« Depuis 2 mois, il y a une nouvelle molécule »

Dr Mbenoun Marthe-Liliane Médecin-infectiologue et Coordinatrice du Centre de traitement agréé (Cta) Vih/hépatites à l’hôpital Laquintinie de Douala apporte des explications sur la prise en charge des patients vivant avec le VIH Sida dans cette formation sanitaire.

Parlant de la prise en charge des Personnes vivant avec le VIH SIDA, quelle est la situation actuelle dans votre centre ?

Nous tournons autour de 5200 malades. Nous avons en charge les adultes et les enfants. La prise en charge est délocalisée et hospitalière.  La prise en charge délocalisée concerne des patients qui pour des raisons quelconques, désirent ne pas venir à l’hôpital. Nous nous déplaçons pour aller les servir à la maison. Et également, ici, nous sommes organisés de telle sorte qu’avant 7h30min, tout commence par l’accueil, suivi de l’information, éducation et communication tous les jours pour la bonne sensibilisation des malades, parce que chaque jour on a de nouveaux malades. Donc, il faudrait que tous aient la connaissance de la maladie. Une fois la sensibilisation faite, le malade passe aux paramètres. Il y en a qui avant d’aller voir le médecin, ont besoin d’un soutien psychosocial et on a des psychologues pour ça. Très souvent, ce sont des patients qui ne respectent pas leur rendez-vous, soit des patients qui ne prennent pas bien leur médicament sur la base des bilans qu’ils vont nous présenter. Après la consultation, ils vont passer récupérer leur médicament à la pharmacie et revenir pour un rendez-vous. Quand j’explique, c’est bien long, on dirait toute d’une journée, mais tout ce trajet ne leur prendra pas plus d’une heure de temps. C’est un challenge pour nous, ne pas faire attendre les malades à l’hôpital.

La présence à l’hôpital n’est pas toujours nécessaire ?

C’est l’une des raisons pour laquelle nous avons pris comme engagement d’aller vers eux. Il faut noter que le VIH est une maladie chronique, donc, on n’a pas toujours besoin de venir l’hôpital. Certes on a toujours besoin de faire son bilan annuel, mais une fois que le bilan annuel est bon, on n’a pas toujours besoin de voir son médecin.  Par contre on n’est pas encore arrivé au niveau où on va donner les médicaments aux malades pendant un an ou six mois. Tout dépend des disponibilités. Il y a des moments où on leur donne trois mois de traitement, on n’a plus besoin de les voir. Mais il y a des moments où, quand il y a les tensions de stock, on ne peut pas donner trois mois. Mais il n’y a pas des ruptures. Cependant, on ne peut pas se permettre de donner trois mois de peur de se retrouver dans les ruptures de traitement. Pour ce genre de patients qui n’ont pas toujours besoin de voir le médecin, nous avons ce qu’on appelle les agents psychosociaux, qui se plaisent bien à aller vers les malades et leur donner des médicaments selon le lieu et leur convenance.

La pandémie de Covid-19 a-t-elle encore des répercussions sur le suivi des malades ?

C’est vrai qu’au début de la pandémie, les malades ne venaient pas à l’hôpital parce qu’ils croyaient que c’est à l’hôpital qu’ils allaient contracter le virus. C’est delà que nous est venue l’idée de délocaliser la prise en charge. Quand un malade ne vient pas au rendez-vous, il ne prend pas ses médicaments. On se retrouve dans une situation qu’on appelle, mauvaise observance. Et qui dit mauvaise observance, dit échec thérapeutique. Quand on est face aux échecs thérapeutiques, on crée des résistances aux antirétroviraux, et ce n’est pas bon.  Donc, ayant constaté que les malades ne sont plus réguliers à l’hôpital et ne respectent pas leur rendez-vous, nous avons changé la stratégie de dispensation des médicaments. On a opté d’aller vers les malades pour leur donner des médicaments.

Comment se passe la prise en charge pédiatrique ?

Les enfants nécessitent une éducation permanente. Les enfants doivent se faire encadrer par leur parent. On a plusieurs catégories d’enfants, parmi lesquelles, des orphelins qui vivent dans les orphelinats, chez des oncles et tantes en famille, qui ne sont pas avec leur parent. L’engagement de leur tuteur n’est pas toujours pareil, il diffère. Ce sont des enfants que nous allons encadrer permanemment, pour qu’ils n’abandonnent pas leur traitement.  Même avant d’arriver au niveau de traitement, il faut qu’ils sachent de quoi ils souffrent. Et là encore c’est un autre problème. Comment lui annoncer son diagnostic ? C’est vrai qu’avec l’équipe mise en place, il y a une stratégie d’annonce de diagnostic et l’enfant à partir de l’âge de 14 ans, devrait déjà connaître son statut. En dehors des tous petits qui se font accompagner par leur parent jusqu’à l’annonce du diagnostic, il y a aussi les adolescents. Et avec la crise d’adolescence, ce n’est toujours facile.  Nous avons des difficultés au niveau de la connaissance du diagnostic, au niveau de l’observance au traitement. Voilà les deux problèmes majeurs qui se posent chez les enfants. Malheureusement ce sont des enfants, qui demain seront adultes, donc, on est obligé de mettre toutes les stratégies en place pour les accompagner et pour qu’ils vivent normalement leur séropositivité.

Combien d’enfants sont enregistrés dans votre centre ?  

Nous tournons autour de 350 enfants infectés. Nous avons des enfants exposés, qui sont nés de mères séropositives, qui après un test de confirmation et d’infirmation qui se fait à 18 mois, quitte le cadre des enfants exposés pour venir chez les enfants infectés. En ce qui concerne les enfants exposés nous en avons environ 60 cette année, qui sont en attente de leur diagnostic définitif. Depuis pratiquement 5 ans, c’est un succès pour nous, nous n’avons pratiquement plus enregistré d’enfants exposés, qui soient devenus positifs.  Donc, s’il faut le dire, c’est une grande victoire dans la prise en charge pédiatrique. Ce sont des enfants nés de mères séropositives, qui heureusement, grâce à la prise en charge que nous avons apportée à leur maman, n’ont pas été contaminés.

Vous avez adopté plusieurs stratégies pour améliorer la prise en charge pédiatrique…

Nous avons des groupes de soutien qui sont comme des séances d’éducation thérapeutiques, qui se tiennent le mercredi et le samedi. Ces groupes diffèrent selon l’âge. Les enfants sont aussi repartis selon qu’ils prennent bien le traitement ou pas. Dans le groupe des adolescents, il y a les champions qui sont des leaders, qui se comportent bien. Ils soutiennent les tous petits. Nous avons des psychologues en place, qui sont la pièce maitresse dans la prise en charge et les agents psychosociaux. Donc c’est ainsi que nous avons organisé la prise en charge pédiatrique.

Qu’est-ce qui peut expliquer le fait qu’une maman abandonne le traitement de son enfant ?

 Les enfants que nous avons en charge viennent de différents coins.   Il y a des orphelins qui vivent dans les orphelinats ou en famille, les enfants de la rue… Cette différence fait que la prise en charge ne peut pas être la même. Quand une maman décide de ne pas donner le traitement à son enfant, il faut premièrement chercher à savoir si elle-même a accepté son traitement, parce que l’enfant, à quelques exceptions près, est né de mères séropositives. Donc, si l’arrêt ou la mauvaise observance du traitement d’un enfant vient de sa mère, ça veut dire que la mère elle-même n’a pas accepté le traitement. Par contre ces enfants peuvent refuser le médicament à cause de son mauvais goût. La maman donne, et il crache. C’est des cas que nous avons très régulièrement. La chance que nous avons, c’est que depuis pratiquement 2 mois, il y a une nouvelle molécule qui a une autorisation de mise sur le marché, dont on peut déjà le partager. Je crois que tous nos enfants le prennent, il a bon goût, il n’est pas amer et sa prise est plus facile que les autres. Donc, on se dit qu’avec cette nouvelle molécule, l’observance sera bonne.

Qu’est-ce qu’il faut pour améliorer la prise en charge des enfants?

Pour améliorer la prise en charge des enfants, la sensibilisation des parents est très importante. Parce que ce sont les parents qui nous amènent les enfants. On est dans un contexte où on croit encore au mauvais sort que les familles peuvent nous jeter. Et pour beaucoup de parents, quand l’enfant est malade, ils pensent qu’on lui a jeté un mauvais sort. Donc, il faut beaucoup sensibiliser les parents. Dès qu’ils sont sensibilisés, on sait qu’on va gagner plus de 80% parce qu’ils vont nous accompagner dans la prise en charge. Quand l’enfant ne prend pas son traitement, le parent lui-même va nous dire, et ensemble on commence à élaborer les autres stratégies. Donc, les interventions du psychologue, des mères mentors, les groupes de soutien, les enfants champions… Tous ceux qui peuvent apporter un espoir à cet enfant, va entrer dans le jeu.

Propos recueillis par M.L.M. 

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