Education : le tableau noir du métier d’enseignant au Cameroun
le collectif des enseignants indignés lors d'une manifestion à Yaoundé en 2017

La corporation ne s’est pas encore remise du choc créé par le décès d’un jeune prof de mathématiques poignardé par son élève. Il ne s’agit pourtant pas d’un cas isolé dans une société qui déploie diverses formes de violence contre les garants de l’école.

Méprisé, insulté, humilié, violenté et même assassiné. Voilà les mots des enseignants pour décrire leur condition. « La situation est déplorable dans notre pays depuis plusieurs décennies », soutient Jacques Bessala, le président du Collectif des enseignants indignés du Cameroun. « Ils sont nombreux qui présentent une mine terne, triste et pitoyable en salle et dans la société », renchérit un professeur de français du lycée de Biyem-Assi dans la capitale Yaoundé. Dans la ville d’Obala, une quarantaine de kilomètres plus loin, une professeure d’Espagnol croit savoir que « l’enseignant n’est pas pris au sérieux. » « Au quotidien, explique-t-elle, l’enseignant est obligé de se taire car, méprisé par sa communauté. Il est insulté, battu et tué désormais. »

Il y a dans ces propos la douleur et la colère dues à la perte d’un confrère. Boris Kevin Njomi Tchakounté a été poignardé à mort par son élève pendant le cours en classe de 4eme au lycée classique de Nkolbisson. Le 14 janvier 2020, l’enseignant de mathématiques, âgé de 26 ans, a perdu la vie 5 mois après sa sortie de l’Ecole normale supérieure (ENS). Ce fils d’un couple d’enseignants a payé au prix fort le choix d’un métier qui semble une passion dans la famille.

Suivre sa vocation. En mourir brutalement ou à petit feu. Au Cameroun, il y a comme une tragédie en ce métier qui se veut pourtant noble. « Rien n’est donné à l’enseignant de rêver de la voie choisie », prévient un professeur de philosophie. Pour cet ancien pensionnaire de l’ENS de Yaoundé, le drame se noue peut-être sur les bancs. « Fondamentalement, il n’y a aucune motivation en plus de l’élan personnel jusqu’à la sortie. Pendant la formation, il faut se battre pour être un peu propre, se déplacer. Plusieurs camarades faisaient de longues distances à pieds », se souvient-il dix ans après sa diplomation.

Les frustrations commencent sur les bancs, d’autant que les élèves-enseignants côtoient au quotidien les étudiants de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) qui sont pris en solde pendant leur formation. Le séjour à l’Ens de Maroua n’est guère plus heureux, selon les souvenirs d’un produit de cet établissement : « Aucune commodité ne donne le sentiment d’être particulier. Je me suis formé dans une école comprenant plus de quatre campus distants de plusieurs km les uns des autres. J’opérais des navettes journalières d’une dizaine de km pour les cours. »

Le calvaire sur le terrain

La fin de la formation ne marque pourtant pas le début de l’eldorado. Il faut rejoindre son poste d’affectation sans un sou dans la poche. « J’ai perçu mes frais de relève une année plus tard », nous confie une prof de français sortie de l’ENS de Maroua dans la région de l’Extrême-Nord, affectée en 2015 au lycée de Bonis dans la région de l’Est. Il y a de quoi perdre son latin lorsque vient enfin le moment de percevoir ses frais de relève. « Le calcul n’obéit à aucune règle, sinon à celle de l’arbitraire, explique cette enseignante. Toutes les personnes qui étaient affectées à Bertoua touchaient chacune 47 000 F. CFa d’où qu’elle vienne. L’année d’avant le montant était de 65 000 F. CFa. Pourtant, on vous fait constituer un dossier en bonne et due forme, notamment au ministère des Transports qui vous sort une attestation de kilométrage. »

Bon an mal an, il faut rejoindre son poste d’affectation et enseigner en attendant la prise en solde. L’attente du premier salaire peut durer une année, ou s’allonger indéfiniment. Dans le milieu des fonctionnaires, il faut miser sur la chance ou monnayer les services d’une personne bien placée. Les enseignants n’échappent pas à cette règle non écrite mais encrée dans les pratiques. Il y a quelques années, le gouvernement a décidé de payer les deux tiers du salaire de base dès la sortie de l’école. Cette réforme visait la prise en solde rapide des enseignants.

Les frustrations n’ont pas disparu pour autant. « Cette politique a été mal appliquée et a plutôt compliqué la prise en charge au finish. Les pouvoirs publics ont créé de multiples vocables pour maquiller les arriérés de salaire ou les salaires impayés : avance sur solde, rappel 2/3, complément salaire, rappel 1/3, rappel non logement, incidence financière des avancements ou rappel avancements », croit savoir un prof qui a dû attendre 3 ans pour toucher son premier salaire. Deux ans plus tard, il n’a encore perçu aucun rappel. Le sort des enseignants recrutés par l’Etat est pourtant plus enviable que celui de leurs collègues vacataires qui n’attendent rien de plus que le pécule versé par l’Association des parents d’élèves (Ape) de l’établissement scolaire.

La précarité actuelle laisse nostalgique du lustre d’antan. « La prise en solde se faisait dès l’école, les congés étaient payés, les avancements automatiques, l’achat de véhicule assuré, le salaire de base tutoyait 400 000 F.CFa », affirme un jeune prof de philosophie qui croit savoir ce que fut la « belle époque » racontée par les anciens. Aujourd’hui, il faut se contenter de 180 000 F.CFa en début de carrière ; et espérer atteindre un jour le plafond de 326 000 F.CFa. Les enseignants trouvent ce traitement injuste en comparaison à celui des administrateurs civils, des magistrats, des douaniers et d’autres corps de la Fonction publique dont les avantages offrent un train de vie bien meilleur.

Pourtant, les écoles normales supérieures continuent de faire courir des milliers de candidats chaque année. « Ils y vont moins par vocation », indique d’emblée le sociologue Moïse Tameken Ngoutsop, enseignant-chercheur à l’université de Bamenda. « Ce qui intéresse, poursuit-il, c’est le matricule de la Fonction publique considéré comme le sésame pour sortir du chômage et échapper aux affres de la misère. L’enseignement devient un passage pour aller dans tel ou tel administration, ou pour rechercher une nomination. Dès lors, de nombreux diplômés des écoles normales supérieures ne sont pas psychologiquement préparés pour affronter les contraintes du métier. »

Assongmo Necdem

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