour avoir 200. 000 Fcfa, il faut passer 2 à 3 semaines. Donc en une semaine, je fais une recette de moins de 100.000 F Cfa ». Avec la résurgence de la maladie, la situation s’aggrave dans cette ville frontalière qui relie trois pays de la sous-région Cemac. Beaucoup s’accordent à dire que depuis le début de cette année, la situation va de mal en pire. Tous appellent à l’ouverture des frontières pour une reprise normale des activités économiques et commerciales dans cette ville des trois frontières.

Marthe NDIANG et Marie Louise MAMGUE, de retour de Kye-Ossi

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