Extrême-Nord : Plus de 2 000 personnes disparues entre 2014 et 2022
Une vue de Tokombéré, une commune de la région de l’Extrême-Nord

Extrême-Nord : Plus de 2 000 personnes disparues entre 2014 et 2022

Malgré l’absence des données officielles, l’évolution du nombre de personnes disparues inquiète dans cette région en proie aux violences de la secte islamiste Boko Haram. Le manque de mécanisme national de recherche des disparus, d’un cadre normatif restrictif sur les cas pour cause de conflits armés et l’accès difficile dans certaines localités enclavées, sont entre autres entraves à la lutte contre les kidnappings personnes disparues dans l’Extrême-Nord.

Dinkéré, 29 ans, est affligé depuis la disparition de son frère Sakava en 2014 à Tourou, dans le département du Mayo-Tsanaga, région de l’Extrême-Nord. « Nous nous sommes perdus de vue. Chacun fuyait une attaque de Boko Haram. Moi je me suis retrouvé ici à Ngong. Peut-être que mes proches pensent que je suis mort. Lorsqu’on entend les coups de feu, chacun cherche un abri. Certains reviennent tandis que d’autres trouvent un refuge dans une autre localité », témoigne ce déplacé interne, qui s’est réfugié dans la commune de Ngong, département de la Bénoué, région du Nord.

Plus de 2 000 personnes disparues dans l’Extrême – Nord entre 2014 et 2022?

Le jeune homme espère retrouver son frère. C’est d’ailleurs le vœu de tous ceux qui comme lui, ont perdu de vue un proche lors des assauts de la secte islamiste Boko Haram, qui sévit dans cette partie du pays. « Chaque jour, nous prions pour qu’ils reviennent, parce qu’il n’est pas le seul à disparaître. D’autres familles sont aussi dans la même situation », témoigne Mal Ibrahima, habitant à Maroua.

Le phénomène de disparition ou de séparation des personnes est récurrent depuis le début de la guerre contre la secte Boko Haram en 2014 dans la région de l’Extrême-Nord. Dans la plupart des cas, témoignent les proches, ces disparitions se produisent dans des conditions non élucidées.

En août 2022, à l’occasion de la célébration de la journée internationale des personnes disparues, le Comité international de la croix rouge (Cicr), une organisation humanitaire, bureau de Maroua, a déclaré avoir recensé environ 2 000 cas de personnes disparues entre 2014 et 2022.

Des chiffres qui croissent régulièrement. « Chaque fois que nous faisons des sorties de terrain, nous collectons des dizaines de cas. C’est pour dire que des milliers de personnes souffrent de l’absence de leurs proches dans cette région », a expliqué Ismaïla Sangaré, coordinateur du programme d’accompagnement des familles des disparus au bureau de la sous-délégation du Cicr à Maroua.

Arrestations

D’après certaines déplacées internes à Garoua qui ont requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, plusieurs causes sont à l’origine de ces disparitions. Notamment, l’arrestation par des forces de défense, l’enlèvement et séquestration par des personnes inconnues, l’intégration du groupe des forces de Boko Haram, des fuites des conflits armés vers des lieux inconnus.

Par conséquent, les familles restent sans nouvelle de leurs proches pendant des années. « Ce n’est pas seulement à l’Extrême-Nord qu’il y a les disparitions, c’est un peu partout que nous sommes affectés par les enlèvements avec demande de rançon et parfois sans trace. Nos enfants migrent pour les villes, après on n’a plus de leurs nouvelles. Ils sont en prison ou morts, on a aucune idée. Peut-être d’autres ont même intégré les groupes terroristes », confie un chef traditionnel sous anonymat dans la région du Nord.

A en croire Dr Nasser, spécialiste en sciences criminelles et enseignant à la faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’université de Garoua, juridiquement, une personne est disparue quand on n’a pas de ses nouvelles suite à un évènement de nature à croire qu’elle est morte, soit dans un incendie, naufrage, catastrophe naturelle, etc.  Cependant, précise-t-il, si la famille est déjà au courant de l’existence jusqu’à lui apporter son soutien, on ne peut plus parler juridiquement de disparition.

Pendant le seul mois de février 2023, 82 personnes ont été kidnappées en contrepartie de rançons dans les localités qui longent le Logone-et-Chari selon une source militaire de la région. « Ça peut même être supérieur car certaines personnes paient des rançons sans informer les autorités », soutient cette source.

Selon le spécialiste en sciences criminelles, plusieurs raisons peuvent expliquer la montée en puissance de ce phénomène dans les régions de l’Extrême-Nord et du Nord. « Les brigands opèrent généralement dans les zones reculées où la présence de l’État est faible (gendarmerie, police, etc.). Il faut du temps pour que l’information arrive au niveau des autorités, lesquelles prennent également du temps pour se déployer. D’ici là, les ravisseurs ont déjà pris la poudre d’escampette. C’est notamment le cas à Touboro (dans la région du Nord, Ndlr), où le phénomène est prégnant. D’un autre côté, la montée du phénomène peut se justifier par la résignation de la famille de la victime qui préfère jouer un rôle passif et négocient donc avec les ravisseurs », explique-t-il personnes disparues dans l’Extrême-Nord.

personnes disparues dans l’Extrême-Nord Obstacles

Le 30 août 2022, le Cicr, bureau de la sous-délégation de Maroua, a indiqué que 90% des disparus ont été interpellés par des forces de défense et de sécurité pour des besoins d’enquête, 7% ont été enlevées par des groupes armés et 3% ont fui les conflits armés ou suite à une catastrophe naturelle. La plupart des arrestations ayant été faites entre 2014 et 2015. Selon une source militaire de l’Extrême-Nord, « quand des personnes sont interpellées pour besoin d’enquête, leurs membres de famille sont informés car ils doivent les nourrir. Celles qui sont recherchées seraient en détention à Yaoundé. Les personnes interpellées et évacuées à Yaoundé ont des dossiers liés au terrorisme. Ces genres de dossiers ne sont pas gérés au niveau de la région ».

Sur le terrain, il n’existe pas d’initiatives visant à retrouver ces personnes. Dans le cadre du programme « rétablissement des liens familiaux », le Cicr a entamé depuis 2015 des collectes d’informations en lien avec ces victimes et ceci dans l’espoir de retrouver les personnes disparues.

Plusieurs obstacles plombent les actions de recherches des personnes disparues. « Le cadre normatif camerounais sur les personnes disparues est très restrictif et ne prévoit pas de disparition pour cause de conflit armé. La deuxième difficulté c’est qu’au Cameroun, il n’existe pas véritablement un mécanisme national de recherche des personnes disparues pouvant permettre aux familles d’adresser les demandes de recherche auprès des autorités personnes disparues dans l’Extrême-Nord. Enfin, la troisième difficulté, c’est que nous sommes confrontés au problème d’accès à certains endroits dans le cadre de la recherche », déplore Ismaïla Sangaré.

Jérôme Baïmélé

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