Covid-19 : Les minorités Baka de l’Est malades de la « pandémie » économique
Une vue du campement de Mayos

Jusqu’ici épargné de la maladie, ce peuple de pygmées, environ 700, subit néanmoins un ralentissement de leurs activités commerciales en raison de la réduction de la mobilité de leurs clients.

Il faut rouler une vingtaine de minutes après la sortie de la route principale qui mène à Bertoua dans la région de l’Est, pour atteindre le campement du peuple Baka de Mayos situé à environ 15 kilomètres de la commune de Dimako, qui compte environ 15 mille habitants. Une piste non goudronnée, qui relie ce peuple de la forêt au reste de l’arrondissement, parsemée de nids-de-poule, entourée de forêt et de plantations agricoles.

Le campement qui se cache derrière une étendue boisée, abrite une communauté d’environs 700 âmes. Une centaine de maisons majoritairement construites en planche et en terre battue y sont agglutinées. Exception faite pour la seule école du coin, l’école publique de Mayos, l’église du village, le musée et la maison de la conseillère municipale, par ailleurs ex-chanteuse vedette du groupe Patengue, qui se distinguent par des bâtisses modernes.

Il est environ 16 heures ce jeudi 25 mars 2021, et les femmes s’activent dans leurs tâches domestiques.  Les hommes eux, vont et viennent dans le camp pour certains, ou s’attèlent à une tâche domestique. Tandis que les plus jeunes, sont soit sous l’arbre à palabre du coin, soit en train de jouer au football dans la cour de l’école.

Mesures barrières

Ici, personne n’arbore de cache-nez et aucune distanciation physique n’est respectée. Pourtant ils ont été sensibilisés sur le respect des mesures barrières prescrites dans le cadre de la riposte contre la maladie à Coronavirus. « On nous a conseillés de laver les mains avec le savon et l’eau coulant, de porter les masques. Nous encourageons la communauté de se laver régulièrement les mains. II y en a qui respectent cela, et d’autres pas. », explique Dieudonné Noutcheguenou, Chef de 3e degré de Mayos.

Source: Bucrep/DataViz by ADISI-Cameroun

Selon lui, les habitants estiment que ces mesures ne concernent que les citadins, d’où la négligence des mesures barrières. Pourtant, « Dimako est sur le corridor Douala-Bangui, Douala-Ndjamena et ainsi de suite. Donc à Dimako on peut très bien chopper une tare qui vient de l’Europe ou qui vient des autres pays avoisinants à travers la route nationale N°10 », souligne Yves Tokambou Nteme, maire de la commune de Dimako.

A l’en croire, ce relâchement s’explique par le fait que le campement n’a encore eu aucun cas de Covid-19, une particularité pour ces minorités. « Les peuples autochtones de l’Est Cameroun pour l’instant sont encore hors de portée des vagues de contamination. Ceci est surtout dû à l’enclavement de certaines de leurs communautés. En effet, en dehors de quelques agglomérations proches de centres urbains, la majorité des Baka vivent dans des localités très excentrées, ce qui résume la nécessité de la distanciation sociale entre les communautés. Aucun cas de Covid-19 n’a encore été déclaré chez les peuples autochtones des forêts », souligne Venant Messe, coordinateur de l’Ong Okani, une organisation qui milite pour le respect des droits, de l’équité et l’épanouissement des peuples autochtones des forêts.

Une vue du campement de Mayos

La régularité dans le respect des mesures barrières, précise Venant Messe, n’a plus la même intensité que lors de la survenue de la pandémie. « Le relâchement a été aussi observé comme chez les autres maillons de la communauté nationale suite à la mauvaise information véhiculée par les oiseaux de mauvais augure. Les seaux ont été mis de côté, le port des cache-nez n’est plus le souci des Baka par exemple », indique-t-il.

 Pourtant, comme le souligne le chef de Mayos, tout le monde doit respecter les instructions données lorsqu’une maladie frappe le pays. « Même si on est dans l’arrière-pays, on doit les respecter », instruit cette autorité traditionnelle qui a également préparé une potion faites d’écorces pour contrecarrer la Covid-19 et toute autre maladie opportune. La tisane « Gouga » est consommée ici par tous (hommes, femmes et enfants), au seul regret que comme pour les mesures barrières, tout le monde n’en prend pas comme prescrit.

Difficultés économiques

Même s’ils sont épargnés de la maladie, ces autochtones connaissent des difficultés économiques comme partout ailleurs au Cameroun. Notamment le ralentissement des activités commerciales en raison de la réduction de la mobilité. Les communautés qui ont opté pour le confinement en forêt ont ainsi vu leur économie chutée, laisse entendre Venant Messe, parce que leurs principaux clients qui viennent des villes voisines ont retreint leur déplacement vers les différents campements.  « Les gens ont peur de venir au village, et nos plantains pourrissent parce que nous n’avons plus d’acheteurs », souligne Dieudonné Noutcheguenou.

Avec un revenu mensuel estimé entre 200 000 à 400 000 F Cfa avant la pandémie, ce polygame et père de 7 enfants peine désormais à réaliser le même rendement. « Le commerce se limite au village, du coup le rendement n’est pas le même que lorsque les revendeurs viennent s’approvisionner ici », déplore le Chef.

Cependant, souligne l’Ong Okani, l’impact de la Covid-19 n’a pas été quantifiée de manière scientifique chez ces minorités de la région de l’Est. « Il était très fastidieux de compter en quelques sorte la différence entre les visiteurs dans les communautés avant et pendant la survenue de la pandémie », souligne l’Ong.

Réputée pour leur pharmacopée traditionnelle, la Covid-19 a néanmoins attiré dans ces campements de pygmées, une autre catégorie de visiteurs, des tradipraticiens pour la plupart. Leur objectif est de trouver des solutions miracles pour lutter contre la Covid-19.

Travaux réalisés dans le cadre du projet « Accès à l’information en période de Covid-19 au Cameroun avec le soutien de Free Press Unlimited ».

Michèle EBONGUE, de retour de Mayos

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