Tension de trésorerie : 30 communes sur 34 en difficulté à l’Est

Employés et magistrats municipaux accumulent plus de 150 mois d’arriérés de salaire. La situation est devenue critique au point ou le personnel communal de Yokadouma a décidé d’observer un arrêt de travail depuis le mois de mars 2020.

Depuis près de 15 mois, la commune de Yokadouma chef-lieu du département de la Boumba-et-Ngoko à l’Est ne paie plus de salaires. Soit un cumule d’arriérés de 450 millions F Cfa, à raison de 30 millions F Cfa par mois. « Une somme que la commune ne peut pas payer d’un coup », souffle un cadre communal. Et pour cause, « la redevance forestière annuelle (Rfa), principale recette de cette municipalité s’est amincie au fil des années pour presque disparaître aujourd’hui ».

Selon des chiffres déclinés en mai 2012 par la délégation départementale des Forêts et de la Faune de la Boumba-et-Ngoko, la commune Yokadouma abritait 15 unités forestières d’aménagement (Ufa) reparties entre 10 sociétés sur une superficie totale de 823.982 hectares. Entre 2000 et 2011, elle a perçu près de 9,3 milliards de F Cfa de Rfa. « Aujourd’hui, nous avons à peine la moitié. Cela est dû à la baisse drastique de l’activité forestière frappée par les effets du Coronavirus et l’exploitation illégale. Nous ne comptons que sur les seuls centimes additionnels communaux (Cac) pour payer les salaires. Malheureusement, ils arrivent avec au moins deux trimestres de retard. Nos recettes propres sont de 3 millions F Cfa par mois. Soit le dixième de ce que nous devons débourser pour satisfaire seulement nos 300 agents », explique le maire, Ernest Timothée Abono Mpoumbiel.

Selon cet élu local, « lorsque la clé de répartition de cette recette prévoyait 50% pour l’Etat, 40% pour la commune et 10% pour les riverains, il était facile de gérer un certain nombre de dossiers sans exciper de la pauvreté. Mais avec la mise en application de la péréquation sur notre part, les communes forestières ne se retrouvent plus qu’à percevoir 20,6% de ce qu’elles avaient avant ». Bien plus, dit-il, « l’unicité des caisses de l’Etat est aussi une véritable plaie dans la gestion communale. C’est un système d’entonnoir qui fait du Trésor le seul redistributeur des recettes fiscales en ne tenant jamais compte des priorités des communes qui, entre autres, les génèrent. Il faut que l’Etat revoie cette politique qui nous étrangle ».

Des années sans salaire

La plupart des communes de cette région sont endettées vis-à-vis de leurs personnels. La courbe va de 28 à 03 mois d’arriérés de salaire. « Les agents communaux que nous sommes avons perdu notre dignité dans nos familles. Nombreux sont chassés de leurs maisons parce qu’ils ne parviennent plus à payer le loyer. D’autres ont vu leurs femmes les quitter. La scolarité de nos enfants qui est pourtant un droit n’est plus assurée. Trois de nos collègues ont déjà perdu la vie parce qu’ils étaient incapables de se faire soigner. Le dernier cas en date qui a suscité notre colère est le décès de Désiré Biokousso, survenu le 22 février dernier de suite d’une longue maladie », déplore un employé. Dans le département du Haut-Nyong, la commune de Doumaintang bat les records avec 28 mois de salaires impayés. Les communes de Nguélémendouka, Messok et de Somalomo accumulent chacune 07 mois d’arriérés de salaire. Dans la Kadey, la commune de Ouli cumule 11 mois d’arriérés, suivi de Batouri qui compte presque 09 mois. Les communes de Bertoua 1er, Ngoura, Diang, Kétté, Belabo, Ngoyla et Mandjou, pour ne citer que celles-là, cumule entre 06 et 03 mois de retard de salaire. Toutefois, certaines communes à l’instar de Garoua-Boulaï, Doumé, la Communauté urbaine de Bertoua et la commune de Bertoua 2e sortent du lot.

Digitalisation

D’après nos sources, les communes de l’Est dans leur immense majorité peinent à percevoir leurs CAC qui sont une ressource vitale pour leur fonctionnement. Pour justifier leurs arriérés de salaires, certains magistrats municipaux pointent un doigt accusateur sur la digitalisation des procédures fiscales à travers les déclarations en ligne initiée par la direction générale des impôts. Depuis le 1er avril 2021 que cette méthode de paiement est effective dans les centres départementaux des impôts du Lom-et-Djèrem à Bertoua, de Yokadouma, Batouri et d’Abong-Mbang, elle semble avoir eu un impact négatif sur les recettes municipales.

« Ce système de digitalisation n’a pas tenu compte des réalités locales de certaines localités de la région où l’énergie électrique est quasi inexistante. Il y a aussi l’analphabétisme des contribuables qui constituent un blocage », explique Adamou Abdon, maire de la commune de Garoua-Boulaï. Selon lui, «en 2021, la commune de Garoua-Boulaï n’a pu collecter que 70% de ses recettes auprès d’environ 1000 conducteurs de mototaxis en activité dans la ville. La plupart étant des ressortissants centrafricains et ne disposant pas de pièces d’identité nécessaires pour cette forme de paiement, cette situation a fait perdre près de 18,8 millions F Cfa à la commune de Garoua-Boulaï en 2021».

 Minddevel

La plupart des maires de cette région relèvent l’absence du ministère de la Décentralisation et du développement local (Minddevel) à apporter des solutions concrètes aux problèmes des communes. Pourtant, en la faveur du décret présidentiel n°2018/190 du 02 mars 2020, le Minddevel a été créé pour pallier aux difficultés auxquelles font face les communes. Force est de constater que 4 ans après sa mise en place, le recensement des personnels communaux effectué est resté sans suite. « Comment est-ce que les communes peuvent-elles se développer sans moyens financiers ? La dotation de 15% du Budget de l’Etat n’était-elle qu’un slogan creux ? Où en est-on avec la décentralisation ? Où en sommes-nous avec la mise en œuvre des recommandations des assises générales des communes (février 2019) et du grand dialogue national (2020), organisées à coup de milliards de F Cfa placés sous le haut patronage du Président de la République », s’interroge un maire.

Selon Beguine Madjer Meboua, le délégué régional du Minddevel, « certaines causes de ces endettements sont principalement liées à la faible capacité de ces communes à produire les ressources propres suffisantes sur laquelle adosser leur masse salariale. Bien plus, leurs ressources additionnelles dépendent en partie du budget de l’Etat, des redevances forestières et minières, des CAC et autres subventions. Et le principe de l’unicité des caisses de l’Etat par la mise en place du compte unique du Trésor a davantage aggravé la situation ».   Pour ce qui est du rôle du Minddevel dans la perspective des axes de solutions adéquates, Beguine Madjer Meboua indique qu’il faut porter le débat dans les instances décisionnelles afin de recevoir les procédures, renforcer les capacités des personnels des collectivités avec l’appui de l’administration fiscale, afin qu’ils soient outillés dans la mobilisation et le suivi des recettes.

Ange-Gabriel OLINGA BENG à l’Est

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