Gouvernance : « Les finances publiques sont le plus grand enjeu démocratique de notre temps »

Gouvernance : « Les finances publiques sont le plus grand enjeu démocratique de notre temps »

Auteur du livre intitulé, « Le contrôle citoyen des finances publiques en Afrique : réflexion sur les cadres harmonisés de la CEMAC et de l’UEMOA », Dr Daniel Efangon, diplomate et chercheur sur les questions de gouvernance financière publique fait une analyse des enjeux des finances publiques en Afrique dans cet entretien accordé à DataCameroon Gouvernance finances publiques et enjeu démocratique.

Vous venez de publier un ouvrage aux éditions l’Harmattan intitulé « Le contrôle citoyen des finances publiques en Afrique : réflexion sur les cadres harmonisés de la CEMAC et de l’UEMOA ». Quel est le constat global qui se dégage ?

Plus que par le passé, la gouvernance des finances publiques et dans une certaine mesure des finances privées au XXIème siècle, se caractérisent par une exigence de plus en plus croissante de la transparence, de la reddition des comptes, ainsi que de l’implication du citoyen. C’est un mouvement global, qui n’épargne pas l’Afrique, qui plus est subsaharienne francophone.

Cet état des choses procède d’une double crise. D’une part, la démocratie représentative traverse une crise profonde et une contestation politique évidente. Et plusieurs observateurs et grands praticiens de la gouvernance des finances publiques font le même constat.

D’autre part, cette première crise se combine au divorce aujourd’hui observé entre la démocratie et le néo-libéralisme. Concrètement, il y a comme une crise de confiance, un lien politique distendu, entre le peuple électeur, et ses élus, dont quelques-unes des implications sont : un abstentionnisme électoral qui bat des records, un incivisme fiscal qui cause des manques à gagner considérables à l’Etat et qui par voie de conséquence affaiblit ce dernier, une explosion du secteur informel aux niches fiscales diverses, échappant au contrôle du fisc, etc.

L’autre dynamique nageant à contre-courant, en réaction aux deux crises sus-évoquées, est l’idée qui fait de plus en plus recette aujourd’hui, aussi bien dans une frange des doctrinaires que des praticiens : celle d’un retour à la démocratie directe. Le citoyen veut par lui-même, effectuer le contrôle et demander des comptes. Cette dynamique fait tout de suite penser aux articles 14 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui dans une certaine mesure, consacrent en matière de finances publiques, la primauté de la démocratie directe sur celle représentative.

Pour le Président Emmanuel Macron, « chaque citoyen a désormais la conscience aigüe que l’argent public est pour une part son argent. La bonne gestion des finances publiques est devenue la première expression du sens de l’intérêt général et donc le premier devoir d’un gouvernement ». Abdoulaye Hassane Diallo dira dans le même ordre d’idées, qu’« Il faut rendre compte à qui de droit, c’est-à-dire au peuple qui paie les impôts et qui doit être rassuré quant à la répartition de ces ressources  (…) Le citoyen a besoin et a le droit de savoir où va l’État qu’il a mis en place pour le gouverner, parce qu’une communauté doit fonder son bien-être sur une équipe dirigeante qui contrôle tout dans la transparence. ».

Les affirmations qui précèdent trouvent un encrage normatif et pratique tant au niveau communautaire que national, dans l’espace subsaharien francophone. Le constat qui se dégage est celui de l’émergence, ou alors de la codification ou encore de la consolidation d’un contrôle citoyen des finances publiques, au sens strict du terme, toute forme d’intermédiation exclue. C’est à cette dimension citoyenne des finances publiques que s’intéresse l’ouvrage.

Gouvernance finances publiques et enjeu démocratique La participation citoyenne fait partie des quatre principes de l’OGP (Open Government Partnership), pensez-vous que c’est la chose la mieux partagée en Afrique notamment dans la démocratisation de nos États ?

Sans ambages, je dirai que le vase est à moitié plein et à moitié vide. Mais puisque la participation citoyenne, procède de la démocratie qui est un processus, il vaudrait mieux voir ledit vase à moitié plein, parce que la suite dépend de plusieurs facteurs, dont la pugnacité des citoyens et des organisations de la société civile n’est pas des moindres.

A l’analyse des cadres harmonisés de gestion des finances publiques de la CEMAC et de l’UEMOA (ainsi que des lois nationales qui transposent lesdites directives), et spécifiquement des directives portant code de transparence et de bonne gouvernance des finances publiques, l’on se rend à l’évidence que, le jurislateur communautaire s’est arrêté au stade embryonnaire de la participation citoyenne en matière de gouvernance des finances publiques à savoir : le droit à l’information. Or il est question d’aller plus loin, en structurant le mécanisme de participation citoyenne dans l’ensemble du cycle budgétaire et en mettant le citoyen (pour reprendre une disposition de la directive) en capacité de participer au processus. Ce qui fait allusion aux moyens d’action.

Nous observons çà et là, des expériences concrètes de participation citoyenne, au niveau local et national. L’expérience du budget citoyen quasi-généralisée en est un exemple. Plusieurs Etats à l’instar du Cameroun mettent déjà en application un certain nombre d’initiatives dont certaines découlent des directives communautaires. Il y a les mécanismes de participation citoyenne qui procèdent de l’intermédiation, avec l’implication des OSC dans les instances stratégiques de gouvernance des finances publiques au niveau du Ministère des finances, ou encore dans le contrôle de l’exécution physico-financière du Budget d’Investissement Public au niveau du Ministère de l’Economie. D’autres mécanismes font état d’une implication de masse, à travers notamment la publication systématique des certains documents important à l’instar du projet de loi de finances, du journal des projets, etc.

Les principes en matière de participation citoyenne énoncent l’accès à l’information comme un catalyseur du premier, avez-vous l’impression pendant vos recherches que c’est un frein à un bel exercice de la liberté d’expression et partant de sa liberté d’opinion ? 

Pour rester dans le champ de la gouvernance des finances publiques, il faut dire que les directives communautaires sont suffisamment claires là-dessus, et les Etats ont transposé lesdites directives dans leurs ordres juridiques respectifs : le citoyen a droit à l’information. Et si nous devons nous prononcer sur l’effectivité dudit droit à l’information, spécifiquement en matière de finances publiques, l’une des belles expériences en la matière est celle du Cameroun. Lorsque vous vous connectez sur le site de la Direction Général du Budget, vous vous rendez tout de suite compte que le site est à jour, et plusieurs informations importantes sont mises à la disposition du citoyen. C’est un secret de polichinelle, depuis quelques années, lors de la session parlementaire consacrée à l’examen et au vote de la loi de finances de l’Etat, le projet de loi de finances en question, publié dans le site du Ministère des Finances, circule également dans les réseaux sociaux. Il est mis à la disposition de tous les citoyens, sans discrimination aucune.

Puisque le volume, la technicité et la complexité des documents peuvent parfois traduire une volonté d’obstruction, donc d’atteinte au droit à l’information du citoyen, il y a des versions simplifiées de la loi de finances (le budget citoyen) et de la loi de règlement (les comptes pour tous). Ce qui traduit les efforts des pouvoirs publics, tout au moins de mettre l’information claire et intelligible, à la disposition du citoyen.

Cela dit, le manque d’information peut être considéré comme une atteinte à la liberté d’opinion. Mais ce n’est pas le cas en ce qui concerne les pays de l’Afrique Subsaharienne francophone à ce jour, s’agissant de la gouvernance des finances publiques. Le constat global qui se dégage est celui de l’effectivité de l’information du citoyen.

Pour davantage donner du contenu à la participation citoyenne et la liberté d’opinion, il est question d’aller beaucoup plus loin que l’information du citoyen, pour structurer les moyens d’action de ce dernier. Ce qui passe notamment par un cadre légal et règlementaire dédié, ainsi qu’une société civile pugnace.

Gouvernance finances publiques et enjeu démocratique Votre ouvrage est préfacé par le Ministre des finances dont le département ministériel promeut régulièrement ce qu’il appelle dans le jargon le « budget citoyen ». Est-ce une mode ou une approche efficace à votre avis ? 

Le « budget citoyen » est mis en œuvre, en application des directives cadres de la CEMAC, traduites au niveau national par la loi cadre de juillet 2018, portant régime financier de l’Etat et des autres entités publiques d’une part, et d’autre part par la loi cadre portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques.

Loin d’être un effet de mode, le budget citoyen traduit cette double volonté de donner l’information au citoyen et de simplifier ladite information, pour une meilleure compréhension du citoyen. Le budget citoyen participe de l’éducation et de la socialisation de masse, aux enjeux nationaux des finances publiques. Puisque la loi de finances traduit en langage budgétaire, les grandes orientations des politiques publiques de la Nation au courant d’un exercice, après le discours du Chef de l’Etat à la Nation le 31 décembre de chaque année, le budget citoyen est le deuxième document stratégique qui permet au citoyen de connaître les priorités annuelles de la Nation, ce qui est attendu de lui notamment en terme de contribution aux charges publiques, comment tout cela va affecter sa condition, son pouvoir d’achat, etc.  Donc, c’est une approche très efficace et je dirai même l’une des avancées majeures de la démocratie financière au Cameroun et dans plusieurs autres Etats qui pratiquent le budget citoyen à l’instar du Gabon, du Burkina Faso, du Sénégal, du Niger, etc.

Gouvernance finances publiques et enjeu démocratique La transparence budgétaire et financière est généralement théorisée comme le terreau fertile de la participation citoyenne. Avez-vous l’impression que nos Etats sont prompts à ouvrir les données financières et budgétaires pour favoriser cette transparence ? Sinon, qu’est-ce qui explique cela à votre avis ?

Je dirai même que la transparence budgétaire et financière est le point de départ et de chute de la participation citoyenne, parce que toute politique publique resterait lettre morte sans l’argent public. La participation citoyenne en matière de finances publiques est à mon sens celle qui prime sur toutes les autres, parce qu’elle permet d’avoir un regard sur toutes les politiques publiques à la fois.

C’est un fait qui à mon sens rend toute conjecture inutile, l’ouverture des données en matière budgétaire et financière connaît un niveau appréciable dans les pays de l’Afrique subsaharienne francophone. Certains Etats à l’instar du Cameroun vont plus loin, en rendant publique, la situation de la dette. Pas pour dire que tout est parfait en matière de transparence. Et les point d’ombre qui peuvent résister doivent faire l’objet d’un dialogue, d’un plaidoyer, d’une veille et d’une action permanente des citoyens et des organisations de la société civile.

Pour  finir,  quelles sont vos attentes à l’ issue de la publication de  cet ouvrage ?

A l’issue de la publication de cet ouvrage, je souhaite que les citoyens s’en approprient et le lisent. Il est écrit dans un langage simple et intelligible. Les finances publiques sont le plus grand enjeu démocratique de notre temps. Et dans le processus démocratique, tout – y compris le vote, la conquête du pouvoir, etc.- gravite autour des finances publiques. Les citoyens doivent donc davantage s’intéresser aux grands débats financiers, économiques et sociaux, qui conditionnent leur devenir, plutôt que de s’intéresser exclusivement aux débats civiques et politiques, encore que comme le rappelle le Professeur Michel Bouvier, les finances publiques sont d’essence politique.

Je le dis et je partage cette le point de vue du Professeur Nguele Abada Marcelin, les deux temps forts qui ont marqué le processus démocratique et par voie de conséquence, une bonne partie de la vie politique des Etats de l’Afrique Subsaharienne francophone sont : l’accès à l’indépendance dans les années 1960 pour la plupart et dans le début des années 1990, l’avènement du multipartisme. Et le constat qui se dégage de l’observation de ces deux périodes charnières est que, les débats se sont davantage cristallisés sur les droits civiques et politiques, au détriment des droits économiques et sociaux. Le champ heuristique n’a pas été épargné, avec notamment un foisonnement des réflexions le droit administratif et les constitutionnalismes africains. Le troisième temps à mon sens est celui de l’émergence d’une démocratie financière, davantage tournée vers les droits et devoirs économiques et sociaux des citoyens.

Pour y arriver, je voudrais souligner que, nous ne sommes pas pour la plupart, forcément des décideurs, mais je voudrais ici rappeler ces mots de Jean Jacques Rousseau, choisis en guise d’épitaphe à l’ouvrage : « Né citoyen d’un État libre, et membre du souverain, quelque faible que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire ». Telle devrait être notre prédisposition, à l’évocation du contrôle citoyen des finances publiques.

Entretien mené par Paul-Joel KAMTCHANG

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