Covid-19 : Plus d’une centaine de personnels à la tâche sans salaire
Source : Rapport de situation COVID-19 au Cameroun du 03/02/2021/DataViz by ADISI-Cameroun

Exposés au risque de contamination, aux menaces de la population et à la psychose, la centaine de personnels mobilisés pour limiter la progradation de la pandémie Covid-19 à Douala, cumulent près de 10 mois d’arriérés de salaire. 

« Nous avons eu des personnes qui nous ont promis la mort, qui nous ont menacé, qui ont contesté leur test ou qui nous ont tout simplement accusé de fabriquer de faux tests pour les corrompre… » La liste est loin d’être exhaustive, mais Dr Vanessa Njewel, médecin épidémiologiste s’y est habituée avec le temps. Affectée dans l’équipe dédiée dans la réponse contre la Covid-19 dans le district de santé de Mbangue, l’un des 9 districts du département de Wouri, région du Littoral, cette épidémiologiste doit se plier en quatre au quotidien, pour satisfaire avec son équipe, la centaine de personnes, en moyenne, qui sollicitent leur service.

Installée derrière son bureau aménagé au « Parcours vitae » à Bonamoussadi pour la circonstance, le vendredi 5 février 2021, ce médecin navigue entre son téléphone portable et l’ordinateur installé sur la table. En face d’elle, une collaboratrice qui reçoit ses instructions. Elle s’assure que les prélèvements des deux cents volontaires au test de dépistage de la Covid-19 effectués dans la matinée sont transportés dans de bonnes conditions à l’hôpital général de Douala pour les analyses.

     Source : Rapport de situation COVID-19 au Cameroun du 03/02/2021/DataViz by ADISI-Cameroun

Il est un peu plus de 12 heures, une dizaine de visiteurs installés dans la salle sollicitent les tests, ou le retrait de leur résultat. L’équipe de près de 11 personnes, est au four et au moulin. Dr Njewel, reçoit, renseigne, et oriente les visiteurs. Les échanges ne sont pas toujours pacifiques, mais elle use du tact pour calmer les interlocuteurs incompréhensifs. « Le fait que nous soyons juste une équipe de prélèvement, nous expose. Nous avons des gens qui sont prêts à nous tuer parce qu’ils veulent leur résultat alors que nous sommes juste des intermédiaires », déplore l’épidémiologiste.

Menaces

Dr Njewel fait partie de la centaine de personnels mobilisé par le ministère de la Santé publique dans la réponse contre la Covid-19 dans le Littoral. Ce sont des médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants, hygiénistes, brancardiers, techniciens en maintenance biomédicale, chauffeurs, informaticiens, etc. « On se disait que la maladie ne doit pas arriver chez nous, jusqu’à ce que le premier cas soit signalé à Yaoundé. Nous nous sommes adaptés à la situation avec l’appui des différentes hiérarchies. C’était le moment de choisir, soit on est dans la bataille ou pas », affirme Chimen Gwet, administrateur principal de santé.

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Malgré la psychose, cette mère de trois enfants a dû s’armer de courage pour faire face au défi sanitaire dans le district de santé de New-bell. Une bataille qui implique de longue journée de travail. « C’était vraiment pénible. Pour une mère très attentionnée, je me suis sentie très éloignée de mes enfants. Mais ce qui me rassurait c’est que c’était pour la bonne cause. Je devais rester disponible en cas de besoin, quelle qu’en soit l’heure. Je recevais des coups de fil à minuit, parfois au-delà pour gérer des cas urgents », dit-elle. A sa suite, renchérit Dr Etoa Mebara, Chef de district de sante de new-Bell : « Dans la phase intensive, on n’avait pas de sommeil. »

En pleine crise, leur bataille n’est pas seulement portée contre la pandémie, mais aussi contre certaines menaces externes. « Nous avons eu beaucoup de violence dans la communauté. Entre les patients testés positifs au SARS-CoV-2 qui refusent leur statut et les familles qui s’opposent à l’inhumation de leur proche contaminé, les choses n’ont pas été faciles », souligne cet administrateur principal de santé qui se réjouit du fait que le comportement de la communauté s’est progressivement amélioré avec la sensibilisation.

Par contre, ce qui ne s’est pas amélioré c’est les conditions de travail de ces hommes et femmes engagés dans la réponse contre la Covid-19. Depuis bientôt un an, ces personnels n’ont reçu du gouvernement, ni salaire, ni prime. « Nous vivons parfois grâce à l’appui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui fait partie des partenaires de l’Etat », explique un infirmier.  Et d’ajouter : « l’Etat nous traite comme des marionnettes. Nous n’avons aucune information. On ne sait même pas si on doit être payé ou pas. C’est vraiment compliqué de courir autant de risque et de ne rien recevoir en retour alors que nous le méritons. Ceux parmi nous qui sont des fonctionnaires ont moins de problème, mais pour nous qui avons été recrutés spécialement dans le cadre de la crise c’est vraiment compliqué », déplore -t-il.

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Prise en charge

Dans un article publié la 18 septembre 2020 sur le site d’information « Pan African Medical Journal », Jean Valère Fokouo F. et Jean Jacques Noubiap, recommandent la création d’un 5e axe de riposte, la prise en charge du personnel.  « Cet axe comprendrait la prise en charge psychologique, médicale et financière des personnes directement impliquées dans la lutte contre la Covid-19 », disent-ils.  En effet, soulignent ces auteurs, les personnels directement en contact avec les cas suspects et les patients sont soumis à un stress intense lié au risque de contamination qu´ils encourent tous les jours. « La prise en charge multiforme des personnels varierait significativement d´un centre à un autre, et d´une région à une autre.  La disparité actuelle entretient un climat de suspicion et un sentiment d´injustice susceptible de démotiver les acteurs sur le terrain. Dans ce contexte, des mouvements d´humeur sont à craindre dans l´avenir », alertent ces docteurs.

C’est pourtant au risque de leur vie que ces personnels se déploient au quotidien. Entre la panique et la psychose, ils s’arment de courage pour être la hauteur des attentes. « J’ai eu la chance de ne pas être contaminée. Mais il y a des moments où j’ai paniqué. Je me rappelle un soir j’avais l’impression de ne pas bien respirer, je pensais à la Covid-19. J’ai dû faire les tests pour me rassurer », témoigne Dr Vanessa Njewel. Contrairement à elle, Dr Etoa Mebara fait partie de la première vague des personnes contaminées au Cameroun. « Beaucoup de personne ont paniqué, moi aussi. Je pense que le fait d’avoir été contaminé en premier, m’a permis de vaincre et de passer un message beaucoup plus accepté au niveau de la communauté en parlant de mon expérience », affirme Dr Etoa. Dans le Littoral, sur les 256 personnels de santé touchés, 5 sont décédés.

Travaux réalisés pour le compte du projet “Data and Check Covid-19” avec l’appui de l’AFD, Expertise France et CFI dans le cadre du PAGOF.

Marie Louise MAMGUE

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