[Enquête]/Education : Comment les reformes de Pauline Nalova Lyonga battent de l’aile

5 ans après l’une des reformes sensées révolutionner l’enseignement secondaire au Cameroun, des indicateurs soutiennent que le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. Sur le terrain, le constat est désolant.

Le 23 août 2018, le gouvernement à travers le ministère des enseignements secondaires annonçait la réforme des programmes scolaires du second cycle de l’enseignement secondaire général. L’arrêté n° 227/18/MINESEC/IGE du 23 août 2018, indiquait précisément que « le second cycle de l’enseignement secondaire général comprendrait dorénavant quatre séries : les séries Littéraires : A1, A2, A3, A4, A5 et ABI (Bilingue), les séries Scientifiques et Technologiques : C, D et TI ; la série Sciences Humaines : (SH) et la série Arts et Cinématographiques (AC) ». Le ministère des Enseignements Secondaires disait vouloir accentuer la « spécialisation » des élèves. Six domaines d’apprentissage constitués de 27 disciplines venaient enrichir l’offre de programmes scolaires.

Par contre, la décision de la ministre Pauline Nalova Lyonga prévoyait qu’en série A4, les élèves des classes de seconde, première et terminale, n’étudient plus les Sciences de la vie et de la terre (Svt) et la Physique-Chimie (PC). Leurs camarades  de la  série D ne devaient plus recevoir les cours d’Histoire. Idem pour ceux de Première C. Les élèves de Terminale C pour leur part ne suivront plus les cours de Géographie.

Chômage

La mise en place des réformes de la fin  août 2019 devait se faire de manière graduelle. Elle commençait en septembre 2018 (pour le compte de l’année scolaire 2018-2019) par les classes de Seconde. Depuis septembre 2019, les classes de première ont pris le relais. L’année  scolaire 2020-2021 verra les Terminales boucler la boucle.

En implémentant cette réforme, le gouvernement dit vouloir professionnaliser les enseignements afin de permettre aux apprenants qui vont sortir du système éducatif camerounais de posséder des éléments de compétence. Il est question, explique un responsable du ministère des enseignements secondaires en poste à Douala, de créer « des nouvelles filières qui répondent aux attentes de la société ».  Notre interlocuteur ajoute que le Cameroun, pays en voie de développement, cherche de cette façon les voies, moyens et stratégies pour lutter contre le chômage et assurer son développement.

Les mesures de 2018 rejoignent celle de 2014 qui ont vu l’instauration dans le système éducatif camerounais d’un type d’enseignement appelé « approche par compétence » (APC). Celle-ci vise à donner à l’apprenant les compétences nécessaires pour faire face aux situations qu’il affronte dans son environnement (situations de vie, de travail, sociale). Dans l’enseignement technique par exemple il existe l’école par alternance.  L’enfant passe du temps entre l’entreprise et son établissement scolaire. Les enseignants bénéficient de stages en entreprise pour calquer dans leurs enseignements. La première cuvée de cette réforme est sur le terrain depuis l’année 2016.

L’application des réformes comme l’APC connaît toutefois des écueils. Léopold Blaise Mbitkwi, l’inspecteur coordonnateur chargé des techniques industrielles pour le Littoral pointe quelques obstacles.  « Il faut des préalables dans l’application. Je vous parlerai par exemple de l’approche par les compétences. Dans cette approche l’enseignant doit faire face à un nombre d’élèves bien défini. Or compte tenu de la pression démographique de notre société, on n’arrive pas toujours à respecter l’effectif qu’il faut pour atteindre cet objectif. Parce que l’approche par la compétence nécessite des objectifs bien cadrés », souligne-t-il avant de poursuivre : « l’autre difficulté ce sont les plateaux techniques. Il faut le dire sans ambages, la formation en enseignement technique nécessite des moyens et l’appui technique dans nos établissements. Ce qu’on ne trouve pas toujours. Mais l’Etat fait quand même des efforts pour doter les établissements scolaires des plateaux techniques nécessaires pour faire acquérir à nos apprenants les compétences nécessaires pour leur insertion dans leur environnement ».

Un enseignant d’un établissement privé de Douala que nous avons interviewé déplore pour sa part le défaut de moyens logistiques. Jean-Michel Djandja estime qu’il faut qu’il y ait le matériel de travail adéquat et beaucoup d’autres mesures d’accompagnement pour réussir les réformes ainsi enclenchées. « L’enfant dans une telle réforme doit pouvoir s’exprimer à partir de ce qu’il a comme outils. Un enfant qui n’a pas les documents, qui ne peut pas faire ses photocopies, qui ne peut pas faire ses recherches sur Internet est en retrait dans tous les cas », constate-t-il. Il n’est pas le seul à penser que l’on a mis la charrue avant les bœufs en ce qui concerne la transformation  du système éducatif du Cameroun en vue de lutter contre le chômage et développer le pays.

Une réforme à problème

Une enquête de l’organisation non gouvernementale Cameroon Youths and Students’ Forum for Peace (CAMYOSFOP) réalisée en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert (FES) en 2013 le relevait.  « Réformer le secteur de l’éducation sans passer simultanément par une transformation structurelle de l’économie camerounaise pour la création de nouveaux emplois n’entrainera pas une baisse du chômage des jeunes. L’engagement limité de renforcer la capacité entrepreneuriale des jeunes en vue de créer l’auto-emploi est suicidaire pour l’emploi, surtout dans un pays en développement comme le Cameroun dont le secteur privé est principalement constitué de petites et moyennes entreprises (PME) et d’un vaste secteur informel », lit-on. Le rapport d’enquête suggère de réformer le secteur éducatif pour qu’il aille de pair avec la transformation économique souhaitée, par la valorisation de l’agriculture, en améliorant le processus de passage de la production à la commercialisation. Le but étant, soulignent les enquêteurs,  de renforcer les capacités des jeunes dans le domaine des professions liées à l’agriculture telles que les processus de transformation des produits agricoles, les techniciens d’agriculture, les ingénieurs agronomes et bien d’autres pour accélérer le processus de transformation de l’agriculture camerounaise en une chaine de valeurs.

Le Syndicat National Autonome des Enseignants du Secondaire (SNAES) lui non plus ne voit pas d’un bon œil les réformes. Du moins pour ce qui concerne l’Approche par compétence.Dans un article paru sur son site Internet le 2 septembre 2018, il émet des réserves.  « L’APC entre au second cycle avec de nouveaux programmes, mais enseignants comme parents, personne ne sait si au bout de quatre années, cette méthode a été évaluée et quels ont été le cas échéant les résultats de cette évaluation (…)  Son ambition fondamentale de s’attaquer aux savoirs en leur substituant les savoir-faire, de transformer les enseignants en simples facilitateurs, eux qui étaient des passeurs de cultures, cadre avec une vision marchande de l’éducation qui recycle subtilement les théories tayloriste et behaviouristes du début du XXe siècle, derrière lesquelles il y avait la volonté de diviser le travail. ».

Le SNAES se demande si le choix du gouvernement est conforme à son choix. Il déplore le fait que « quatre ans après l’introduction de l’APC, les enseignants n’ont toujours pas bénéficié d’un recyclage sérieux leur permettant d’apprivoiser les concepts ni la pratique de cette méthode ».

Pierre Arnaud NTCHAPDA